
L’histoire passionnante et terrifiante d’une femme, Lucia Joyce, fille de James Joyce, dont la vie et la passion pour la danse ont été sacrifiées par ses proches. Un roman biographique fascinant et brillant.
Dans l’ombre de James Joyce
Nous sommes à Paris au début des années 30. A 21 ans, Lucia Joyce vient de faire un tabac au théâtre des Champs-Elysées. Dans les journaux, on crie au génie, en parlant de cette jeune femme, pionnière de la danse contemporaine. Son spectacle époustouflant fait la fierté de son père surnommé Babbo, tandis qu’il ne recueille qu’indifférence de la part de sa mère. Cette dernière n’a en effet d’yeux que pour son fils Giorgio.
Dans la famille Joyce, Julia est en passe de se faire un prénom, de sortir de l’ombre de son père, auteur du célèbre et controversé Ulysse. Elle danse du matin au soir, ne vit que pour et par la danse. Quand elle ne danse pas avec sa troupe, elle prend des cours de danse, ou danse seule chez elle devant Babbo, imagine des chorégraphies audacieuses, réalise des costumes inédits. Et elle se révèle non seulement être une danseuse au talent exceptionnel, avant-gardiste, mais elle est de surcroit très intelligente, parle quatre langues couramment. Autrement dit, elle semble promise à un brillant avenir. Mais y-a-t-il de la place pour deux génies dans la même famille ?
C’est sans compter sur les relations pathologiques que sa famille entretient avec elle, lui brisant sans cesse les ailes, jalouse de son aura, jalouse de l’ombre et du tort qu’elle pourrait leur faire à tous. Car il y a des secrets de famille qu’il vaut mieux taire, sous peine de susciter l’opprobre et la honte. Et les parents de Lucia, mais aussi et surtout son frère Giorgio, entendent bien museler Lucia, dussent-ils pour cela lui arracher sa raison de vivre, ce qui la fait vibrer, exulter : la danse.
Dussent-ils briser sa vie.
Une danseuse de génie
La plume de la romancière Annabel Abbs, aussi auteure de Frieda, m’a fascinée dans ce roman biographique La fille de Joyce, paru aux éditions Hervé Chopin. Une plume tout en finesse, en délicatesse, en sensibilité. Un roman richement documenté, vivant, vibrant, qui fait découvrir la vie terrifiante imposée par la famille et la société de l’époque à la talentueuse Lucia.
Avec une alternance de chapitres où Lucia, en psychanalyse, révèle au docteur Jung son passé, et de chapitres passés au sein de la famille Joyce, Annabel Abbs nous plonge au cœur de la vie de la danseuse. Une jeune femme avant-gardiste, aux talents multiples (danseuse, chorégraphe, créatrice de costumes), sur le point d’éclore. Mais à chaque fois que l’oiseau s’apprête à prendre son envol, à concrétiser un projet de ballet, une nouvelle chorégraphie, l’enseignement de cours de danse, sa famille brise son élan, la met en cage. Et dans ses amours, elle ne connait pas davantage l’envol. Entière, passionnée, candide, elle se donne entièrement aux hommes qu’elle aime, dont le futur prix Nobel de littérature Samuel Beckett. Mais ces derniers jouent de sa naïveté et lui brisent les ailes autant que le cœur.
James Joyce est un homme jaloux, possessif, exclusif envers Julia. Giorgio veut briller en tant que chanteur lyrique et reléguer sa sœur dans l’ombre, et surtout, la faire taire. Quant à la mère de Lucia, elle est indifférente au sort de sa fille, ne se préoccupe que de l’avenir de son fils. Lucia tait pourtant un secret qui pourrait tous les faire plonger. Avec effroi, on assiste aux moyens inhumains auxquels la famille a recours pour brimer Lucia, la réduire au silence et à la nuit. Ce n’est pourtant pas faute pour Lucia d’avoir essayé, encore et encore. De s’être relevée souvent, grâce à la danse. mais quand on lui enlève aussi la possibilité de danser…
Un roman édifiant, un portrait puissant. Celui d’une femme qui se consume de ne pas pouvoir exprimer son talent pour son art. Un destin qui n’est pas sans rappeler celui de Camille Claudel.
A lire absolument !
Informations pratiques
La fille de Joyce, Annabel Abbs- éditions Pocket, juin 2022 – 462 pages