A cause d’un baiser, Brigitte Kernel : 366 pulsations

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A cause d’un baiser, Brigitte Kernel
Éditions Flammarion, Janvier 2012

    « Elle était si parfaite, comment avais-je pu aimer soudain une autre personne ? Comment cela avait-il été possible? Que deux coups de téléphone, un déjeuner, un baiser, un seul baiser et quelques caresses remettent à ce point ma vie, notre vie en question? »  

    La narratrice est à ce point crucial de sa vie où tout peut basculer, fragile funambule en équilibre sur le fil de l’amour. Un baiser, un seul baiser a suffi à déclencher un cataclysme en elle, à risquer de faire exploser le couple si fusionnel qu’elle forme avec Léa depuis trois ans. Un baiser qu’elle a préféré avouer à Léa. Par souci de transparence, d’honnêteté. A moins qu’inconsciemment elle ne se délestât d’un poids trop lourd : celui de la culpabilité écrasante d’avoir cédé à cette pulsion, d’avoir trompé celle qu’elle aime tant. Ou… qu’elle aimait tant ? Présent, imparfait, elle ne sait plus à quel temps conjuguer leur amour. Car ce baiser constitue sans aucun doute à ses yeux une trahison, une tromperie. Elle qui vit dans la peur permanente de blesser sa compagne, fragile petit oiseau blessé, va pourtant susciter une douleur térébrante en elle par cet aveu.
    Aurait-elle mieux fait de se taire ?  Faut-il tout dire à l’être aimé? Et si seulement elle avait  fui les lèvres de Marie ? Mais doit-on résister aux tourbillons du désir et s’empêcher de vivre d’aussi divins vertiges ?
   

     Elle ne sait pas, ne sait plus. Son coeur est comme une boussole affolée qui ignore quelle direction prendre, quelle femme aimer. Sa raison lui dicte de rester avec Léa, si douce, si fragile. Léa qui avant elle, a aimé et perdu l’amour de sa vie, Louise, grand reporter, dans un accident tragique. Léa pour laquelle le spectre de Louise est encore si présent. Léa, à fleur de peau, à vif.
    Mais son coeur lui susurre tantôt le prénom de Léa, tantôt celui de Marie, dans une valse incessante. Une valse à trois temps où Brigitte Kernel analyse au scalpel de sa plume la relation amoureuse, avec une justesse chirurgicale : la déchirure, la déconstruction et la reconstruction. Un tempo rapide, soutenu, à l’image d’un coeur battant, celui d’une femme qui aime, qui tremble, qui souffre, qui espère, qui pleure, qui doute.
   

     A cause d’un baiser n’est pas un roman de 366 pages que l’on tient entre ses mains, mais un coeur avec 366 pulsations… Un coeur battant. Magnifique !

P. 68 : Combien de temps une scène, une photographie, une situation, un objet ou une couleur renvoient-ils à la blessure infligée par une séparation? Que l’on soit quitté ou que l’on ait quitté, car il est vrai que certaines ruptures sont si difficiles à vivre qu’elles dépassent la souffrance engendrée par le deuil d’un parent ou d’un ami.

Informations pratiques :
Prix éditeur : 18€
Nombre de pages : 366
ISBN : 978 2 0812 6709 1

Interview de Grégoire Delacourt pour « La liste de mes envies »

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  Grégoire Delacourt m’a accordé une interview à la faveur de la parution le 1er février de « La liste de mes envies », son deuxième roman aux éditions JC Lattès.  Un roman juste…éblouissant. Rencontre émouvante avec  « L’écrivain de la famille »  du Talent avec un T majuscule.

