L’Académie suédoise a choisi de récompenser le musicien et poète américain « pour avoir créé […] de nouveaux modes d’expression poétique ».
Surprise ! Le prix Nobel de littérature est décerné à un… musicien ! Après un suspense encore plus long que d’habitude, puisque l’annonce avait été décalée d’une semaine cette année, l’académie de Stockholm a révélé à 13 heures le nom de l’heureux élu : Bob Dylan, né Robert Allen Zimmerman, 75 ans, couronné pour avoir créé « dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine de nouvelles expressions poétiques ». Une nouvelle qui a déclenché un tonnerre d’applaudissements.
C’est le poète qui a été honoré : « Bob Dylan écrit une poésie pour l’oreille, qui doit être déclamée. Si l’on pense aux Grecs anciens, à Sappho, Homère, ils écrivaient aussi de la poésie à dire, de préférence avec des instruments », a défendu Sara Danius, secrétaire-générale, qui a ajouté : « Il s’inscrit dans une longue tradition qui remonte à William Blake », le célèbre poète anglais mort en 1827, citant « Visions of Johanna » et « Chimes of Freedom » et qualifiant Dylan de « sampleur littéraire ».
Le retour de l’Amérique
Les Nobel ont encore écarté le continent africain puisque le célèbre (davantage pour sa nomination que pour son œuvre…) Ngugui wa Tiong’O, le Kényan qui écrit dans sa langue maternelle, n’a pas été retenu. Le prix décerné à Bob Dylan marque aussi le retour d’un Américain dans le palmarès, ce qui n’avait pas eu lieu depuis 1993 et le couronnement de Toni Morrisson. Parmi les favoris 2016 circulaient les noms de Don DeLillo, Philip Roth et Joyce Carol Oates. En choisissant Dylan, le jury salue une immense figure de la culture américaine et universelle, épousant les grands mouvements politiques de la seconde partie du XXe siècle.
Petit-fils d’immigrants juifs russes né à Duluth (Minnesota) le 24 mai 1941, Dylan est fan d’Elvis Presley et de Jerry Lee Lewis avant de former son propre groupe. En 1959, étudiant à l’université de Minneapolis, il découvre les pionniers du blues, du country et du folk : Robert Johnson, Hank Williams et surtout Woody Guthrie. À cette époque, il adopte le nom de scène de Bob Dylan. En 1961, il abandonne ses études et déménage à New York où il fréquente Greenwich Village. Son premier album Bob Dylan (1962) est un fiasco.
La percée se produit en 1963 avec l’album The Freewheelin » Bob Dylan et ses deux titres folk de protestation : « Blowin’ in the Wind », chanson pacifiste qui sera un hymne des années 60 contre la guerre au Vietnam, et « A Hard Rain’s A-Gonna Fall ».
En 1963, il participe à la Marche sur Washington autour de Martin Luther King. Peu à peu, il s’éloignera de ce profil de « protest singer » pour éviter d’être ainsi catalogué. À la fin des années 70, il découvre le christianisme et déroute une partie de ses fans. Dylan a sorti en mai dernier son 37e album studio, Fallen Angels, où il interprète des standards américains popularisés par Frank Sinatra. Il continue de se produire aux quatre coins de la planète pour une tournée baptisée « Sans fin ». Prochaine étape : jeudi à Las Vegas (États-Unis).
Une bibliographie méconnue
Avec cette récompense d’un prestige inégalé, Bob Dylan ouvre aujourd’hui « l’art mineur » au rang de littérature, même si le chanteur est aussi l’auteur d’un recueil de poèmes Tarantula, paru en 1972 chez Christian Bourgois dans la traduction de Dashiell Hedayat, (réédition en 2001 chez Hachette dans la traduction de Daniel Bismuth). L’auteur, aussi, de mémoires, dont la première partie a été traduite en français par Jean-Luc Piningre en 2005 Chroniques, volume 1 (Fayard, réédité en poche sous le titre Bob Dylan, chroniques, Folio 2010). Le même éditeur français a publié Lyrics : chansons 1962-2001, traduites par Robert Louis et Didier Pemerle. On trouve enfin en français Dylan par Dylan, interviews 1962-2004, préfacé par Jonathan Cott et traduit par Denis Griesmar (Bartillat).