On ne voyait que le bonheur, de Grégoire Delacourt
Éditions JC Lattès, aout 2014
Rentrée littéraire
Peut-on aimer sans avoir été aimé? Peut-on réussir sa vie quand on a grandi dans le chaos?…
Ça avait la saveur, la couleur, le parfum du bonheur. Mais ça n’en était qu’un pâle ersatz. Une famille, un travail, des enfants, en réalité juste des clichés capturés dans le lasso d’un objectif photographique. Clichés de ce que doivent être les ingrédients d’une vie heureuse. Car si une photographie, à l’image du soleil, fait tout voir, elle ne se laisse pas regarder.
A l’aube du décès de son père, Antoine, quadra expert en assurances, refuse pourtant cette cécité feinte. Il rembobine le film de sa vie et force lui est de constater que le bonheur qui l’a jalonnée ne fut qu’une éphémère illusion. Des parents incapables de lui témoigner leur amour, un couple parental broyé par la perte d’un de ses enfants, comment lui, Antoine, peut-il construire du solide sur des bases aussi friables? Comment peut-il réussir sa vie de famille, sa vie amoureuse, sa vie tout court, quand autour de lui, ce ne furent que déchirements, incompréhension, effondrement? Comment s’aimer quand celle et ceux qui vous ont conçu, porté, ne vous ont pas renvoyé une image aimable (au sens digne d’amour) de vous? Peut-on seulement donner ce que l’on n’a pas reçu?…
Térébrants questionnements.
Lui qui passe son temps à gérer froidement des dossiers d’indemnisation, qui calcule sans état d’âme ce que sa compagnie remboursera à minima aux victimes, tente alors de chiffrer ce que vaut sa vie. Vaste question. La valeur est-elle le prix à payer pour obtenir quelque chose (pour autant qu’il s’achète, ce qui n’est pas le cas de l’amour) ou le coût en termes d’efforts, de patience, pour accéder à ce que l’on désire?
Dans ce roman, Grégoire Delacourt nous peint le portrait d’un homme sous la forme d’un triptyque bouleversant : l’enfance sans l’amour de sa mère ni le courage de son père, handicap affectif qui va conditionner sa vie adulte et le conduire à commettre l’irréparable; la tentative de reconstruction loin du drame, au Mexique; et enfin, l’irréparable pourtant en partie réparé grâce au pardon. Un roman qui prend à la gorge, secoue, malmène. Une histoire qui, aussi singulière soit-elle, recelle en elle une universalité qui touchera chaque lecteur : peut-on faire des ses cicatrices d’enfance des balafres réussies? Y a t-il une possibilité de mettre fin à la répétition des schémas parentaux? Peut-on apprendre à s’aimer et donc ensuite à aimer, quand on a grandi sans amour?
Dix-neuf euros. Ce n’est pas ce que vaut la vie d’Antoine. C’est le mini prix à payer pour un maximum d’émotions. Un minuscule prix pour un grand bonheur de lecture.
Coup de cœur de la rentrée littéraire!
P.134 : Se sauver ne sauve jamais rien.
P.218 : Comprendre, c’est faire un pas de géant vers l’autre. C’est le début du pardon.