Fabrice Midal : »Du matin au soir, je me demande ce que je peux faire dans ce monde pour qu’il y ait un peu plus d’amour et un peu plus de lumière »

Rencontre avec Fabrice Midal à l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage, La théorie du bourgeon, aux éditions Flammarion/Versilio.

J’ai une formidable nouvelle pour chacun d’entre vous

J’ai une formidable nouvelle pour d’entre vous : vous ne serez jamais zen, calme, jamais insensible, jamais éveillé, cela n’existe pas. Lié à cela, vous ne serez jamais absolument performant comme une intelligence artificielle, vous n’avez aucune chance, contre les robots vous n’avez aucune chance.

Et c’est une très bonne nouvelle

Et c’est une très bonne nouvelle, car c’est parce que vous êtes des êtres humains. Être un être humain c’est pouvoir être touché, c’est pouvoir aimer, c’est pouvoir être vivant. Et la théorie du bourgeon, c’est essayer de célébrer le fait que nous soyons vivants. Et aujourd’hui, c’est plus que jamais important.

Et c’est cela qui peut nous libérer du découragement

Et c’est cela qui peut nous libérer du découragement. Arrêter de vouloir être autrement que nous sommes : des êtres humains.

Ce livre c’est un peu un tournant dans ma vie

Ce livre c’est un peu un tournant dans ma vie. Il faut quand même oser écrire une théorie. Donc il a fallu 40 livres pour oser écrire une théorie et avoir une pensée à la hauteur de notre temps.

J’ai vendu 1 million de livres

Il semblerait que j’aie vendu 1 million de livres. Cela m’a laissé sans voix. C’est invraisemblable, comment quelqu’un comme moi peut avoir vendu 1 million de livres ? Je suis tellement étrange ! Je n’aime pas les chansons et la variété mais j’adore Stockhausen qui n’intéresse absolument personne, je n’ai jamais lu un seul des romanciers à la mode, j’en suis resté à Proust et Kafka, je passe ma vie dans les musées à regarder l’œuvre de Nicolas Poussin et de la modernité, et je me disais comment se fait-il que n’aimant absolument pas ce qui marche, n’ayant jamais regardé la télévision, j’aie ce succès.

Il y a 2 raisons qui expliquent peut-être ce million d’exemplaires vendus

Je crois que je suis animé par le Dieu Eros qui ne me laisse absolument aucun répit. Du matin au soir, je me demande ce que je peux faire dans ce monde pour qu’il y ait un peu plus d’amour et un peu plus de lumière. Et je pense que c’est ça qui, malgré mon handicap, m’a permis d’écrire des livres qui parlent à d’autres. Le deuxième point c’est la chance des rencontres. Si mes livres rencontrent leur public c’est la chance de nombreuses rencontres, dont celle avec mon professeur de philosophie.

Le livre : La théorie du bourgeon

Présentation de l’éditeur : Le découragement est le problème majeur de notre temps. Là où nous pourrions avancer, nous baissons les bras. Là où nous pourrions être victorieux, nous partons perdants. On nous a fait croire que nous devions être dans le contrôle permanent, dans l’efficacité absolue. Mais la vie ne se contrôle pas, elle ne se gère pas. Comment inverser le mouvement ? Comment retrouver l’élan pour sortir de la paralysie qui nous guette, pour rejoindre enfin le monde et essayer de le réparer ? Se fondant sur les enseignements de philosophes qui, comme Nietzsche, Bergson ou Hannah Arendt, ont affronté ce péril majeur avec lucidité, Fabrice Midal nous amène à reprendre confiance en nous et en l’humanité. Avec La théorie du bourgeon, il nous apprend à cultiver la vie dans son surgissement, ce bourgeon qui réside en nous et qui ne demande qu’à croître pour donner des fleurs, pour donner des fruits. C’est ce remède anti-découragement que je vous invite à découvrir.

Interview de Sabrina Philippe pour son roman « Au nom de toi » (J’ai lu) : « On est vraiment dans quelque chose qui frôle l’emprise »

Sabrina Philippe

A l’occasion du lancement de son roman aux éditions J’ai Lu, sous le titre Au nom de toi, Sabrina Philippe a gentiment accepté de nous parler de son livre. Rencontre avec une auteure aussi lumineuse que ses écrits.

Quel a été le point de départ de ce roman ?

