Le pays de l’absence, Christine Orban : le deuil d’un idéal

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Le pays de l’absence, Christine Orban

 Éditions Albin Michel, 2011. 

 

Le deuil d’un idéal  

Appel de la mère de l’auteur, éplorée. La septuagénaire a en effet recueilli un animal abandonné dans la rue, perclus de froid et de faim. Le lendemain, lorsqu’elle arrive au domicile de sa fille, c’est le choc : ledit animal n’est ni un chat, ni même un chien…mais un singe en peluche. Cette femme qui a conservé toute sa beauté, tout son charisme, dont les traits lisses et apaisés ne laissent rien soupçonner des joutes qui se livrent dans l’oratoire de son cerveau malade n’est pourtant plus la même. Physiquement présente, ses pensées s’évadent de plus en plus vers ce pays de l’absence, pays dans lequel le temps érige chaque jour des frontières plus hautes entre mémoire et oubli.

 La mère de l’auteur est en effet atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Une maladie qui ne sera citée qu’une fois tout au long de ce témoignage bouleversant. Car si les situations évoquées nous permettent d’appréhender avec justesse et pudeur ce qu’est le quotidien de l’entourage, c’est aussi l’opportunité pour Christine Orban de rembobiner le fil de la vie pour remonter jusqu’à sa prime enfance.

A ce moment charnière où la mémoire de sa mère et son ancrage à notre monde se délitent, où les rôles s’inversent puisqu’il lui faut devenir la mère de sa mère, c’est l’heure des bilans. Qu’en a t-il été de leurs rapports mère-fille depuis toujours ? Cette femme élégante, joyeuse, gamine, mère peut-être trop précocement, s’est-elle seulement comportée un jour en maman à son endroit ? L’enfant s’est vu voler son insouciance tandis que sa mère continuait à s’amuser. L’inversement des rôles n’a donc pas attendu la maladie pour opérer…

Avant que les frontières de ce pays de l’absence ne deviennent imperméables, que le chemin de la parole ne mène plus à aucune communication entre la mère et la fille, Christine Orban tente de s’infiltrer dans la brèche. Et s’il était trop tard à présent pour partager avec sa mère qu’elle chérit tant, dût-elle s’est construite en opposition à elle, ces non-dits, ces joies, ces frustrations, ses passions, tout ce qu’elle aurait aimé partager avec une maman ? Avec sa maman. Et s’il lui fallait accepter de faire le deuil d’une mère idéale, de devoir à tout jamais renoncer à la changer ?

Avec sobriété, sans effet de style ni pathos, Christine Orban nous livre un récit empli d’amour, de sensibilité, de détresse aussi, sur cette femme qu’elle admire et dont elle eût tant aimé faire la fierté.

 P97 : «  Il est possible qu’elle ne pense à rien quand son regard se fige. Est-ce possible que le vide se soit glissé dans sa tête ? Le vide, le vent, l’air, la glace, le courant d’air, le néant. Le vide a rempli le cerveau de ma mère ; elle flotte dans le temps, elle flotte dans l’espace, elle est là et elle n’est plus là. »

 

Informations pratiques :

Prix éditeur : 15€

Nombre de pages : 168

ISBN : 9-782226-218667

Pleins feux sur « L’homme sans lumière » de Richard Andrieux

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L’homme sans lumière, Richard Andrieux.

Editions Pocket, Mars 2011

 

Pleins feux sur L’homme sans lumière.

 

Gilbert Pastois vient de perdre la femme qu’il a tant aimée, Jeanne.  Comme cet inconnu croisé dans un café, puis suivi au cimetière, dont il observe depuis au quotidien les moindres faits et gestes. Un intérêt obsessionnel qui trouve ses germes dans le terreau de souffrances communes qu’ils partagent. Il voit en lui un homme miroir. Un autre « condamné » au malheur.

Car pour Gilbert, la souffrance est génétique.

Une fatalité.

Une douleur abyssale l’envahit, qu’il tente de combattre à renfort d’alcool, de cigarettes, de vidéos pornos. Pauvres compagnons d’infortune. Car y a-t-il plus grande souffrance que celle qui à tout moment vous dégoûte sourdement de la vie, sans pour autant vous donner l’envie d’en finir ?

Le cœur et l’âme en lambeaux, il entreprend alors de se raccrocher au fil ténu de l’existence grâce à l’écrit. Il exorcise ses maux sur des pages bleuies de mots. Des lettres qu’il adresse à cet homme, cet alter ego dont il est intimement convaincu qu’il saura le comprendre, entendre sa détresse muette. Voire y répondre. Certes, il y a un point non négligeable qui les sépare : l’inconnu est veuf, lui non. S’il est seul aujourd’hui, c’est parce que Jeanne l’a quitté. Pire : pour un autre homme. Un homme apte au bonheur, lui.

