
©Karine Fléjo photographie
Un récit remarquable de lucidité et de courage sur la manipulation psychologique dont l’auteure a été victime à 14 ans. Ou quand un écrivain germanopratin célèbre jouit en toute impunité de ses penchants pédophiles et de son emprise destructrice sur les jeunes filles vierges.
Manipulation psychologique et emprise affective
A l’âge de six ans, la maman de Vanessa Springora se sépare de son mari. Plus de cris, plus de scènes de jalousie ni de violence. La fille et la mère vivent désormais au calme, dans un petit appartement sous les toits. Pour fuir le chagrin dans lequel l’abandon de son père la laisse, la jeune Vanessa se réfugie dans les livres. Un jour, à une soirée où elle accompagne sa maman, Vanessa, 13 ans, croise G., un auteur quinquagénaire célèbre. Elle n’imagine pas un seul instant que ces regards échangés sont la porte ouverte vers l’enfer.
Quelques jours plus tard, une lettre à l’encre bleu turquoise, signée G. et destinée à Vanessa, lui est remise par sa gardienne. A présent que G. a repéré sa proie, il lui faut la ferrer. Vanessa, férue de littérature, se sent flattée que cet homme de lettres pose le regard sur elle. Les missives se succèdent, de plus en plus passionnées. G. veut rencontrer Vanessa. Elle accepte, sans imaginer ce qu’il attend d’elle, juste fascinée par son érudition et son talent. Leur relation commence, pas complètement clandestine, puisque la mère de Vanessa est au courant et ne s’y oppose pas vraiment, du moins pas avec les barrières qu’une mère responsable devrait ériger. Vanessa a 14 ans. G. en a 50. Vanessa est vierge de toute expérience amoureuse. G. loue son expériences avec des vierges. Car pour G., seule l’intéresse la satisfaction de ses désirs. Et leur transposition dans un livre.
Le piège se referme.
Célébrité = Immunité ?
Le consentement est un témoignage précieux et courageux.
Précieux, car Vanessa Springora analyse avec beaucoup de finesse psychologique, de l’intérieur, ce qui rend l’emprise affective possible, les failles qui lui préparent le terrain. Père absent, admiration pour une personne célèbre et érudite, protection défaillante des parents, faim d’amour, manque d’estime de soi. Autant de brèches dans lesquelles le prédateur s’infiltre, s’enracine, conscient qu’il va pouvoir y asseoir sa force. Le lecteur voit la toile se tisser et se refermer sur la jeune fille, sans qu’elle ne réalise ce qui est en jeu, aveuglée par son admiration et son amour. Heureuse d’exister dans un regard. Un amour qu’elle croit réciproque, alors que dans l’esprit pervers de l’écrivain quinquagénaire, la jeune fille n’est qu’un faire-valoir, un trophée de plus à sa collection. Ce prédateur sexuel ne se gêne d’ailleurs pas pour sortir avec plusieurs jeunes adolescentes à la fois. Une entreprise de démolition massive. Et quand la jeune Vanessa réalise le jeu pervers qui se trame, la culpabilité naît : car, amoureuse, elle y a consenti, n’a rien vu venir, aveuglée par l’habile stratège qu’est G.
Courageux, car à l’heure des scandales du photographe David Hamilton ou de Harvey Weinstein, pour ne citer que ces exemples, on peut penser, à tort, que les prédateurs ne sont plus en odeur de sainteté. Eh bien si ! Le célèbre écrivain G., aujourd’hui octogénaire, continue à sévir en toute impunité. Mais peut-être ignore-t-on ses pratiques avec de jeunes garçons thaïlandais ou de jeunes adolescentes vierges ? Même pas ! Et pour cause, G. s’en vante dans ses livres, allant même jusqu’à publier ses journaux intimes avec force de détails, ainsi que des photos de certaines de ses très jeunes conquêtes sur son site officiel. Ou quand côtoyer des jeunes vierges fait se prendre pour Dieu. Vanessa Springora s’interroge sur cette immunité totale de l’écrivain G. : la célébrité et le talent « excuseraient-ils » tout ? Monsieur Toutlemonde aurait-il pu continuer à mettre des petits garçons dans son lit et à déflorer des adolescentes sans que la justice n’y mette un frein ?
Vanessa Springora, par sa magnifique écriture, sa sensibilité et sa capacité d’analyse, donne sa voix aux victimes de cet homme qui elles, n’ont pas ce talent pour l’écriture ou (ni) cette lucidité. Mais pas seulement. Elle nous montre aussi que la justice et la société ont encore bien du chemin à effectuer…
A lire absolument !