Déjà il faut savoir que c’est plutôt le roman qui vient me chercher, que moi qui vais chercher le roman. Souvent par le biais d’une première phrase qui tourne dans ma tête et à partir de là, c’est presque un ruban qui se déroule malgré moi. Et il y a eu aussi quelques rencontres. J’ai rencontré beaucoup de personnes qui travaillaient dans le bien être, le développement personnel, certaines formidables, d’autres plus mercantiles. Au fil du temps, je me suis rendu compte que ça devenait un très gros business. Cela a commencé à me gêner dans ma déontologie de psychologue, car je me suis dit on ne peut pas faire tout et n’importe quoi avec la souffrance des autres. Puis à force de rencontrer un, deux, trois personnes qui travaillaient dans le développement personnel et avoir vu combien leur vie ne correspondait pas à celle véhiculée sur les réseaux, alors sans doute que l’idée a aussi germé là.

Des dérives mercantiles sont apparues avec le développement personnel

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Au début, l’héroïne pense qu’elle va faire du bien aux autres, elle a une bonne intention de départ. Mais ces intentions peuvent se transformer. En tant que psychologue, j’ai vu beaucoup de patients qui ont souffert de ces dérives, des personnes qu’on mettait en danger. Je ne parle pas des écoles qui prennent un argent fou et qui essayent de remodéliser l’esprit. On est vraiment dans quelque chose qui frôle l’emprise. Nous sommes dans une période où on est un peu déboussolés par cette actualité qui vient nous frapper de façon constante (pandémie, guerre…). Quand on est dans une période de chaos dans notre vie, on a tendance à se rapprocher de la première personne qui va nous dire que cela va marcher. Donc ces dérives surfent là-dessus.

Vous évoquez aussi les thérapies assistées par l’animal

J’ai choisi d’être psychologue pour travailler avec des chiens. Cela n’était pas développé en France. La présence de l’animal simple qui, sans un mot vient nous remettre dans l’essentiel. Juste plonger sa main dans le pelage d’un animal c’est bien mieux que de se dire qu’on va faire une méditation guidée par je ne sais pas qui. C’est aussi un retour à la nature, ce livre.

–>Retrouvez l’article consacré à ce roman ici : chronique de Au nom de toi

Sabrina Philippe Au nom de toi J'ai lu

Ecrire des polars : interview de Céline Denjean, Sandrine Destombes, Cécile Cabanac

Découvrez trois auteures de polar fascinantes et éminemment sympathiques, Céline Denjean, Sandrine Destombes et Cécile Cabanac. Des romancières qui font partie de l’association Les louves du polar, association qui a pour but d’améliorer la visibilité du polar féminin francophone.

Dans l’écriture de polars, quelles limites vous fixez-vous, Céline Denjean, Sandrine Destombes et Cécile Cabanac ?

Céline Denjean : Les limites qu’on se fixe ne sont pas genrées, elles sont très personnelles. Cela n’a rien à voir avec le fait d’être une femme ou un homme qui écrit des polars. Les limites que je me fixe sont celles que j’aurais en tant que lectrice. C’est-à-dire qu’à un moment en tant que lectrice j’ai besoin d’être alimentée par des questions de fond. Le trash pour le trash ne va pas être ma came en tant que lectrice. Donc naturellement en tant qu’autrice je ne vais pas aller dans le trash.  Quand parfois je vais loin dans le mal, dans la mécanique de la violence, parfois je m’arrête et me demande si je le mets, si cela correspond bien au personnage. J’essaye de ne pas sombrer dans quelque chose qui soit complaisant. Je n’ai jamais mis en scène des enfants ou des handicapés, c’est « touchy » pour moi.

Sandrine Destombes : moi je suis embêtée avec cette question. Car j’ai une mauvaise appréciation de ce que j’écris manifestement. Par exemple, quand j’ai rendu mon dernier roman « Les disparus de la Durance » à mon éditeur, je pensais que c’était un roman léger. Pas vraiment un thriller, pas vraiment un polar, gentil quoi. Or visiblement non, c’est un des plus sombres que j’ai écrit me disent les lecteurs. Je n’ai jamais aimé les films gores, le trash. Dans les livres aussi, je n’aime pas cela, sinon je me détache du livre, une distanciation se fait, cela ne m’intéresse plus car c’est juste de l’étalage. En revanche la violence plus psychologique, cela m’intéresse, j’aime bien. Après, je m’appelle Destombes, donc j’ai grandi avec un nom comme ça, il faut un peu de cynisme ! J’aime lire ce qui me dérangerait. Et comme on est notre premier lecteur, j’écris des trucs qui me dérangent, qui me font frissonner.

