Ma nouvelle sur le thème de la maternité, dans le cadre du projet de Mathieu Simonet

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  Mathieu Simonet, auteur de La maternité, aux éditions du Seuil, a lancé un appel à textes sur le thème de la maternité. J’ai alors mis la plume à l’encrier. Est née la nouvelle intitulée « Passe-pores ».

     Retrouvez la contribution de nombreux auteurs à cet enthousiasmante aventure littéraire sur le site ainsi que ma nouvelle : http://la-maternite.blogspot.fr/2012/08/karine-flejo-113.html

 

PASSE-PORES 
               de Karine Fléjo, 22 août 2012
La réussite à l’école, c’était l’obsession de ma mère. Chaque soir, dès son retour du travail, elle montait dans ma chambre pour superviser mes devoirs. Pour le calcul, je connaissais mes tables d’addition et de soustraction par cœur depuis longtemps. Elle me les avait apprises dès la maternelle. Je faisais l’acheteuse, elle la marchande, et nous jouions à calculer combien je lui devais, la monnaie qu’il fallait rendre. C’étaient les seules fois où je pouvais remplir mon caddie virtuel rien que de fraises Tagada et de chocolat. Souvent, je rajoutais un bouquet de fleurs sur ma liste. Des violettes des champs. Les fleurs préférées de maman.
 Puisque que je savais compter, elle veillait donc surtout au français. Et le français, c’était les autodictées, ces phrases qu’il fallait apprendre par cœur et savoir réécrire sans oublier aucun mot, et sans aucune faute non plus. Je les apprenais avant son arrivée et les écrivais ensuite sur mon ardoise pour qu’elle les corrige. Je ne me trompais jamais. Enfin, presque jamais. Et le sourire qui dans ces moments-là éclairait le visage de ma mère valait tous les trésors du monde. Je désirais tant qu’elle soit fière de moi ! Oh, j’aurais préféré qu’elle m’aime de façon inconditionnelle, première de la classe ou cancre, mais il ne fallait pas se montrer trop exigeante. Être sur son cœur une touriste de passage valait mieux que de n’y séjourner qu’en passagère clandestine et risquer d’être reconduite aux frontières. Je savais que mon carnet de notes était mon passeport, celui qui me permettait de trouver l’asile affectif en lui. Et de vivre toujours la peur chevillée au ventre qu’il ne me soit retiré si les notes obtenues n’étaient pas celles de l’excellence.
 
Les notes comme visa.
 
Un visa que j’avais bien failli me voir refuser, tout ça à cause des accents. Tout avait bien commencé pourtant.  Je n’avais fait aucune faute à l’autodictée et elle m’avait félicitée, tout particulièrement pour n’avoir pas oublié l’accent sur le mot « voilà ». Mon coeur s’était mis à tambouriner de joie, tandis qu’une colonie de lucioles avait investi les prunelles de mes yeux… Jusqu’au moment où elle m’avait demandé comment se nommait cet accent. J’avais trouvé la question facile et avais répondu sans hésiter : « l’accent qui descend ». Le sourire de ma mère s’était instantanément fané. Elle avait pris la craie, écrit « thé » et posé la même question. D’un filet de voix à peine audible, j’avais murmuré : « l’accent qui monte ».
Elle avait soupiré.
J’avais frémi.
Elle avait fait une dernière tentative pour voir si j’étais aussi  nulle qu’elle le redoutait. Je ne la déçus pas avec l’accent « en forme de chapeau chinois ».
 
Heure grave. Chagrin en moi aigu. Sourcils de ma mère circonflexes.
Tout le prestige du « voilà » s’était envolé dans la gravité d’un accent…
 
 
Mais en ce jour de juin, je revenais de l’école le cœur léger. Et pour cause…. Dans mon cartable, un précieux document, mon relevé de notes trimestriel, celui qui allait perméabiliser les frontières : un « passe-pores » bardé de A.  A comme Amour. A comme Affamée. A comme Affection. A comme Asile Accordé.
J’étais passée en tête de ma classe.
Elle serait fière.
Je passerais en tête de son coeur.
Elle m’aimerait.
Pour de vrai…
 Pourtant,  un jour, ma mère est partie.
Sans prévenir.
Sans un mot.
Sans moi…
 

 

Publié il y a 22nd August 2012 par

Sommeil, de Haruki Murakami

 

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Sommeil, Haruki Murakami

Editions Belfond, novembre 2010 

Traduit du japonais par Corinne Atlan

Illustrations de Kat Menschik

 

L’insomnie réparatrice 

 

L’héroïne du récit, une trentenaire mariée et mère de famille, perd soudain le sommeil. Totalement. Brusquement. Tandis que ce dernier est censé avoir une fonction régulatrice essentielle tant physique que nerveuse, son absence n’a aucun effet sur la jeune femme. Ou plus exactement, aucune conséquence dommageable. Au contraire. Une nouvelle vie, parallèle, secrète, s’ouvre à elle.

