©Karine Fléjo photographie
Le voyageur est un témoignage romanesque précieux de la situation de la population juive en Allemagne lors de la nuit de cristal. Ce manuscrit, rédigé en novembre 1938, a été retrouvé récemment à Francfort. Un devoir de mémoire.
Nuit de cristal : le quotidien des juifs allemands
Otto Silbermann est un négociant berlinois d’origine juive, dont les affaires avec son associé Becker marchent bien. Membre de la bourgeoisie berlinoise, il se sent allemand et n’a jamais envisagé de fuir son pays. C’est donc une situation presque irréelle pour lui, quand, de retour à son domicile, il apprend que des rafles systématiques ont lieu. Il échappe alors lui-même de peu à une arrestation et fuit dans Berlin, avec trois fois rien. Mais les hôtels dans lesquels il a l’habitude de descendre ne sont plus ces lieux chaleureux où il est bienvenu. Le personnel a peur et ne souhaite plus avoir de clientèle juive. Commence alors une errance sans fin. Mais fuir et tenter de regagner la France où étudie son fils nécessite de l’argent. Heureusement, il en a et son associé, de retour de négociations fructueuses, va lui apporter de l’argent frais. Du moins en est-il convaincu. Mais si son associé est allemand comme lui, il n’est pas juif. Pire, il est du côté des nazis et répond aux injonctions de son époque. Dès lors, il n’y a plus de collaboration ni d’amitié qui tienne, juste une haine incommensurable entre Becker et Silbermann. La déception et la blessure sont immenses pour Silbermann qui parvient néanmoins à sauver quelques milliers de marks de son affaire.
Les frontières se ferment. La fuite devient illusoire. Otto Silbermann n’a d’autre choix que de bouger en permanence, de prendre un train puis un autre, pour éviter de se faire arrêter.
Un témoignage essentiel sur les pogroms
Le voyageur a été rédigé par Ulrich Alexander Boschwitz à partir de la fin novembre 1938, autrement dit, au moment de la nuit de cristal. Son auteur, juif, né à Berlin, raconte de l’intérieur le quotidien des juifs allemands sous la dictature nazie. Il nous livre un témoignage historique de grande valeur, auquel il mêle sa propre expérience. Il a en effet dû lui-même émigrer en Scandinavie, puis en France, pour fuir les persécutions contre les juifs.
Au fil des pérégrinations ferroviaires de son personnage, il observe, décrit, écoute ce que les autres allemands pensent de cette nuit de cristal, et plus largement, des persécutions juives. Témoin de son époque, il retranscrit l’indifférence des uns, la haine des autres, la compassion parfois aussi. Au moment où les juifs restés en Allemagne réalisent qu’ils n’ont plus d’autre issue que de fuir le pays, le passage des frontières devient quasi impossible. Les pays européens comme les Etats-Unis ou les pays d’Amérique du sud n’accordent presque plus de visas. Ils sont alors pris au piège. Reste alors à tenter de passer clandestinement, en payant grassement des passeurs peu scrupuleux. Une situation qui n’est pas sans rappeler cruellement l’actualité des migrants. A croire que l’homme ne retient aucune leçon de l’histoire, ce qui rend ce témoignage romanesque d’autant plus essentiel.
Mon seul petit regret dans ce livre a été le manque de tension narrative. J’ai parfois trouvé un peu long et répétitif ces allers-retours en train. Mais cela n’enlève rien à la valeur indéniable de ce livre.
Informations pratiques
Le voyageur, par Ulrich Alexander Boschwitz – Traduction deDaniel Mirsky – 335 pages – Editions Grasset – Novembre 2019