Cécile Cabanac : Je pense un peu comme mes camarades.  Je pense qu’on finit par s’accoutumer à écrire des choses très noires, qu’on n’est plus très bons juges. On écrit ce qu’on a envie de lire. On va du coup vers ce qui nous intéresse. Moi ce qui m’intéresse c’est de créer le malaise, de créer des tensions entre des personnes où tout va bien à priori. Ma référence, ça reste toujours le film Festen, de Thomas Vinterberg, un film qui m’a stressée énormément, m’a mis une claque phénoménale. J’aime bien créer ces situations qui mettent le lecteur mal à l’aise, qui le placent dans une situation dérangeante.

–> Découvrez les nouveaux polars de ces trois louves, tout beaux, tout frissonnants, aux éditions Pocket !

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Connaissez-vous Les louves du polar?

Destombes Denjean Cabanac
Céline Denjean-Sandrine Destombes- Cécile Cabanac

A l’origine du collectif « Les louves du polar », 6 romancières, auteures de polars. Leur désir? Fédérer leurs forces et leur énergie pour accroitre la visibilité du polar féminin francophone. Rencontre avec trois des louves, Céline Denjean, Cécile Cabanac et Sandrine Destombes, orchestrée par les dynamiques éditions Pocket. Découvrez ces romancières aussi talentueuses que fonceuses!

Comment est né ce projet des Louves du polar?

Cécile Cabanac : Les louves du polar sont nées de discussions entre autrices de polar sur les salons. On se disait : « C’est bizarre, le polar en France est associé au genre masculin ». Et ça, c’est quand même une spécificité française. En Espagne, au Royaume-Uni par exemple, ce n’est pas le cas. Les médias notamment, mettent plus en avant les polars masculins. On s’est alors dit : pas de problème, on va être les moteurs du changement! On va faire savoir qu’on existe, qu’il y a de belles plumes, qu’il y a énormément d’autrices de polars. Et on a décidé de faire connaitre au public cette grande richesse.

Céline Denjean : Concrètement, cela va passer par des sollicitations de libraires, de partenaires, d’organisateurs de salons, d’enseignes du livre. Certains sont aussi venus naturellement vers nous en nous disant qu’ils mettaient beaucoup plus en avant le polar masculin, sans s’en rendre vraiment compte. Cela a opéré une prise de conscience ne eux. Donc beaucoup d’actions sont menées pour valoriser le polar féminin dans sa diversité, car il y a beaucoup de variété, de quoi satisfaire de nombreux lecteurs. Ces actions sont aussi menées sur les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, Youtube), ou dans les vitrines des librairies pour des mises en avant des Louves du polar.

Sandrine Destombes : Je veux préciser qu’il n’y a aucun problème avec nos confrères auteurs masculins de polar. Il ne s’agit pas du tout d’une bataille féministe, on n’est pas dans ce registre-là. Ce n’est pas une guerre des sexes, mais une démarche pour attirer l’attention des médias, libraires. On s’est dit : plutôt que de se plaindre, autant nous, faire du bruit!

Retrouvez le site des louves du polar ici : https://leslouvesdupolar.fr/

Et découvrez les nouveaux polars de ces trois louves, tout beaux, tout frissonnants, chez Pocket !

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Le livre de l’été pour Serena Giuliano, Lorraine Fouchet et Julien Aime

Les éditions Robert Laffont ont orchestré une passionnante rencontre entre auteurs et lecteurs autour du thème captivant du livre de l’été. Qu’est-ce qui définit véritablement un livre de l’été et quelles sont les qualités essentielles qu’il doit posséder ? Quelles attentes nourrissons-nous à son égard ? Autant de questions auxquelles Julien Aime, Serena Giuliano et Lorraine Fouchet ont généreusement répondu, interviewés avec bienveillance par Amélie Cordonnier.

Le livre de l’été représente quoi pour vous Serena Giuliano ?

Les vacances d’été pour moi, c’est soleil, plage et lecture. Le livre de l’été doit me faire oublier le monde autour sur la plage et m’emporter immédiatement. J’aime que les livres aient vécu. Je les corne, parfois ils prennent l’eau, je les emporte partout comme un doudou. Quand mes lectrices amènent mes romans dans cet état je suis très contente, car je me dis qu’elles les ont trainés partout. Qu’ils les ont accompagnées partout.  Pour moi un livre de l’été c’est un livre qu’on traine partout.