 

Karine Fléjo : Plantons rapidement le décor. L’héroïne est une femme de 47 ans, Jocelyne, surnommée Jo, mariée à Jocelyn depuis plus de 20 ans dans la ville d’Arras. Une femme bienveillante, de bonne volonté, qui sait voir et apprécier les bonheurs du quotidien dans leur plus simple expression : son mari qu’elle aime inconditionnellement, ses enfants, sa mercerie, les moments passés avec ses amies jumelles, les échanges qu’elle entretient avec les lectrices de son blog « dixdoigtsdor ». Et soudain, soudain elle gagne à l’Euro Millions. Elle dresse alors avec une certaine gradation trois listes : celle de ses besoins, de ses envies et de ses folies. Mais quel usage en fera t-elle finalement? Nous laisserons le soin au lecteur de le découvrir. On peut à priori tout s’acheter avec 18 millions d’euros. Mais Jo est très lucide. « Je possédais ce que l’argent ne pouvait pas acheter mais juste détruire. Le bonheur. » Pensez-vous que si nos besoins, « nos petits rêves du quotidien » pour vous citer, peuvent être tous assouvis, alors on perd le sel même de l’existence, ce que Victor Hugo traduisait à sa manière en disant que « C’est par le réel qu’on vit, c’est par l’idéal qu’on existe » ?
Grégoire Delacourt : Ce sont tous les petits bonheurs quotidiens qui font qu’on tient debout, qu’on a du plaisir à vivre. Les grands objectifs, les grands idéaux de vie, la passion, tout cela reste abstrait, ce sont des rêves, ce n’est pas ce qui nourrit au quotidien. Or on a besoin de repères en permanence ancrés dans la vie de tous les jours : emmener son enfant à l’école, faire la révision de la voiture, etc. Les rêves, il ne faut pas tous les réaliser,  c’est rendre beau ce qui ne l’est pas. Si toutes les femmes étaient belles, si tous les hommes étaient beaux et gentils, si toutes les voitures étaient silencieuses, on s’ennuierait comme des rats morts !

KF: Cela pose la question de savoir si ce qui est essentiel à notre bonheur s’achète ?
GD : Non, cela ne s’achète pas. Vraiment. Rien ne s’achète, à part les choses mauvaises. On reçoit les choses. Après elles déçoivent ou pas, on les accepte ou pas, mais on n’achète pas. Bien sûr, les chômeurs, ceux qui n’ont pas d’argent, vivent moins bien que ceux qui en ont, mais ce n’est pas de cet argent-là dont je parle, c’est de ce qu’il est possible de faire dans la métaphore.
KF : Jo se rend compte en effet, que ce qui est le plus important à ses yeux, ce qui contribue le plus fortement à son bonheur, elle ne peut pas l’obtenir avec de l’argent. Elle cite notamment ce passage de son journal intime :  «  J’aimerais avoir la chance de décider de ma vie; je crois que c’est le plus grand cadeau qui puisse nous être fait » rejoignant Frédéric Dard  et son « Etre est plus important qu’avoir. Le rêve c’est d’avoir de quoi être. » Décider de sa vie, n’est-ce pas là que se trouve le plus grand luxe de l’existence, bien éloigné des considérations fiduciaires ?
GD : Oui, car décider de sa vie n’a rien à voir avec l’argent. Décider de sa vie, c’est décider de dire « Je ne suis pas heureuse avec quelqu’un, je m’en vais ». C’est l’anti-syndrôme de la femme battue qui dit toujours « ça ira mieux demain ». Décider de sa vie c’est choisir d’être libre, c’est choisir son propre équilibre, le respect de soi-même à ses propres yeux. Et surtout décider de ce que l’on ne veut plus… Cela rejoint le sujet de « L’écrivain de la famille » (JC Lattès 2010) qui n’a pas décidé de son destin.

