
Le parcours de deux frères jumeaux séparés dès la naissance sur fond d’immigration dans les années 60. Une analyse et une plume brillantes.
Immigration et désillusions
Années 60. A Sétif en Algérie, Naja élève seule ses enfants. Son mari Saïd est en effet parti six mois plus tôt travailler en France en région parisienne, sélectionné pour sa robustesse et le faible coût de main d’œuvre qu’il représente. Le frère de ce dernier, Kader, l’a d’ailleurs précédé et ne semble pas déterminé à revenir.
Quand Saïd propose à Naja et aux enfants de le rejoindre en France, Naja pense que s’ouvre devant elle une vie enfin plus facile. Une vie dans laquelle ses enfants ne manqueront de rien. Mais la désillusion est grande. Non seulement France ne rime pas avec abondance, mais Saïd a changé. Violent, alcoolique, tyrannique.
Si Saïd a un salaire modeste, son frère Kader, marié à Eve, une Française, s’en sort mieux. Il vit dans un pavillon avec jardin, là où Naja, Said et les enfants s’entassent dans un appartement vétuste. Une situation enviable si ce n’est qu’ils n’ont pas d’enfant.
Aussi, quand Naja tombe enceinte de faux jumeaux, se pose la question de deux bouches de plus à nourrir très bientôt, alors qu’ils peinent déjà à joindre les deux bouts. Saïd lui propose de confier l’un des jumeaux à son frère à la naissance, sans rien révéler à personne, pas même plus tard aux jumeaux eux-mêmes. Soumise, Naja se dit que l’un de ses fils aura au moins la garantie de ne manquer de rien. Quitte à ce que son cœur de maman soit lacéré à la perspective de se séparer de lui. Et les jumeaux, ressentiront-ils ce manque de l’Autre ? Sentiront-ils qu’il existe une part de chacun d’entre eux ailleurs ? Vaut-il mieux pour eux qu’ils n’apprennent jamais le mensonge qui les entoure ?
Gémellité, des liens si particuliers
Dans Soleil amer, en lice pour le Prix Goncourt 2021, Lilia Hassaine explore la spécificité des liens entre les jumeaux à travers l’histoire de Daniel et Amir. Des jumeaux qui ignorent leur véritable parenté et vont évoluer dans des milieux sociaux radicalement différents. Avec l’immigration algérienne en toile de fond dans les années 60, Lilia Hassaine nous plonge dans le quotidien des familles venues d’Afrique du Nord le cœur plein d’espoir. Des familles dans lesquelles naitre fille est un fléau, la condamnation à devenir l’esclave des frères puis du mari. Des hommes et des femmes que l’on entasse dans des HLM de banlieue, véritables ghettos, qui se délabrent faute d’entretien. Le soleil promis est amer.
C’est une peinture très fidèle et très intéressante que nous livre la romancière sur l’immigration, le racisme, la solidarité entre immigrés, le sort des femmes, les politiques d’intégration. Avec une plume sensible, délicate, un style remarquable, elle nous entraine dans le sillage des jumeaux et de leurs familles respectives sur trente années.
Un roman indiciblement touchant. Magnifique. Une prise de conscience ou un rappel nécessaire.
Informations pratiques
Soleil amer, Lilia Hassaine – rentrée littéraire – éditions Gallimard, août 2021 – 16,90€ – 158 pages