Serena Giuliano

Quelle fonction doit remplir pour vous un livre d’été Lorraine Fouchet ?

Chaque année je passe le mois de juillet sur l’île de Groix et le mois d’août à Rome. Et je pars avec une valise pleine à craquer d’une cinquantaine de livres. Le livre d’été doit m’apporter du bonheur, une évidence, du quotidien. Un tapis volant sur lequel on monte sans avoir besoin de billet d’avion, de chapeau ou d’écran total. C’est aussi important que le prosecco ! Le livre de mon dernier été, que j’ai beaucoup aimé est Trois, de Valérie Perrin.

Qu’attendez-vous du livre de l’été Julien Aime ?

Le livre d’été me fait penser à mes grands-parents. J’allais chez eux tous les étés.  Ils étaient instituteurs et il y avait plein de livres partout. A chaque fois je me disais : « Tu vas découvrir de nouveaux romans, de nouveaux auteurs ». J’ai lu tous les Agatha Christie, les Enid Blyton, quand j’étais là-bas. Pour moi c’est plus ce genre de souvenirs les lectures d’été.  Le livre de l’été c’est un roman dont la couverture, l’aspect charnel m’attirent et me donnent envie de l’ouvrir. Je pars un peu au petit bonheur la chance. Je n’ai pas de sujet particulier ou de style en particulier. L’été dernier, j’ai beaucoup aimé « Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu ».

Julien Aime

L’étude Babelio sur le livre de l’été

Selon une étude Babelio menée en avril 2019, le livre de l’été est d’abord un cadeau qu’on se fait à soi-même et 80% des lecteurs font le plein de romans avant de partir en congés. Les lecteurs emportent entre 3 et 5 romans dans leurs valises. Le livre de l’été peut être un court récit ou un pavé, être écrit par un auteur confirmé ou une nouvelle plume. Le livre de l’été doit nous transporter, doit nous permettre de nous évader quand bien-même nous ne partions pas en vacances. Quant au choix des livres, il se fait grâce au bouche-à-oreille.

Et vous, que représente pour vous le livre de l’été ? Dites-moi tout !

Interview de Pierre Lemaitre pour Le silence et la colère

« Je pense que la seule originalité, la seule qualité pour un romancier, c’est d’être capable de se mettre à une autre place que la sienne. »

Après Le grand monde, premier tome de sa tétralogie consacrée à la période des Trente Glorieuses, Pierre Lemaitre poursuit la fascinante saga de la famille Pelletier avec Le silence et la colère. Un roman social aussi captivant que brillant. Rencontre avec l’auteur, un homme aussi passionné et passionnant que ses écrits.

  • Dans Le silence et la colère, il est beaucoup question de la liberté des femmes

Quand on est un homme aujourd’hui, interroger la liberté des femmes, dont le point nodal est toujours la liberté du corps donc celle de l’avortement est important. Cette liberté-là est un marqueur définitif et intangible de la liberté des femmes. Dans tous les pays où la domination masculine revient au pouvoir, c’est sur ce sujet-là en premier et sur celui de l’éducation ensuite, que les femmes paient le prix de la domination masculine. Ma surprise a été énorme de voir qu’en 1952, date à laquelle se déroule ce roman, la question de l’avortement se posait en ces termes. Très naïvement, je suis né en 1951, et je pensais que l’avortement ce sont les 30 glorieuses et que les années d’avant étaient un peu moyenâgeuses. Mais pas du tout ! Dans les années 60 on poursuit plus de femmes que dans les années 30 ! En 1946 à la libération, le régime contre l’avortement est plus violent que pendant la période de Vichy du temps du Marechal Pétain. La réponse est simple : pendant la guerre on a besoin des femmes au travail dans les pendant que les hommes se battent. Mais dès que la guerre se termine, il faut que les femmes rentrent à la maison, donc il faut les transformer en mères, avec toute l’aliénation que cela suppose. C’est la reprise en mains par les hommes du destin des femmes. On le voit dans les publicités des années 50, avec cette érotisation des femmes, qui ont une poitrine volumineuse, une poitrine de mère. On peut lire comme un symptôme de la domination masculine, le fait que les hommes vont se lancer dans une répression très sauvage de l’avortement. Cela a été une surprise pour moi.

  • Vous analysez avec beaucoup de finesse la psychologie féminine, notamment lorsque vous vous glissez dans la peau d’Hélène. Comment faîtes-vous pour le traiter ?