Dans la journée, tout est cadencé au rythme des tâches ménagères, des attentions portées à son mari et à son fils. Une routine à laquelle elle s’accommodait jusqu’alors avec l’illusion d’être comblée. Or ce voyage nocturne dans lequel elle nous emmène, ces dix-sept nuits sans la moindre minute de sommeil, lui ouvrent les yeux. Son existence n’a été jusqu’ici qu’un simulacre de vie. Une routine. Fade. Inconsistante.

Une vie de robot.

Dès lors, non seulement l’insomnie ne l’affaiblit pas, mais la galvanise, la transcende. Elle ne vit bientôt plus que pour ces heures en marge des autres, au plus près d’elle. « De dix heures du soir à six heures du matin, mon temps n’appartenait plus qu’à moi». Car la nuit venue, dans le silence de la maisonnée, la femme se réapproprie sa vie après l’avoir tant subie. Elle renoue avec sa passion pour la littérature, dévore Anna Karénine, sirote du cognac, grignote du chocolat. L’insomnie devient le cadre de toutes les voluptés. La nuit, sa meilleure amie, sa complice. Son rendez-vous avec elle-même.

Elle revit.

 

Dans cette nouvelle initialement parue dans le recueil « L’éléphant s’évapore », l’auteur développe tout son génie, celui de faire d’un quotidien banal un peu mélancolique un univers fantastique, voire une deuxième réalité. Ce n’est plus le sommeil, mais l’insomnie qui devient une fonction vitale.

 

Informations pratiques :

Prix éditeur : 17€

Nombre de pages : 78

ISBN : 978-2-7144-4820-0

La marg(d)elle

MargELLE

Minako portait un soin tout particulier à son jardin, conçu pour pouvoir être contemplé depuis le pavillon de thé. Cléthra du Japon, mandarinier sauvage, larmes de princesses, camélia, azalées et autres  fleurs et essences y formaient un ensemble harmonieux. Ce lieu seul l’apaisait, pansait les maux que jamais elle n’habillait de mots.  Dans ses yeux  en amande, une étrange lumière que voilait un chagrin à peine dissimulé. Mais personne ne s’était hasardé à la questionner sur son origine. La coutume japonaise veut en effet  d’observer le silence et d’essayer de deviner ce à quoi pense l’interlocuteur sans jamais avoir le droit de l’interroger pour avoir des éclaircissements. Le mystère qui entourait Minako demeurait donc entier.

Assise sur une pierre plate sous le cannelier, elle observait les ombres que le soleil faisait jouer sur les feuilles en forme de cœurs quand le facteur l’arracha à sa contemplation et lui tendit une enveloppe de  couleur jaune pâle. En reconnaissant la calligraphie sur le papier de soie, Minako eut le sentiment que sa poitrine allait exploser.  

Trois années s’étaient écoulées depuis la dernière fois où elles s’étaient vues. Plus de 1000 jours et autant de nuits où elle n’avait eu de cesse de penser à sa sœur, à cette fillette aux yeux d’un bleu céruléen qu’elle accompagnait autrefois au jardin d’enfants et dont elle cueillait les rires avec délice. Un jour de janvier 2002, elle s’en était allée, sans cris ni larmes, juste un cri d’alarme : le désir d’oublier. Fuir, courir, ne pas se laisser rattraper par le passé, ne pas se retourner. Laisser derrière soi parents et amis,  enmailloter les souvenirs dans une camisole d’oubli. Enfin essayer… L’enfant était aujourd’hui une jeune femme de 32 ans. Mais dans le cœur de Minako, Keiko restait sa « petite » sœur,  la prunelle de ses yeux. D’où ce regard éteint, amputé de la présence de celle sur laquelle elle avait veillé comme sur sa propre enfant, qu’elle avait protégée et choyée comme une petite maman. De son corps elle avait fait rempart contre les coups, mais aux décibels des cris de même qu’au spectacle de la violence, elle n’avait pû la soustraire.
Elle avait fait tout ce qu’elle avait pu pour la protéger.
Tout ce que pouvait faire une enfant de 5 ans 1/2 son aînée.
Tout, mais visiblement pas assez.

