Grâce, de Delphine Bertholon : le murmure des fantômes. Envoutant !

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Grâce, de Delphine Bertholon

Éditions Jean-Claude Lattès, mars 2012

 

Le murmure des fantômes

 

      1981 : Grâce, 34 ans, avait jusqu’alors apparemment tout pour être heureuse. Un mari qu’elle aime d’un amour absolu, deux enfants, un travail. Mais ce bonheur n’est-il que vernis? Car elle ressent avec une acuité de plus en plus douloureuse l’éloignement de son mari, Thomas. Éloignement pour des raisons professionnelles, car ce dernier est représentant en électroménager et sillonne les routes, mais pas seulement. Éloignement affectif aussi. Et la venue de la toute jeune et séduisante fille au pair d’origine polonaise, Christina, de ne pas y être étrangère. Christina, Grâce en est convaincue, constitue un réel danger pour son couple. Et tombe en état de disgrâce. Pourquoi cette crainte à l’endroit de la jeune femme? Quelle est cette brèche qui a fragilisé leur couple au point de les rendre étrangers l’un à l’autre? Qui est donc cet Aurélien Bataille dont le prénom n’est jamais prononcé? Besoin de parler, d’habiller ses maux de mots. Alors Grâce écrit à son fantôme de mari des lettres qu’elle ne lui postera jamais.

 

      Noël 2010. Quand Nathan rejoint sa mère, Grâce, et Lise, sa soeur, pour les fêtes de fin d’années, l’ambiance de la maison familiale a changé. Quelque chose d’indéfinissable mais pourtant de bien palpable, rend l’atmosphère étrange, lourde. Des évènements inquiétants surviennent dans cette maison réputée être hantée. Et d’apprendre que son père, disparu de la circulation trente ans plus tôt, a refait surface. Une disparition auréolée de mystère, de non-dit. Une absence présente dans les esprits de tous mais inexistante dans les propos.L’heure est désormais venue de s’expliquer, de comprendre. Et Nathan pour ce faire, de dialoguer en pensées avec sa défunte femme, Cora, celle qu’il a tant aimée, celle qui lui a donné deux beaux enfants. Celle, la seule, qui a su dissiper en lui, le temps de leur relation, cette angoisse térébrante d’abandon. Son amour devenu fantôme suite à son décès en couches.

 

      A trente années d’intervalle, Delphine Bertholon nous invite à découvrir le dialogue virtuel entre Grâce et son fils Nathan, à pénétrer au coeur des secrets de famille, à entendre bruire les non-dits. De rebondissement en rebondissement, l’auteur nous entraine en apnée dans un thriller psychologique magistralement mené.

      De fait, il est impossible de ne pas succomber à la grâce folle de la plume de Delphine Bertholon… Envoutant!

 

P. 273 : J’ai passé ma vie à t’attendre, quand il aurait fallu que je ne cesse jamais d’être attendue par toi.

Sans arrêt, on se trompe.

Le Karinotron avec… Delphine Bertholon!

Delphine-Bertholon-Grace    

Scénariste et écrivain, la lyonnaise Delphine Bertholon est l’auteur des romans Cabine commune (2007), Twist (2008), L’effet Larsen (2010) et Grâce (2012), tous les quatre parus aux éditions Jean-Claude Lattès. Ou encore Ma vie en noir et blanc (2011), roman pour adolescents paru dans la revue « Je bouquine ». Une plume vive, un style admirablement maitrisé, une construction parfaite, des thèmes souvent difficiles (la dépression, le deuil, le manque, l’enlèvement, la blessure amoureuse) mais toujours traités sous l’angle de l’espoir, les romans de Delphine Bertholon se vivent plus qu’ils ne se lisent. Vous êtes capturés dans le lasso de ses récits et ne desserrez plus l’étreinte avant la dernière page, happés par l’intrigue, envoûtés par ses personnages.

          Avec  beaucoup de gentillesse et de spontanéité, Delphine Bertholon a accepté de participer au Karinotron. Un GRAND merci à elle!

 

Le Karinotron de Delphine Bertholon :

1-Votre livre de chevet

Fragments d’un discours amoureux (Barthes), Amérique (Baudrillard) et La nuit remue (Michaux). Je les feuillette régulièrement, ils me touchent et sont sources d’inspiration. Mais en fait, je lis essentiellement aux terrasses des cafés ; mon lit est plutôt réservé aux films…

 

2- Vos lectures

Surtout de la littérature contemporaine, après avoir lu pendant mes études beaucoup de classiques (formateurs – Hugo et Dostoïevski en tête !) J’ai un faible pour le roman américain (Roth, Oates, Salinger, Brautigan, Easton Ellis, Fante, Safran Foer…), dont j’admire l’ambition romanesque et, souvent, la drôlerie. Je suis également une inconditionnelle d’Haruki Murakami ; si je lis moins les Français (mais je me soigne !), j’aime beaucoup le travail de Régis Jauffret. Murakami et lui ont en commun un sens de l’image singulière, une vision noire et sensuelle de la féminité, un goût des univers mouvants dont je me sens proche.

Terrible, tous ces livres à lire – et tous ceux que je voudrais relire, vu que j’ai une mémoire de poisson rouge. J’aimerais plusieurs vies rien que pour ça !

 

3-Votre façon d’écrire

Je n’écris pas tous les jours, loin de là ; mais quand je travaille sur un roman, lorsque que je suis dans une histoire, je deviens obsédée : j’oublie de déjeuner, je dors avec un carnet, je ne lis plus du tout (mais je vais au cinéma !) Tout ce que je vois, fais ou entends passe dans « l’entonnoir » de la fiction. Concrètement, je « vais et viens » entre mon ordinateur et le café d’en bas ; je rédige un premier jet, puis je l’imprime et re-travaille sur papier. Cette distance entre soi et le texte, au sens physique, m’est nécessaire. Et puis comme ça, je sors de chez moi – d’autant qu’au bistrot, on n’est jamais à l’abri d’attraper un détail (conversation, look ou mésaventure) qui passera dans le fameux entonnoir ! Les écrivains sont aussi des voleurs de vie…

 

4-Votre rapport aux lecteurs

Proche, autant que possible. Si je ne suis pas une grande fan des salons du livre, avec leur côté « foire aux bestiaux », j’aime beaucoup les rencontres en petits comités – librairies, bibliothèques – grâce auxquelles on peut vraiment rencontrer les gens, échanger… Je me suis rendue compte que je comprenais beaucoup mieux mes livres grâce aux lecteurs, à leurs remarques, leurs questions… On écrit, en partie, pour soi ; mais pas que, sinon on se contenterait de tenir un journal. Etre compris par l’autre, l’avoir touché, amusé, intéressé, ou même énervé – en cela réside aussi (surtout ?) le bonheur d’écrire.

 

5- votre prochain livre

Les deux prochains livres que je lirai seront à coup sûr 1Q84, tome 3, et Claustria de Régis Jauffret. Le prochain que j’écrirai…n’existe pas encore. Grâce est sorti il y a peu et j’ai toujours besoin, entre deux textes, d’un sas de décompression. Je m’investis si profondément dans mes personnages qu’il me faut, chaque fois, un peu de temps pour m’incarner dans d’autres…