Je pense que la seule originalité, la seule qualité pour un romancier, c’est d’être capable de se mettre à une autre place que la sienne. La littérature est une affaire de point de vue. Toutes les histoires ont déjà été racontées, la seule originalité d’un livre c’est « comment il va nous raconter autrement une histoire qu’on connait déjà ». Donc la question du point de vue suppose d’endosser le point de vue d’un personnage que nous ne sommes pas. Dans Trois jours et une vie, je me mets à la place d’une enfant de 12 ans. Dans Cadre noir, je me mets à la place d’un sénior au chômage. Un romancier doit être capable de parler des choses qu’il n’a pas vécues.

  • Certes mais comment ressentir la question du désir d’enfant ? De la blessure chez une femme ?

J’ai fait lire le manuscrit à des femmes et j’ai écouté leurs remarques avec beaucoup de modestie. Globalement, je n’étais pas trop loin du compte, elles se reconnaissaient dans ce que je disais. Mais elles m’ont apporté des éléments sur ce qu’Hélène disait trop ou trop peu, sur le lieu où placer le curseur. Je leur dois beaucoup à ces lectrices, c’est pourquoi je les remercie en fin d’ouvrage.

Retrouvez l’article consacré au roman Le silence et la colère, en cliquant sur ce lien : Le silence et la colère

Karine Fléjo et Pierre Lemaitre

Hommage à Jean Teulé (1953-2022)

Jean Teulé

Jean Teulé nous a quittés brutalement cette semaine. En hommage à cet auteur de talent et cet homme si chaleureux, retrouvez l’interview réalisée en 2019.

Entrez dans la danse sort aux éditions Pocket en ce mois de février 2019. Je voulais savoir, quand les lecteurs viennent à vous avec des livres plus anciens, des livres parus en poche depuis, comment vous regardez vos livres plus anciens, quels souvenirs ils ont en vous ?

C’est assez étrange et en plus j’ai une particularité que je n’aime pas beaucoup, c’est que les livres les plus anciens, ceux qui n’ont pas marché, eh bien je ne les aime pas.

Heureusement que ce ne sont pas des enfants !

(Rires). C’est exactement ce que je me dis, comme si j’avais eu une flopée d’enfants et que je n’aimais pas ceux qui n’ont pas réussi. C’est un peu comme s’ils n’avaient pas fait leur travail. Sinon c’est très agréable de rencontrer des gens, car quand comme moi on écrit des journées entières, on peut passer des jours, des semaines entières sans voir personne, sans parler à personne. Rencontrer des gens, pouvoir mettre des visages sur ceux qui vous lisent, c’est vraiment plaisant et c’est une chance.

Il y a aussi une particularité chez vous, c’est que le titre et la couverture du roman comptent énormément dans l’écriture. Ce sont même eux qui président à l’écriture.

Oui, en effet je ne peux pas écrire un roman si je n’ai pas le titre et si je n’ai pas la couverture. C’est le graphiste du Louvre qui fait les couvertures et quand la couverture est faite, je l’imprime et la mets devant mon bureau. Puis, j’écris avec la couverture du livre sous les yeux.

La période d’écriture est une période particulièrement solitaire. Vous écrivez je crois dans un bureau relativement sobre et dépouillé.

Oui c’est drôle car c’est un bureau très cheap, que j’avais fait quand les premiers livres ne marchaient pas beaucoup et donc j’avais acheté une sorte de commode avec des étagères d’occasion. Et de livre en livre, maintenant que ça marche vraiment bien, je me dis mais vraiment, tu pourrais balancer ce mobilier un peu pourri pour en acheter du neuf et plus classe. Mais je ne le fais pas parce que je me dis que ça va me donner la poisse.

Jean-teule-et-karine-flejo

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages, réels ou fictifs ?

J’ai besoin d’aimer mes personnages pour pouvoir écrire sur eux. Par exemple j’ai fait un roman à propos de Rimbaud, à propos de Verlaine, à propos de Villon, et souvent les gens m’ont dit : « Mais pourquoi pas sur Baudelaire ? » Parce que je ne peux pas saquer le mec, il a toujours vécu aux dépens de tout le monde, il a dit tellement de conneries sur les femmes, qu’il me gonfle. Et je ne peux donc pas écrire un livre sur quelqu’un qui me gonfle.

Quand il ne s’agit pas de personnages historiques mais de personnages fictifs, est-ce plus compliqué de les inventer ?