Qu’était-elle devenue ? Etait-elle en bonne santé ? Etait-elle épanouie ? Avait-elle un mari, des enfants ? Lui arrivait-il de penser à elle ? Elle multipliait à l’infini les scénarii sur l’écran de ses pensées et se heurtait toujours à ces mêmes questions sans réponse. Keiko, dont le prénom signifiait « grand puits », semblait y avoir jeté, noyé sous la douleur des souvenirs, tout ce qui la rattachait à son enfance. Et  Minako, malgré elle, en  faisait partie, réveillait ce que Keiko voulait à tout jamais endormi…

Elle tourna et retourna l’enveloppe. Quatre octobre 2004.  Keiko resurgissait dans sa vie. Dans cette enveloppe, peut-être, la sortie du puits, des esquisses de réponses qui lui permettraient enfin de ne plus vivre en marge d’elle et d’accéder à la margelle de sa vie…  

 Copyright Karine Fléjo (septembre 2007)

Eté : être pour quelques jours
Le contemporain des roses
Respirer ce qui flotte
Autour de leurs âmes écloses

Faire de chacune qui se meurt
Une confidente
Et survivre à cette soeur
En d’autres roses absente.

Rainer Maria Rilke

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Ira furor brevis est, de Karine Fléjo

Larmes
Naoko avait épousé Rinri cinq ans plus tôt, un 14 février. Un homme d’apparence sensible et doux. D’apparence seulement. Au fil du temps, il s’était révélé colérique, irritable. Un autre. Dans de tels moments, ce n’était plus l’homme respecté et respectueux qui se trouvait face à elle, mais un volcan en irruption qui déversait sa lave fielleuse. Une lave qu’il ne réservait qu’au cercle de ses intimes : amour, parents, amis.
Ira furor brevis est. La colère est une courte folie, dit-on. Sauf que dans son cas, les colères se multipliaient, de plus en plus virulentes, de plus en plus imprévisibles.
Comme aujourd’hui.
Elle vit son ombre s’éloigner derrière le paravent et s’effondra sur le futon, en larmes, le corps secoué de spasmes convulsifs. 
Son cerveau fatigué et molesté se mit alors à divaguer. Une petite voix sarcastique s’éleva en elle . De quoi se plaignait-elle ? Puisqu’il réservait sa face obscure  aux êtres qu’il aimait,  alors elle devait s’en réjouir, le prendre comme une preuve d’amour ! Elle laissa échapper un rire fou mêlé de sanglots. Ô Rinri, comme je suis honorée ! Et dire que j’ai failli t’en vouloir, me comporter en ingrate, alors que ta colère fait de moi ta favorite, ton élue ! Ô mon roi, je te servirai, chanterai tes louanges et m’agenouillerai devant toi ! Je te baiserai le front, chaque phalange des mains, chaque orteil des pieds ! Je serai ton humble servante, la plus dévouée, la plus fidèle ! Ô Rinri, je t’en supplie, continue à éructer ! Sois mon Vésuve et je serai ta Pompéi ! Déverse sur moi des déluges de lave fielleuse ! Ensevelis-moi sous la cendre de ta face obscure  et transforme mes jours en nuit éternelle ! Ô Rinri, lapide-moi d’une pluie de lapili aiguisés à la pierre de ta haine ! Ne t’éteint pas, Ô mon vénérable Vésuve, carbonise-moi sous tes flux de roches en fusion, ravage-moi, dévaste-moi ! Fais-moi suffoquer de douleur sous tes émanations de surges ! Gronde Rinri, gronde, que mon corps soit parcouru de secousses sismiques de la pointe des cheveux à celle des orteils, que mes fondations en tremblent de peur , que ta bouche en digne cratère du Mont Soma fasse jaillir des nuées ardentes de mépris ! Je serai ton gisant, Ô Rinri, et mon corps, recouvert sous les mètres cube de cendres de notre passion, gardera à tout jamais l’empreinte de ta démoniaque violence.

Le silence se fit à nouveau dans sa boîte crânienne. Son regard s’arrêta sur la photo de son époux.

Elle n’accepterait plus.
Jamais.
Copyright Karine Fléjo

L’embaumeuse de fleurs, de Karine Fléjo

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L’embaumeuse de fleurs, de Karine Fléjo     

Naoko préparait sa surprise de longue date, dans un état de jubilation croissant. Et le grand jour d’être arrivé : 3 juin, l’anniversaire de sa mère.

Toutefois, à son effervescence se mêlait un sentiment d’inquiétude : pour que sa surprise vît le jour, il lui fallait la collaboration du facteur. Assise sur son petit tapis en paille d’Igusa devant la maison, elle attendait sagement son passage.
Glissée dans son obi, une enveloppe.
 L’enveloppe.
 
