Quand reviennent les âmes errantes, François Cheng

9782226240088

Quand reviennent les âmes errantes, François Cheng

Éditions Albin Michel, avril 2012.

 

      Quand reviennent les âmes errantes est un sublime drame choral à trois voix. Celui d’une femme Chun-niang, appelée dame Printemps, et de deux hommes, Jing Ko et Gao Jian-li, tous deux amoureux d’elle.

      Un ouvrage qui nous invite à nous interroger sur la passion des êtres humains dans toutes ses acceptions, sa noblesse et ses dangers : passion d’amitié, passion d’amour mais aussi passion pour les richesses, pour le pouvoir, pour la domination ou pour la possession. Car comme le souligne fort brillamment François Cheng, une amitié de même qu’un amour vrais, élèvent les âmes, les éclairent. Si d’aucuns ont le pouvoir de séparer les corps, personne n’a la possibilité d’enfermer les âmes, de les séparer. « Plus longue est l’absence, plus ardent devient le désir de l’attente. Pour peu que s’offrent un jour les retrouvailles, les coeurs épris, irrépressiblement, s’embraseront. » Cependant, il est des passions qui exaltent les instincts les plus vils de l’être humain. Rien de noble ici. L’humain devient inhumain. La soif de possession, de puissance est alors à l’origine de guerres inscrites en lettres de sang.

      Et c’est là que la petite histoire rejoint la grande.

      Chun-niang, Jing Ko et Gao Jian-Li forment un trio inséparable. Les deux hommes aiment passionnément Dame printemps, et réciproquement, sans que cela ne suscite de jalousie ni de sentiments mesquins entre eux. Jing Ko, valeureux guerrier incarne le Yang. Gao Jian-Li, artiste joueur de Zhou, symbolise le Yin. Une complétude, une synergie qu’ils vont mettre au service de la lutte contre la tyrannie, le despotisme ambiant. Au péril de leur vie. Mais si Chun-niang demeure physiquement seule, ses deux amours morts au combat dans d’horribles souffrances, chaque nuit de pleine lune, les âmes errantes des deux hommes viennent lui rendre visite et lui parler. «  L’âme? C’est bien par elle que la vraie beauté d’un corps rayonne, c’est par elle qu’en réalité les corps qui s’aiment communiquent. »

     Et ce sont ces dialogues nocturnes, empreints de sagesse, de poésie, d’une réflexion juste, profonde et sensible, que nous dessine la plume experte du calligraphe, poète et romancier François Cheng.

     Remarquable.

 

P. 46 : «  La grande affaire pour un artiste, j’en suis persuadé maintenant, c’est d’entendre et de donner à entendre l’âme qui l’habite et qui résonne de fait à l’âme cachée de l’univers. »

Les dix enfants que madame Ming n’a jamais eus, Éric-Emmanuel Schmitt

9782226220691

Les dix enfants que madame Ming n’a jamais eus, Éric-Emmanuel Schmitt

Editions Albin Michel, Avril 2012

  La voie de l’harmonie

      Avec ce sixième opus du cycle de l’Invisible, Éric-Emmanuel Schmitt nous emmène au pays qui incarne le mystère par excellence : la Chine. Un magnifique voyage dans l’espace, mais aussi dans le temps. Car si ce pays a vécu bien des bouleversements, des destructions massives, il y a une passerelle entre la Chine d’aujourd’hui et celle d’hier demeurée intacte : la passerelle de l’esprit. Celle de la sagesse confucéenne. C’est donc à la découverte de l’âme chinoise que nous partons avec l’auteur.

      Confucius a semé les graines de l’« humanisme chinois ». Loin de vouloir s’ériger en maître à penser, il a voulu éveiller les consciences, susciter l’esprit critique chez ses disciples. « Je lève un coin du voile, si l’étudiant ne peut découvrir les trois autres, tant pis pour lui. » (Les Analectes). Il n’a donc pas fondé de religion au sens occidental du terme, mais davantage prôné des principes de vie basés sur une morale positive, la quête de l’harmonie entre les êtres, la noblesse de coeur et non de sang (Junzi). Ce que notre notre narrateur va découvrir.

      Ce dernier vient en effet régulièrement en Chine pour affaires. Descendu au grand hôtel de Yunhaï, dans la province de Guangdong, il a pour stratégie d’interrompre souvent la négociation en s’éclipsant aux toilettes, ce qui déstabilise ses interlocuteurs. Des toilettes sur lesquelles règne la fascinante Madame Ming, dame pipi. Une femme qui très vite l’intrigue. Comment ne pas être étonné en effet, qu’elle affirmât avoir dix enfants dans ce pays où règne la loi de l’enfant unique ? Si notre négociant a le sentiment d’être face à une affabulatrice, force lui est d’admettre à chacun de ses passages en ces lieux d’aisance, la fascination qu’exerce sur lui ladite femme, tandis qu’elle évoque avec sensibilité, amour et sagesse chacun de ses enfants.

      Mais comment pourrait-il lui reprocher de se réfugier dans l’imaginaire, de s’inventer des enfants aux métiers tous plus fabuleux, plus créatifs, plus ingénieux les uns que les autres, tant il sent sa frustration de maman, ses regrets silencieux de n’avoir pas pu assouvir son désir de maternité jusqu’au bout? Une nostalgie qu’il comprend et…partage, puisqu’il n’a lui-même pas connu ce puissant bonheur d’être père. Un écho puissant, d’autant plus puissant que Madame Ming s’exprime en des termes d’une infinie sagesse, celle de Confucius. Elle lui (nous) ouvre la voie de l’harmonie entre les êtres.

      Après la découverte du judaïsme, du christianisme, de l’islam, du bouddhisme, du zen, Éric-Emmanuel Schmitt, avec sa sensibilité à fleur de plume, nous interpelle, nous convoque, nous interroge. A l’heure où l’ambition, l’individualisme, les guerres économiques, politiques, ethniques, religieuses font rage, il nous invite à nous recentrer sur l’essentiel : le tissu humain.

      Sur le fil de ses mots, se tisse une tapisserie brillante, apaisante, lénifiante, celle de la quête du bien, du bon, du meilleur. Celle de l’harmonie.

P.15 : « Accomplir un acte remarquable vaut mieux que d’être remarqué. »

P.45 : «  Agis par gentillesse mais n’attends pas de gratitude. »

P.46 : «  Chaque être se révèle unique. Dans le cas contraire, c’est nous qui ne le voyons pas. »

P.51 : « Si tu rencontres un homme de valeur, cherche à lui ressembler; si tu rencontres un homme médiocre, cherche ses défauts en toi »

P.52 : «  Le sage décèle en lui la cause de ses travers; le fou en accuse les autres. »

P.91 : «  Le silence est un ami qui ne trahit jamais. »

P.105 : «  La vérité, c’est juste le mensonge qui nous plait le plus. »

Autres ouvrages du cycle de l’Invisible, aux éditions Albin Michel :

Milarepa – 1997

Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran – 2001

Oscar et la Dame Rose – 2002

L’enfant de Noé – 2004

Le sumo qui ne pouvait pas grossir – 2009