Depuis Le magasin des suicides, je n’avais pas fait de fiction et le prochain roman à paraître en mars sera lui aussi une pure fiction. Je me disais que comme dans Le magasin des suicides le héros est un petit garçon qui s’appelait Alan, j’aimerais bien trouver un personnage qui soit une petite fille du même âge qu’Alan, mais il me fallait trouver une particularité pour cette petite fille. Sur le coup, je n’ai pas eu d’idée et j’ai laissé le temps passer. Puis un jour, alors que j’étais en dédicace en province et que je devais prendre mon train de retour à 18h30, le libraire m’a demandé si je pouvais rester un peu plus longtemps car il y avait encore plein de gens qui attendaient dans la librairie.  J’ai donc pris le train suivant de 20 heures. Une fois dans le train, assez vite je suis contrôlé. Je tends mon billet, on me le rend et le contrôleur poursuit ses vérifications des billets. Et tout à coup je pense au voyage que je devais faire le lendemain et je rappelle le contrôleur pour lui demander des renseignements. Il revient vers moi, je lui demande les renseignements, et avant de me répondre, il me regarde et me redemande mon billet. Je ne comprends pas car il l’avait déjà vérifié et là il constate que je n’ai pas pris le train de 18h30 mais de 20 heures et décide de me mettre une amende. J’ai donc été obligé de payer. Et là je ne sais pas ce qui m’a pris, mais au moment où le contrôleur allait repartir je lui ai dit : « Monsieur regardez-moi bien, écoutez bien ce que je vais vous dire : je vous souhaite un grand malheur très vite et si jamais il se produit, alors au moment où cela se réalise rappelez-vous de moi. » J’ai senti que ça l’avait touché le mec ! Et là je me suis dit : « Mais c’est ça la petite que je cherche, cette petite de 12 ans qui aurait le pouvoir quand elle souhaiterait du mal à quelqu’un que cela se réalise! Il faudra faire attention à elle et tout de suite je me suis dit gare à elle. Gare à elle comme on dit gare au loup et donc elle s’appellera Lou et le titre du roman sera Gare à Lou. » . Et voilà, c’est comme ça que naissent les idées de mes romans. Plusieurs de mes romans sont comme ça nés dans des trains.

Rencontre avec Akli Tadjer

Cette semaine, Akli Tadjer fait l’objet d’une double actualité : la parution de son roman « D’amour et de guerre », aux éditions Pocket. Et sa suite « D’audace et de liberté », aux éditions Les escales. Rencontre avec un homme aussi chaleureux que talentueux.

Des personnages qui sont parties prenantes de l’Histoire

Akli Tadjer : Ce qui m intéresse, c’est de raconter l’histoire des gens que l’on croise dans la rue et qui s’inscrit dans la grande  machine de l’Histoire. . Soit ils font avec, sont passifs, soit ils se transcendent et décident d’être acteurs de l’Histoire. L’intérêt du romancier, c’est de rendre tous ses personnages acteurs de l’Histoire, qu’ils soient bons ou mauvais, mais qu’ils soient investis.

Votre ambition à travers D’amour et de guerre

Mon ambition, c’ est de raconter la période de la guerre 39-45, mais du point de vue d’un soldat colonial. Il y a beaucoup d’ouvrages, de romans sur la seconde guerre mondiale, mais ils sont peu nombreux à adopter cet angle de vue. Le regard est ici différent : ces soldats vont défendre une liberté qui n’est pas la leur et qu’ils n’ont pas davantage chez eux comme ils sont colonisés. En plus, ils combattent, avec des moyens qui ne sont pas ceux des soldats français (vieilles armes, équipements hors d’âge…).

Ces deux guerres mondiales ont eu un impact important et particulier sur les soldats coloniaux, comme le montre ce roman D’amour et de guerre

Au sortir de seconde guerre mondiale, le monde n’était plus pareil. A la fois car la géographie avait changé, mais aussi et surtout, parce que le regard de ceux qui ont combattu avait changé. Les soldats coloniaux sont revenus avec un autre état d’esprit.

…, avec l’idée qu’ils pouvaient prendre leur destin en main, combattre pour défendre leur propre cause aussi.  

Oui, en l’espace de quelques mois, quelques années, ils ont pris 20 ans, ils ont vécu 50 vies.

De guerre, certes, mais d’amour aussi

Oui, il est aussi question d une histoire d amour

..un peu impossible

Oui,  car ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, c’est d’un intérêt limité (rires).