 Tous ses espoirs reposaient sur lui depuis la déconvenue de la veille. Elle s’était en effet rendue à la poste à la sortie de l’école, tendant l’enveloppe sacrée. Or ils la lui avaient refusée. Motif ? Ils n’avaient pas aimé son timbre. A ces mots, celui de sa voix s’était étouffé dans un sanglot. Son projet allait tomber dans la rizière.
Légère comme une libellule lors du trajet aller, elle s’était alors sentie aussi lourde qu’un sumo. Mais il n’était pas dans sa nature de renoncer, surtout quand l’enjeu était aussi grand. 
Le facteur arriva enfin. Puisant en elle tout son courage, elle lui exposa sa requête :
– C’est l’anniversaire de maman aujourd’hui. Je… je lui ai fait un dessin et écrit une lettre.
Elle lui tendit d’une main tremblante l’enveloppe en papier de soie sur laquelle, avec application, elle avait inscrit au pinceau : Lettre très importante. Signé : Naoko. A l’angle droit, en haut, un petit rectangle dessiné.
Elle frémit en voyant son regard s’y attarder et devança sa question, redoutant d’essuyer un nouveau refus.
– Je n’ai pas de vrai timbre pour coller dessus, alors j’en ai dessiné un.  A la poste, ils n’en ont pas voulu… Or je voudrais à tout prix que maman l’ait aujourd’hui, et je me suis dit que vous voudriez peut-être bien m’aider. Je n’ai pas de pièces pour vous payer le timbre, mais je peux vous donner ça !
Elle avait sorti de la manche de son kimono une poignée de bonbons aux litchis.
– C’est ma grand-mère Framboise qui me les a donnés. « C’est pour la route » me dit-elle à chaque fois ! Mais cette fois-ci, je ne les ai pas mangés. Pas un seul! ajouta t-elle en les regardant avec envie. Je voulais les garder pour vous payer le timbre et le commandé.
Le gros bonhomme à l’allure un peu rustre sentit son cœur fondre.
– C’est gentil, mais garde tes bonbons, Naoko. Qu’attends-tu au juste de moi ?
– J’aimerais que vous alliez frapper à la porte pour lui donner ma lettre, comme vous le faites pour les lettres très importantes, les « commandées ». Et celle-là, comme elle est très très importante, vous lui direz que vous venez pour une lettre très très commandée avec des invités de réception.
Il ne put s’empêcher de rire, réalisant qu’elle faisait référence à un recommandé avec accusé de réception. Il  s’ interrompit aussitôt lorsqu’il vit poindre les larmes dans ses yeux. Cette dernière avait préparé sa surprise de longue date, s’était appliquée à faire un joli dessin coloré, à rédiger un poème bourré de « je t’aime », véritables Hymnes à l’amour, et, face aux rires de cet homme, non seulement elle se sentait  humiliée, mais les interprétait comme un prélude à un refus de sa part.
– Mais c’est une merveilleuse idée ! s’empressa t-il d’ajouter, percevant le désarroi de Naoko et se fustigeant intérieurement pour sa maladresse.
La fillette s’était alors sentie revivre. Et de préciser : « mais surtout, ne pliez pas l’enveloppe, sinon les fleurs de ma pétaleraie vont se casser. »
-Ta pétaleraie ?
C’était la première fois qu’il entendait ce terme.
Elle avait couru au pied du ginkgo, sorti du creux du tronc une petite boite de thé en bambou et en avait tout doucement soulevé le couvercle. Puis, elle avait sorti délicatement des feuilles de papier de soie et les avaient dépliées, offrant au regard de son bienfaiteur des pétales de fleurs séchés de toutes les couleurs. Un véritable arc-en-ciel sur un lit de papier.
– Je les colle sur les dessins et les poèmes que j’écris pour maman. Je lui en fais plein !
– Aurais-tu l’intention de devenir écrivain ou peintre, plus tard ?
– Non, je serai danseuse étoile et embaumeuse de fleurs !
Réponse inattendue.
– Embaumeuse de fleurs ? Tu veux dire fleuriste ?
– Non ! Embaumeuse de fleurs. C’est pour ça que je fais cette pétaleraie !
Et de lui expliquer sa vocation. L’idée lui était venue à force de voir avec tristesse les bouquets faner. Malgré tous les soins apportés, la mort des fleurs semblait inéluctable. Sauf… Sauf à recueillir les majestés déchues, ou plus exactement leurs atours de pétales, et à les laisser sécher entre les pages de ses livres avant de les faire refleurir en ornement sur lettres et dessins. Quand les fleurs mouraient dans l’eau d’ici, Naoko leur redonnait vie dans l’au-delà, les rendant immortelles.
Le facteur regarda la petite fille avec émotion. Sans en avoir conscience, elle avait retourné l’expression et avait créé une profession d’une infinie poésie. Les fleurs embaument et quand elles finissent d’embaumer, elle les embaume. La boucle était bouclée et la vie leur était acquise pour l’éternité.
Qui eût songé à chercher la recette de la vie éternelle dans l’âme d’une enfant ? C’était pourtant bien là qu’elle se cachait.
Il lui sourit, prit précautionneusement l’enveloppe et alla frapper à la porte…
Copyright Karine Fléjo, juillet 2007