 Tout au long de ce roman épistolaire, qui noue le lecteur à la gorge, Richard Andrieux maintient le suspens sur cet Autre, ce destinataire des courriers. Est-il né du cerveau malmené de Gilbert ? Existe t-il vraiment ? Et si oui, ce pont d’encre et de papier érigé par Gilbert, accostera t-il sur la rive de l’Autre ?

Ce roman sombre brille par le talent de l’auteur, sa capacité extraordinaire à créer une très grande intimité entre le personnage et le lecteur. Les lettres délient le cœur de Gilbert, lui offrent le recul nécessaire à l’expression de son mal-être, le temps de choisir les mots sur mesure pour habiller le corps de ses émotions. Elles nous lient à lui, nous le rendent proche, nous touchent tels des uppercuts en plein cœur.

Si le héros de son roman est convaincu n’avoir jamais su briller, Richard Andrieux, à l’instar de son premier roman ‘José’, nous offre une plume étincelante qui sait mettre en lumière l’universalité dans ce qu’il y a de plus intime.

Citation : « Qu’y a t-il de plus beau que les souvenirs? Plus le temps passe, et plus on peut les embellir, les déformer à souhait, sans que personne ne s’en rendecompte. » 

Informations pratiques :

Prix éditeur5.10 €

Nombre de pages :144

ISBN :2-266-19485-2

Rose, Tatiana de Rosnay : une talentueuse floraison !

P1020778

Une talentueuse floraison 

« Préservez notre maison, Rose, ne laissez pas ce baron, cet empereur… » Armand, le cher et tendre époux de Rose, n’aura pas le temps de finir sa phrase avant de rendre son dernier souffle. Mais nul besoin d’en dire davantage. Rose comprend. Et promet. Cette maison qui a vu naître leur amour, ces pièces dont chaque mur, chaque empreinte sur le sol raconte une histoire, ne saura être sacrifiée au nom des travaux pharaoniques entrepris pour faire de Paris une grande cité moderne.

Et l’espoir premier que la demeure rue Childebert soit épargnée car proche de l’église Saint Germain, de céder la place au combat d’une femme forte et déterminée quand arrive la lettre d’expropriation.

Car ce que l’ « Attila de la ligne droite « ,  » le baron éventreur » veut,  n’est pas de nature à intimider Rose. A l’instar de la fleur éponyme, celle qui sait si bien se faire velours quand il s’agit des êtres aimés, s’avère être une redoutable résistante sortant ses épines dès lors que l’on ose s’attaquer à ce qu’il lui reste de plus cher : sa maison. « Cette maison est mon corps, ma peau, mon sang, mes os. Elle me porte en elle comme j’ai porté nos enfants ». Elle n’abdiquera pas. Jamais. Le rythme soutenu des démolitions et des expropriations peut bien continuer. Les rues médiévales n’être plus que champs de ruines, gouffres béants, nuages de suie, de poussière, de cendre, vacarme assourdissant. Rose lutte, résiste et relate son combat quotidien dans des lettres rédigées à son défunt bien-aimé.

Avec ce roman épistolaire, Tatiana de Rosnay nous offre un voyage dans le temps, sous le second empire, à cette époque du Paris des petits métiers aujourd’hui disparus avec ses porteurs d’eau et leurs ânes, ses livreurs, ses balayeurs. Le Paris des rues sinueuses et sombres au charme si pittoresque.

Un Paris en sursis.

Car le baron Haussmann, sans aucun état d’âme, va redessiner la capitale. 

Un roman indiciblement vivant, où même la maison devient un personnage à part entière. Car la maison vit elle aussi, parle à qui sait l’écouter, tremble de par les secrets qu’elle abrite, vibre à l’évocation des souvenirs heureux, lutte pour maintenir ses murs debout face à sa condamnation proche…

  Cette maison, le tuteur de Rose, sa colonne vertébrale, son souffle, sa vie, a  bien des révélations à nous faire…

 

Avec ce roman Rose, c’est un bouquet d’émotion dans toutes ses acceptions qui cueille le lecteur. Et ne le quitte plus…Majestueux.

 

Pour une plongée dans l’univers de Rose, rendez-vous sur le site compagnon :

http://www.tatianaderosnay-rose.com/ 

Vous y trouverez entre autres un résumé du livre, plusieurs textes de l’auteur, une interview du traducteur…

 

Informations pratiques :

Prix éditeur : 19€

Nombre de pages : 256

ISBN : 978.-2-35087-160-8