Vos personnages féminins sont libres et modernes

Oui, surtout dans le tome deux D’audace et de liberté (éditions les escales, mai 2022). Ce sont les audacieuses du roman. .

Dans le tome deux de votre trilogie, les personnages deviennent acteurs de l’Histoire, alors que dans le premier tome, ils subissent cette dernière

Oui, Adam cesse de subir dès la fin du premier tome, quand il s’évade du Frontstalag . Il croyait jusque là que la colonisation c’était l’enfer, mais il découvre que ce n’était rien à côté de ce qu’il endure en tant que prisonnier des nazis. Et il va continuer et devenir encore plus acteur dans le tome deux.

La voie d’Adam semblait en effet toute tracée, avec sa maison construite, Zina qu’il allait épouser. Et la guerre l’a dévié de sa trajectoire.

Oui, Adam subit la guerre au départ. Mais vient un moment où il refuse ce destin et décide de s’évader du camp. Adam n’est pas un personnage qui suscite la pitié, il n’y a pas de misérabilisme. C’est un homme qui agit.

Si vous souhaitez vibrer, vous immerger dans l’Histoire avec un regard neuf, être l’otage d’une lecture en apnée, être transporté, bouleversé, alors plongez sans plus attendre dans ces deux livres : D’amour et de guerre (éditions Pocket, mai 2022) et sa suite D’audace et de liberté. Deux romans d’une vibrante humanité et d’une sensibilité à fleur de plume.

Thomas Gunzig : « J’avais envie d’un livre qui réconcilie les gens avec les nuances »

L’année 2022 commence très bien, puisqu’elle nous offre le nouveau roman de Thomas Gunzig, paru aux éditions du Diable Vauvert : Le sang des bêtes. Rencontre avec l’auteur.

Dans votre roman il y a un personnage inclassable : une femme vache

Il y a des étiquettes pour tout. Les hétéros sont comme ça. Les couples homos sont comme ci. Les parents sont comme cela. Etc. On met tout le monde dans des cases. Alors j’ai eu envie de rajouter un degré en plus : que fait-on avec quelqu’un qui est humain mais qui n’est pas humain ? Et j’ai pensé à la femme vache. Je vais vous dire exactement la petite réflexion qui était à la base de cela :  je me suis dit que tout ça venait probablement du fait des réseaux sociaux, qui fonctionnent avec des algorithmes. Ils aiment bien savoir exactement ce que tu aimes pour pouvoir te proposer des publicités ciblées. Et donc on a tendance à fonctionner exactement comme les algorithmes veulent qu’on fonctionne, c’est-à-dire de manière numérique. Or l’être humain est analogique, il est insaisissable, il évolue en permanence. Il n’est pas figé dans une catégorie ou une façon de faire ou d’être. J’avais donc envie d’un livre qui réconcilie les gens avec les nuances. Car on n’est que de la nuance.

Quel a été le point de départ du roman ?

J’avais envie de raconter quelque chose sur le body-building, sur la façon de transformer son corps. Quand j’étais petit garçon, je me trouvais très petit est très maigre et j’avais beaucoup de complexes. Et je me disais : « je vais changer ça avec le sport ». 

J’avais aussi envie d’aborder l’idée du corps des juifs. Historiquement il y a toujours une représentation caricaturale du juif comme étant petit, faible, malingre. C’est quelque chose que j’ai ressenti fortement.

Enfin, je voulais aussi écrire sur un roman sur un couple qui vieillit. Pour un couple qui s’aime profondément, qui est vraiment amoureux, que devient le désir au bout de 20 ans ou 30 ans ? Quand on se marie avant 25 ans on ne pense pas à cela. Tu habites avec cette personne, tu fais des enfants avec cette personne, tu la connais par cœur. Elle devient quelqu’un de ta famille. Comme ta mère ou ta sœur. Et tu n’as pas envie de coucher avec ta sœur ou ta mère. Or l’injonction de la société, c’est qu’un couple qui va bien qui s’aime, alors il a toujours autant de désir après 20 ans de vie commune et souhaite toujours autant faire l’amour. Sinon c’est le signe qu’il ne va pas bien. Je voulais aborder cela.

J’avais donc envie de faire un roman avec tous ces personnages, c’est-à-dire des personnages qui sont comme tout le monde : des personnages qui n’entrent pas dans les cases.