La mousson, de Karine Fléjo

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La mousson, de Karine Fléjo
Larges baies vitrées, joli parquet, murs d’une blancheur nivale, je tombai immédiatement sous le charme de cet appartement. Et d’ores et déjà d’imaginer comment je pourrais y apporter ma touche nippone et en faire un petit nid soyeux.
Quelques tours de baguette plus tard,  l’Asie et moi avions investi les lieux.
Seulement voilà : qui dit appartement, dit voisin. Et dans mon cas : voisine…
Native d’Extrême-Occident – que d’aucuns nomment Bretagne, ma voisine dut penser que j’avais la nostalgie du pays. Or malgré la dérive des continents amorcée par le réchauffement climatique, il paraissait quelque peu illusoire que la Bretagne s’annexât à Paris, tout du moins avant quelques siècles. Elle eut alors une idée, comment dire… de « Génie » : lessiver son linge et par la même occasion… mon appartement. Une lessive qui, contrairement au slogan publicitaire du produit éponyme, me fit bouillir. Qu’elle eût recréé dans mon appartement un microclimat breton, avec crachin d’eau de lessive,  ne me convenait guère – oui, je sais, je fais parfois montre d’une ingratitude inqualifiable, je vous le concède.
Chaussures, kimonos, dossiers, livres, estampes, éventail, ombrelle nippone, origamis se transformèrent en jonques tandis que je pataugeais dans la rizière. Faute d’avoir été prévenue, je n’avais même pas semé de riz, de sorte que je ne pus espérer la moindre récolte. Je ris jaune. Tout ce que je récoltai les semaines suivantes furent des champignons sur la tapisserie,  mémoire des murs après ces déluges. Un climat humide qui le demeura des mois durant, à l’opposé de celui, sec, de mes relations avec l’occupante du dessus.
 
Désireuse de s’amender après la dure mousson hivernale, dans sa légendaire bonté ma vénérable voisine  m’offrit des vacances exotiques. Je connaissais le camping à la ferme, le camping sauvage, je découvris une formule inédite : le camping dans l’appartement. La formule idéale ! Pas de frais de transport ni de location, pas d’embouteillages sur les routes et dépaysement garanti. Pendant que les ouvriers s’affairaient dans les pièces voisines, je me retrouvai sur mon futon, véritable île autour de laquelle gravitaient d’étranges archipels, tels l’électroménager, le réfrigérateur, la vaisselle, les vêtements, le mobilier, le canapé, les bibliothèques, les bibelots et autres îlots. Une chambre-camping tout en un qui vous évite le moindre effort : tout est à portée de baguette ! Et fini l’air vicié de la capitale, vive l’air vivifiant de la peinture et de la colle ! Quant à vous ennuyer, que nenni, c’est du camping quatre baguettes au guide Michelin, avec animations originales ! Le silence bienvenu lié à la désertion de la capitale par les aoûtiens fait place au concert des coups de marteau, aux chants du grattage, du ponçage, au ballet des ouvriers et de leur matériel. Les v-a-c-a-n-c-e-s !
Les ouvriers partis, vous reconstruisez grain de riz par grain de riz votre antre nippone, et ,l’hiver venu, … votre voisine récidive !
                Vous qui partez en vacances, faites comme moi pour la QUATRIEME année consécutive (oui, quelle injustice, je ne figure toujours pas au livre des records), campez dans votre appartement !
 
P(ériode) S(oldes) : Cède voisine. Affaire à saisir, en cas de canicule, vous serez hydratés !
Copyright Karine Fléjo, juillet 2007

Des livres et moi! de Karine Fléjo

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Des livres et moi! , de Karine Fléjo

22 juin 2007

Vous pensiez que les livres ne parlaient pas ? Permettez-moi d’en douter. Oh, non pas que je remette en cause votre bonne foi, mais je peux vous assurer que vous le saviez. Vous le saviez sans le savoir. Oui, vous ! Vous qui en cet instant même posez les yeux sur moi, c’est à vous que je parle ! Ne cherchez pas partout d’où vient cette petite voix, je suis là, juste devant vous ! C’est la voix de mon encre qui s’adresse à vous. Voilà, je sens à votre regard posé sur mes pages que vous m’avez identifiée. Et, l’incrédulité passée, vous prenez conscience qu’en effet vous le saviez. Quand un auteur vous touche, quand un livre vous fait connaître des transports comme seule la lecture peut parfois en susciter, ne vous dites-vous pas en effet : “ Comme cet ouvrage me parle ! ” C’est bien là ce que vous vous dites n’est-ce pas ? Vous voyez, je lis en vous comme dans un livre ouvert. Un livre qui lit son lecteur : un comble, non?