KF : Jo est en quelque sorte une fragilité forte. La vie ne l’a pas épargnée et pourtant, elle est heureuse, positive, généreuse. Elle puise sa force dans le regard qu’elle porte sur elle. Elle sait ne pas répondre aux canons de la beauté, avoir des kilos en trop, la chair flasque, mais quand elle se regarde dans le miroir, elle se sent belle dans son regard. Et cette beauté la rend heureuse, lui donne une force à même de surmonter les aléas du quotidien. Une des clefs du bonheur passe t-elle selon vous par le regard que nous portons sur nous-mêmes, par cette capacité que nous avons ou pas à nous aimer tels que nous sommes?
GD :  C’est très juste. Je crois qu’on est très dur avec soi-même car on a été habitué à vivre avec le regard des autres : parents, amis, les codes, les rites, la mode,… Si on arrive à faire abstraction du regard des  autres et qu’on essaye de voir son vrai soi et ce que l’on a de bien, alors on se rend compte qu’il y a une belle personne en tout le monde. On se donne des forces, de la joie. Toujours cette notion d’équilibre. On décide de sa vie : je suis comme je suis, je vais faire avec. On se donne du bonheur. Et le bonheur rend beau. Une femme belle est d’abord une femme heureuse.
KF : « Etre heureux, c’est être beau dans le regard des autres ». Jo a cette beauté-là, elle incarne ce désir de rendre sa vie jolie. Elle l’enjolive notamment via l’écriture. L’écriture, très présente dans votre premier roman avec Edouard qui a rédigé ses 4 premières rimes à l’âge de sept ans et en lequel sa famille voit un génie littéraire. Edouard dont le père dit à ce titre qu’ Ecrire guérit. Ici, Jo tient un journal intime les 17 premières années de sa vie, puis tandis qu’elle tient sa mercerie, décide de renouer avec l’écriture via un blog sur le tricot, la broderie, blog qui est un vif succès et la source d’échanges multiples et bienfaisants avec ses lectrices. L’écrit a t-il un rôle curatif ?
-GD : En ce qui me concerne, l’écriture me rend très joyeux. J’écris avec une vraie joie, une grande excitation, c’est très très agréable. Il n’y a pas de douleur. Chez moi l’écrit n’est pas une sorte de psychanalyse. Il faut d’ailleurs que je précise pourquoi Jocelyne écrit et tient un blog : c’est à cause de vous avec votre blog Koryfée et de deux ou trois autres blogueuses. Parce qu’à la faveur de mon premier livre, j’ai découvert cet univers des blogs, où vous racontez votre passion pour les livres avec des mots qui donnent envie de lire, de prendre le livre en mains, et qui, quand on voit les commentaires, rendent plein de gens heureux. Jo va se servir de ce blog pour créer du lien social, pour créer une communauté de gens qui parlent de choses réelles (points de croix,  tricot, …), qui s’unissent autour d’une passion et se donnent du bonheur.

KF : Dans ce roman, vous vous glissez dans la peau d’une femme. Les émotions véhiculées, le ressenti, le ton sont d’une justesse chirurgicale au point qu’on en oublie complètement que c’est un homme qui tient la plume ! C’est une véritable ode aux femmes.
GD : Écrire à la place d’une femme me fascinait. Avoir l’impudeur de laisser ma part féminine, de laisser une tendresse d’homme, des larmes sortir sans être accusé de légèreté. Car il y a quelque chose qui me fascine dans la représentation des femmes à travers la littérature et le cinéma, c’est que les femmes peuvent mourir d’amour. Pas les hommes. Ça m’intéressait de croiser et de poser la question pour une fois : est-ce qu’un homme pourrait mourir d’amour s’il n’est pas aimé, s’il est trahi? Et est-ce qu’une femme pourrait vivre sans? Ou vice-versa? Est-ce qu’on peut encore mourir d’amour aujourd’hui? L’homme est fait pour la convoitise, la comparaison, la possession. Les femmes ne veulent pas posséder, elles veulent partager. Tout le malentendu est là…

    Vous l’aurez compris, à travers l’héroïne Jocelyne, ce roman est un magnifique hommage aux femmes, un roman d’une sensibilité aussi vibrante que belle. Plus qu’un coup de coeur, ce roman est un véritable coup de foudre. Un rendez-vous à ne pas manquer le 1er février en librairie !

Site de l’auteur : http://www.gregoiredelacourt.com/

Copyrignt (c) : Karine Fléjo pour Les chroniques de Koryfée

Mon coeur de père, de Marco Koskas : De l’amour d’un père

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Mon coeur de père, Marco Koskas

Editions Fayard, récit, janvier 2012

 

De l’amour d’un père.

