Je n’étais qu’un fou, de Thierry Cohen : nul n’est à l’abri du succès…

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Je n’étais qu’un fou, de Thierry Cohen

Éditions Flammarion, avril 2014

Nul n’est à l’abri du succès…

Depuis son adolescence, Samuel Sanderson caresse le rêve d’écrire un roman. Non par besoin de reconnaissance ou de gloire, mais pour se tester, pour voir s’il est capable de tenir la distance du récit, de créer une histoire cohérente, de faire vivre des personnages.

La quarantaine venue, heureux en amour avec sa femme Dana et leur fille Dayane, épanoui professionnellement, il se décide enfin à relever le défi. Et y parvient haut la main. Non seulement il va jusqu’au bout de la rédaction, mais un éditeur lui propose de le publier. Mieux encore que dans ses rêves les plus fous, c’est le succès immédiat. Et la bascule vers un autre monde, un autre univers. « Le monde dans lequel je venais de prendre pied était fait d’illusions, de superficialité,de prétentions, de tous les défauts et vices qui m’habitaient et que j’avais tentés, des années durant, d’étouffer ».

Pris dans les tourbillons de la notoriété, il s’éloigne des valeurs qu’il défendait jusqu’alors, s’éloigne des siens. Et perd l’amour de sa femme et la reconnaissance de sa fille. « L’orgueil était là, tapi dans les plis de mon esprit, me faisant croire à l’intérêt de mon texte, au génie de mon sens créatif ». Suffisance, frivolité, superficialité. Et de faire l’expérience, aussi, de l’envers du succès : si ce dernier est plus efficace qu’une chirurgie esthétique, rend soudain beau et désirable, ce dont Samuel ne se prive pas pour multiplier les conquêtes d’un soir, il suscite aussi les rivalités. Tandis que le public l’adule, particulièrement le public féminin, les critiques littéraires le descendent en flèche. Trop guimauve, trop prévisible, toujours cette même recette à chaque roman : suspens, sentiment, sexe (les 3S). L’admiration de ses lecteurs n’a d’égale que le mépris des journalistes.

Ces mêmes critiques qu’il retrouvera un jour parmi les messages qui lui sont adressés sur Facebook par un inconnu ayant les mêmes nom et prénom que lui. Des critiques de plus en plus déstabilisantes pour Samuel. De plus en plus menaçantes aussi. Qui est cette personne qui semble tout savoir de lui, qui exige qu’il rédige un livre vérité pour s’amender? Est-ce un lecteur dérangé? Une de ses ex? Un proche réellement désireux de le faire revenir sur le droit chemin? Un écrivain rival souhaitant le déstabiliser? Son double venu l’avertir de ce qui l’attend? De quoi devenir fou.

Harcelé, menacé, après l’euphorie du succès, c’est la descente aux enfers…

Thierry Cohen nous offre un roman réussi et passionnant à plus d’un titre. Outre le suspens entretenu jusqu’à la dernière minute, le style fluide et maîtrisé, le rythme soutenu, l’auteur livre une analyse sans concessions et très pertinente sur l’envers du succès, les attentes réelles des maisons d’édition envers leurs auteurs, le statut de l’écrivain réduit à celui d’une vache à lait, les pratiques médiatiques peu louables pour doper l’audience…

Je n’étais qu’un fou, un roman qui se dévore follement!

 

P.20 : C’est à cela qu’on reconnaît un vrai couple : lorsque chacun œuvre au bonheur de l’autre, le pousse au delà des limites qu’il s’est imposées pour l’amener à se découvrir plus fort encore et sans crainte qu’il finisse par lui échapper.

P.30 : Les femmes ont ce sens pratique, cette logique qui les amène à comprendre ce qui est bon pour leur famille et ce qui peut lui nuire. Elles sont les gardiennes du sens, cherchent à préserver les acquis et à inscrire tout nouvel épisode dans la continuité de l’histoire qu’elles contribuent à écrire. Elles sont actrices et réalisatrices de leur vie, possèdent une vision du scénario. Les hommes ne sont que des comédiens de l’instant. Et s’ils comprennent un jour, c’est quand le film est fini.