 Je ne sais pas si mon histoire vous parlera, si l’orpheline que je suis trouvera en vous un adoptant potentiel, mais quelles qu’aient été vos motivations initiales, vous avez fait le premier pas vers moi. A moi à présent de ne pas vous décevoir, de faire en sorte qu’au fil de mes pages l’alchimie opère, qu’en apprenant à me connaître, vous éprouviez le désir de me reconnaître, que votre curiosité se transforme en affection. Et votre affection en amour.

Je vis dans le plus grand orphelinat de France, que d’aucuns nomment Bibliothèque François Mitterand. Nous sommes des millions d’enfants d’encre et de papier à y avoir été abandonnés par leur auteur. Je n’ai pas à me plaindre me direz-vous, car nous y recevons la plus grande attention et les meilleurs soins. C’est même la Rolls des orphelinats ! Et pourtant, bien que consciente du privilège qui est mien, j’aspire à quitter cet endroit, animée d’un fol espoir : trouver un parent.

            Dernière arrivée dans l’institution, tout le monde ici m’appelle “ la petite nouvelle”. Je ne pèse en effet que six pages à peine. Je suis une enfant née sous X,  rédigée par un anonyme. Une absence d’identité matérialisée par les pages vierges de mon histoire, pages que mes multiples interrogations ne sont pas parvenues à habiller de réponses. Qui est l’auteur de mes jours ? M’a t-il seulement aimée, désirée ? Et après ma naissance sur papier, pourquoi m’a t-il abandonnée ? Ma reliure et mon papier n’étaient-ils pas d’assez bonne qualité? Mes traits ne n’étaient-ils pas le fidèle reflet de ce qu’il avait voulu faire naître sous sa plume ? Ai-je d’autres frères et soeurs d’encre ? Le fantôme de ces pages blanches du chapitre introductif de ma vie hante souvent mes nuits. Des nuits blanches elles aussi, bruissant de fantômes abandonniques armés de massicots, de perforeuses et de broyeuses à papier cherchant à me réduire à l’état de copeaux.

           Mais ne vous méprenez pas pour autant : je suis une enfant dotée d’une fragilité forte. Le poids de ma détermination à trouver des parents aimants est inversement proportionnel à celui de mes six petites pages. Je sais qu’un jour, je quitterai cette salle de lecture, ces tours verrées. Oui, je fuirai loin de cette geôle de solitude. Quand ? Je l’ignore. Mais en être intimement convaincue, dussé-je faire montre au regard de certains d’un optimisme désespérant, est déjà salvateur en soi.

Pour affronter l’attente sur mon étagère, j’ai une arme magique : je m’invente des vies merveilleuses, gonfle mes pages d’un souffle de grandeur, redressant ainsi ma charnière et détendant les nerfs de mon dos. Je réécris mon histoire, anticipe sur son issue et, dans une bataille de chapitres, fais en sorte  de l’emporter haut la plume avec une conclusion heureuse sur mon adoption. Un trait de caractère que j’ai peut-être hérité de mon auteur, qui sait ?
J’ai toujours aspiré à devenir l’auteur de mon avenir, l’écrivain de mon devenir. Et cette détermination exclut que la moindre page, la moindre ligne, le moindre mot, la moindre ponctuation de mes chapitres futurs soient rédigés à l’encre de mes blessures. Mes feuillets, jusque-là habillés de mots sombres, se draperont de vocables doux comme de la soie, légers comme les baisers déposés sur le front d’un enfant. Syllabe après syllabe, mot après mot, phrase après phrase, j’approcherai le bonheur du bout de ma plume, je l’apprivoiserai. Oui, mes phrases gagneront en grâce, enchaîneront entrechats et pirouettes dans des tournures vives et aériennes, sans anacoluthes ni solécisme. Tantôt simples, esquissant de douces allégories, tantôt contractées pour se faire ellipse et accroître leur force expressive, elles défieront la loi de la pesanteur, effleureront à peine le papier tels des chaussons de pointe pour mieux s’envoler à nouveau.
L’ouvrage chétif que je suis deviendra un livre relié, un être robuste dont les cahiers seront cousus sur des nerfs résistants. Ma couverture cartonnée se fera bradel puis maroquin. Mon papier jauni et rêche deviendra vélin. Mes pages se draperont de mots d’amour puisés à l’encre des yeux d’un parent.
Et c’est cette capacité à rêver ma vie dans l’attente de vivre mon rêve qui me sauve. Le rêve de ne plus être ce livre passe-muraille dont les mots traversent les esprits et les coeurs sans y marquer son empreinte.