    Dans ce magnifique récit livré sous forme de journal, Marco Koskas nous fait partager ses tourments, son amour, ses inquiétudes de père. Ceux qu’éprouvent un papa se définissant lui-même comme « juif-buissonnier », face à la décision imparable de son fils âgé de 16 ans de devenir juif orthodoxe. Fiston, comme il le surnomme affectueusement, a pour cela décidé d’aller dans une pension en Israël, une yéchiva à 4 kilomètres seulement de Gaza. A portée des tirs de roquettes…
Et l’auteur de trembler.
    Une décision que le père respecte. Mais une conviction religieuse et une détermination qui suscitent en lui autant de craintes que d’admiration. Alors il cherche à comprendre pourquoi ce refuge dans la religion. Fiston y cherche peut-être des repères stables, repères fournis par ces rituels immuables des prières? Des repères qu’il ne trouve pas dans le couple parental déchiré, entre sa mère à la vie sentimentale chaotique et son père artiste. Comprendre pour ne pas perdre le lien. Accepter malgré les conflits qui se multiplient entre le père et le fils au sujet de la doxa religieuse. Un rapport de forces permanent où chacun campe sur ses positions. Coups de gueule parfois. Amour toujours.
    Des chroniques quotidiennes qui ne sont pas uniquement l’objet de cette relation père-fils. Dans ce  journal, l’auteur nous dépeint aussi Israël et la vie à Tel Aviv. Des cafés, des restaurants et des plages qu’il aime fréquenter, en passant par les Telavivoises bobos avec leur petit toutou, ses amours, sa vie d’artiste, le déracinement de sa Tunisie natale, le tableau est riche et vivant.

    Avec « Mon coeur de père », Marco Koskas nous livre une magnifique ode à l’amour. Celle d’un père pour son fils. Celle de Marco pour Moshe.

P. 131 : «  C’est un garçon extraordinaire, je ne le sais pas assez. Il aurait pu mal finir, devenir un petit voyou, se défoncer, mais il est juste habité par une fois inébranlable. »

 

 

Informations pratiques :

Nombre de pages : 200
Prix éditeur :16€

ISBN : 978 2213 668 475

Veuf, de Jean-Louis Fournier : la saveur du bonheur

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Veuf, de Jean-Louis Fournier
Éditions Stock, décembre 2011

La saveur du bonheur

« Il faut essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple » disait Prévert. Voilà qui pourrait être le credo de Jean-louis Fournier. Que le propos soit grave, douloureux comme dans le cas présent avec ce récit autobiographique Veuf, mais aussi dans Où on va papa ? ( Éditions Stock 2008), l’auteur réalise le tour de force de ne jamais verser dans le pathos. Mieux, la perte de sa compagne en novembre 2010, après 40 années de vie commune, est l’objet d’une ode à l’amour emplie d’humour, de dérision. La quatrième de couverture, qui est aussi la première phrase du récit donne à ce titre le ton : «  Je suis veuf. Sylvie est morte le 12 novembre. Cette année, on n’ira pas  faire les soldes ensemble. »


Tandis qu’il évoque ces tranches de vie avec celle  qui n’est plus, des balades au bois de Vincennes, aux voyages en traction décapotée, en passant par les brillants documentaires qu’elle a réalisés, les souvenirs se raniment sous sa plume, redonnent consistance et chair à ce bonheur qui n’est plus. Et s’il est un poncif de dire que le bonheur se reconnaît au silence qu’il laisse quand il part, l’auteur se refuse à se laisser aller. La vie est, doit rester belle, malgré les épreuves qui la jalonnent. La vie est, doit rester belle, malgré la tentation, humaine, de baisser les bras face à d’inhumaines douleurs.

Une écriture sans fioriture, simple, juste, limpide, élégante. Un style efficace. Si Jean-Louis Fournier dit volontiers de lui qu’il écrit comme il parle, qu’il « a de l’encre dans la bouche », il a indéniablement un rare talent : celui de faire sourire de ce qui d’ordinaire accable.
Un hymne à l’amour, à la vie, à l’amour de la vie.

Extrait P. 30 : Elle croyait en moi, et grâce à elle, j’ai commencé à y croire. A l’époque, j’étais presque rien, maintenant, je suis presque quelque chose.

Informations pratiques :
Prix éditeur : 15,50€
Nombre de pages : 157
ISBN : 978 2234 070899

Interview de Karine Fléjo, critique littéraire et romancière dans l’émission « Les mots migrateurs », Novembre 2011

L’émission radiophonique  » Les mots Migrateurs », présentée par Philippe Raimbault et Marie-laure Bigand, reçoit Karine Fléjo, romancière et critique littéraire. Interview de Karine Fléjo réalisée par Philippe Raimbault en novembre 2011.