Vous avez un humour absolument jubilatoire

Je trouve que la vie est déjà super dure, donc je préfère raconter des histoires sans être dur avec le lecteur. C’est d’ailleurs un point qui a changé chez moi. A mes débuts en écriture, j’étais plus trash, mais j’ai changé en vieillissant, en ayant eu des enfants. J’ai davantage envie de choses chaleureuses, avec de la tendresse, même si on reste parfois dans des thématiques un peu sombres. Je ne veux pas que mes livres soient des épreuves pour les lecteurs. La seule chose dont les gens se souviennent plusieurs années après avoir lu ton livre, ce n’est pas le scenario ni le nom des personnages, mais les émotions qui les ont traversées. Donc j’essaye de donner des émotions à mes lecteurs, de les faire rire, de les faire pleurer.

Nina WÄHÄ : L’adolescence est un âge où à la fois tout est possible et rien n’est possible.

Nina Waha

Nina WÄHÄ, jeune auteure suédoise, nous parle de son roman paru en septembre aux éditions Robert Laffont « Au nom des miens », roman figurant dans la première sélection du Prix Fémina étranger 2021. Un roman polyphonique enivrant, déroutant, porté par une voix au ton à la fois féroce et résolument drôle. Rencontre avec la romancière.

Avec Au nom des miens, vous bousculez le genre de la saga familiale

J’adore le théâtre, j’adore Brecht, les voix des conteurs et c’est pourquoi j’aime mélanger les genres.

Vous abordez avec brio les relations familiales, la façon dont chacun perçoit et interprète les évènements, autrement dit il n’y a pas LE souvenir d’un évènement mais des souvenirs de l’évènement

J’ai vécu dans une grande famille avec 6 sœurs de mariages différents. Le souvenir des évènements, même si chacun a vécu le même évènement, est en effet propre à chacun. Chacun l’a vécu à sa façon et le relate à sa façon, différente de celle des autres membres de la famille.

Quand est sorti votre livre en Suède ? Et quels furent les retours ?

Il est sorti en Suède en 2019. Il a très bien marché avec près de 200 000 exemplaires vendus, score qu’atteignent généralement uniquement les polars en Suède. C’est mon troisième roman et si les précédents avaient été salués par la critique, ils n’avaient pas eu beaucoup de succès auprès du public. Avec celui-là, ce fut différent. Et c’est aussi le premier à être traduit en 15 langues dont le français.

Ce roman a d’abord été un recueil de nouvelles ?

Oui, quand j’ai commencé à écrire mon troisième livre, j’avais accumulé pas mal de prises de notes mais cela faisait longtemps, près de dix ans, que je n’avais pas écrit. J’avais donc peur de m’y remettre. Et j’ai pensé que le format de la nouvelle me conviendrait mieux. Je n’imaginais pas écrire un roman aussi long.

Comment procédez-vous pour l’écriture : vous avez l’architecture du roman déjà en tête où vous découvrez au jour le jour où l’écriture vous mène ?

Non, j’ai plein de notes en effet, pas au point d’ouvrir un musée comme la romancière autrichienne Friederike Mayröcker avec les siennes, mais quand je commence un roman, je n’ai pas la structure en tête. J’aimerais l’avoir mais ce n’est pas le cas. J’espère à chaque fois que le résultat final sera correctement structuré. C’est l’univers du roman qui me porte, me guide.

Quels sont vos personnages préférés dans ce livre ?

J’ai une préférence pour les deux adolescents, car l’adolescence est un âge où à la fois tout est possible et rien n’est possible.

Avez-vous un autre roman en cours d’écriture ?

Oui, je termine actuellement mon quatrième roman. Il sortira en Suède au mois de mars.

AU NOM DES MIENS, PRÉSENTATION DU ROMAN

Un roman vibrant et emprunt d’humour noir, à l’écriture incisve.

 » Voici l’histoire de la famille Toimi et de quelques événements qui influèrent de manière significative sur la vie de ses membres. Quand je dis la famille Toimi, je pense à la mère et au père, Siri et Pentti, et je pense à tous leurs enfants, ceux qui vivaient au moment des événements et ceux qui ne vivaient plus. « Toimi’ est un drôle de nom pour une famille. En suédois, le mot signifie « fonctionnel’. Ce serait un drôle de nom pour plus d’une famille. Mais surtout pour celle-ci. Nous passerons le plus clair de notre temps dans la cambrousse. En Tornédalie finlandaise, plus précisément. En réalité, il suffit de savoir cela. Et que les Toimi sont des paysans, que nous sommes au début des années 1980, que Noël approche et que la famille compte beaucoup d’enfants, un peu trop à mon goût. «