 

          Mais pour l’heure, c’est face à vous que je me trouve, dans le champ de votre regard et qui sait, peut-être même dans celui de votre coeur. Je vous ai ouvert grand mes pages, vous ai livré mon texte, à nu, sans artifice. J’ai scruté votre visage, lu sur vos traits tandis que vous lisiez mes pages, dans une lecture duale. Car à présent vous connaissez ce secret : les livres lisent eux aussi. Sans que vous vous en doutiez, nous lisons à travers les expressions de votre visage les émotions qui le traversent.

         Or là, je vois que vous hésitez… Auriez-vous le coeur de me laisser après avoir si longuement caressé mes pages du regard ? Avant de vous prononcer, laissez-moi vous dire ceci : si vous ne savez pas si vous m’aimez au point de désirer m’adopter, je peux vous confier pour vous avoir longuement observé, qu’en ce qui me concerne, je vous aime déjà. Et puis, je ne prendrai pas beaucoup de place dans votre propre bibliothèque, je ne pèse que six pages !

 

Alors laissez mon épilogue s’achever sur notre adoption réciproque : DELIVREZ-MOI! !

Copyright Karine Fléjo, juin 2007

Passe pores, de Karine Fléjo

Yukiko
Passe pores, de Karine Fléjo
18 juin 2007
La réussite à l’école, c’était l’obsession de son père. Chaque soir, dès son retour du travail, il montait dans sa chambre pour lui demander ses dernières notes et superviser ses devoirs. Pour le calcul, elle connaissait ses tables d’addition et de soustraction par cœur depuis longtemps. Il les lui avait apprises dès la maternelle. Elle faisait l’acheteuse, lui le marchand, et ils jouaient à calculer combien elle lui devait et la monnaie qu’il fallait rendre. C’étaient les seules fois où elle pouvait remplir son caddie virtuel rien que de nougats chinois et de gâteaux à la noix de coco. Parfois, elle rajoutait un paquet de cigarettes mentholées sur sa liste, pour lui montrer qu’elle ne l’oubliait pas. 
 Puisque qu’elle savait compter, il veillait donc surtout au français. Et le français, c’était les autodictées, ces phrases qu’il fallait apprendre par cœur et savoir réécrire sans oublier aucun mot, et sans aucune faute non plus. Elle les apprenait avant son arrivée et les écrivait ensuite sur son ardoise pour qu’il les corrige. Elle ne se trompait jamais. Enfin, presque jamais. Et le sourire qui dans ces moments-là éclairait le visage de son père valait tous les trésors du monde. Elle désirait tant qu’il soit fier d’elle ! Oh, elle eût préféré qu’il l’aimât de façon inconditionnelle, première de la classe ou cancre, mais il ne fallait pas se montrer trop exigeante. Etre sur son cœur une touriste de passage valait mieux que de n’y séjourner qu’en passagère clandestine et risquer d’être reconduite aux frontières. Elle savait que son carnet de notes était son passeport, celui qui lui permettait de trouver l’asile affectif en lui. Et de vivre toujours la peur chevillée au ventre qu’il ne lui soit retiré si les notes obtenues n’étaient pas celles de l’excellence.
 
Les notes comme visa.
 
Un visa qu’elle avait bien failli se voir refuser quelques jours plus tôt, tout ça à cause des accents. Tout avait bien commencé pourtant.  Elle n’avait fait aucune faute à l’autodictée et il l’avait félicitée, tout particulièrement pour n’avoir pas oublié l’accent sur le mot « voilà ». Le cœur de Yukiko s’était mis à tambouriner de joie dans sa poitrine, tandis qu’une colonie de lucioles avait investi les prunelles de ses yeux. … Jusqu’au moment où il lui avait demandé comment se nommait cet accent. Elle avait trouvé la question facile et avait répondu sans hésiter : « l’accent qui descend ». Le sourire du père s’était instantanément fané. Il avait pris la craie, écrit « thé » et posé la même question. D’un filet de voix à peine audible, elle avait murmuré : « l’accent qui monte ».
Il avait soupiré.
Elle avait frémi.
Il avait fait une dernière tentative pour voir si elle était aussi  nulle qu’il le redoutait. Elle ne le déçut pas avec l’accent « en forme de chapeau chinois ».
 
Heure grave. Chagrin de Yukiko aigu. Sourcils du père circonflexes.
Tout le prestige du « voilà » s’était envolé dans la gravité d’un accent…
 
 
Mais aujourd’hui, elle revenait de l’école le cœur léger, sautant par-dessus les ruisseaux, respirant à pleins poumons les délicates fragrances des cerisiers en fleurs, chantonnant de sa voix douce comme un shakuhachi. Et pour cause…. Dans son cartable, un précieux document, son relevé de notes trimestriel, celui qui allait perméabiliser les frontières : un passe-pores bardé de A.  A comme Amour. A comme Affamée. A comme Affection. A comme Asile Accordé.
Elle était passée en tête de sa classe.
Il serait fier.
Elle passerait en tête de son coeur.
Il l’aimerait.
Pour de vrai…
 Alors Yukiko chantait. Yukiko dansait. Yukiko volait. Elle ne serait plus une saltimbanque de l’amour, une sans-cœur-fixe, mais une résidente permanente de ce territoire paternel ô combien convoité.
Du moins l’espérait-elle.
Du moins avait-elle besoin d’y croire…
Copyright Karine Fléjo, juin 2007

Bulles de savon, de Karine Fléjo

Bulles

Bulles de savon, de Karine Fléjo

14 juin 2007


Assise sur un banc, elle contemplait la vie en spectatrice. Depuis son départ elle demeurait en coulisses, silencieuse et  discrète, se mêlant à la foule sans y marquer son empreinte.
Du square voisin elle avait fait sa scène de théâtre , scène où à leur insu, les inconnus jouaient pour elle la pièce de la vie. Elle s’y rendait chaque jour vêtue de son kimono de soie rouge framboise et de son ombrelle, serrant contre son obi un livre, toujours le même, le dernier qu’il lui avait offert.

Ce jour-là, son oreille cueillit soudain des rires cristallins, frais comme le chant d’une cascade. Elle tourna la tête et aperçut un petit garçon soufflant sur des bulles de savon.


Son regard s’arrêta sur ses cheveux blonds comme les blés. Comme LUI.

Au regard d’un bleu presque iréel volé à l’azur des cieux. Comme LUI.

A la silhouette longue et élancée. Comme LUI.

LUI petit.

Peut-être.

Impossible de détacher son regard de cet enfant, de ce petit bonhomme qui contemplait les bulles de manière extatique. Il prit très vite le rôle principal dans son théâtre intime, n’ayant pour tout metteur en scène que ses émotions. 

Les bulles, légères, dansaient et virevoltaient sous la brise. Petites ballerines ondoyant sous la chorégraphie du vent.  Tutus d’eau et de savon diaprés sous le soleil de printemps. Fragiles et éphémères.

L’une d’elle frôla son visage, prenant appui sur sa joue avant de s’envoler. Il la captura dans le lasso de ses yeux. Puis il décida de se l’approprier.
Il voulait la faire danser sur la paume de ses mains, se mirer dans sa surface moirée. Or la bulle multipliait les arabesques, les sissonnes, les entrechats et n’entendait pas tirer sa révérence. Alors le petit garçon l’appela :

-Bulle, ne pars pas ! Reste avec moi !

Mais la bulle dansait, dansait, aérienne, et restait sourde à ses appels.

Il se mit alors à la poursuivre.

Il courut de toutes ses forces, bras levés au ciel, derrière son diamant volant.
Le vent tourna. La bulle près de lui repassa.

Il jubila.

Il tendit ses petites mains sucrées.

-Viens, je ne veux pas te faire de mal !

Elle ne se méfia pas de cette peau délicate à la douceur de soie et s’approcha.

Il referma ses mains sur elle…


Il y avait déjà plusieurs heures que le spectacle était terminé. La veilleuse de la lune avait remplacé les spots solaires. Les rideaux bleu nuit parsemés d’étoiles étaient tombés. Tous les acteurs avaient quitté la scène.
Seule sur son banc, ombre chinoise dans le halo lunaire, elle attendait.
Figée dans son ankylose.
A la même place.
Sur le même banc.

Qui attendait-elle ?

LUI ?

Comme la petite bulle, entre ses mains son cœur avait éclaté.


Bercée par les flots de la Seine
Assise devant la scène,
Elle attendait.

Aux premières lueurs de l’aube,
Lorsque le soleil sortit du lit des flots,
Sur les deux L de son pronom,
… elle s’envola.
D’elle, il ne restait plus que deux « e« .
Eux.

Dansant ailes contre ailes dans l’azur des cieux.

Et sur le banc, feuilles battant au vent, son livre :  « Avant, pendant, après »…

Copyright Karine Fléjo, juin 2007