La Kar’interview de Catherine Hermary Vieille pour son roman La bête (Albin Michel)

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La Bête du Gévaudan est un animal à l’origine d’une série d’attaques contre des humains à la fin du XVIIIème siècle, dans l’actuel département de la Lozère (autrefois pays du Gévaudan). Des tueries qui mobilisèrent de nombreuses troupes royales et donnèrent lieu à de multiples interprétations tant sur la nature de cette « Bête » – vue tour à tour comme un loup, un animal exotique voire un tueur en série, que sur les motifs qui la poussaient à s’en prendre à la population. Dans son nouveau roman La bête (éditions Albin Michel), Catherine Hermary Vieille entraine le lecteur à la poursuite de l’animal. Un roman captivant qui capture le lecteur dès les premières lignes pour ne le libérer, fasciné, qu’à la toute dernière page.

Rencontre avec l’auteur :

Karine Fléjo : D’où vous est venue l’idée de traiter la bête sous cet angle si particulier?

Catherine Hermary Vieille : : Il m’a semblé qu’on ne pouvait pas traiter ce roman sous l’angle des meurtres, car il y a beaucoup de meurtres et cette répétition serait lassante. J’ai donc préféré m’appuyer sur un itinéraire, celui d’un homme, qui bascule peu à peu dans l’horreur.

KF : C’est un roman basé sur des faits historiques ou une fiction?

CHV : Tout est vrai! Même les noms de famille. Rien n’est inventé. Il y a un souci de vérité historique.

KF : Dans le même temps, ce n’est pas si étonnant, car vous vous attachez à toujours être prêt des faits et de l’histoire.

CHV : Oui, tous les personnages ont réellement existé.

KF : L’hypothèse selon laquelle la Bête est un loup ne semble pas plausible?

CHV : Le loup tuait très peu d’êtres humains. Il n’attaque pas ou très peu, sauf s’il se sent lui-même en danger ou si éventuellement la personne est affaiblie ou blessée tandis qu’il est affamé.

KF : Il s’agissait donc d’une hyène?

CHV : C’est une théorie de Gérard Ménatory, développée dans son livre « La bête du Gévaudan ». C’est un grand spécialiste des loups. Il a constaté que les historiens, pour lesquels il avait une certaine admiration lorsqu’ils font de l’histoire, n’étaient vraiment pas à l’aise dans le domaine de la zoologie, auquel il convient de rattacher ce qui se rapporte au monde animal! A la lecture des livres de ses prédécesseurs, il a enregistré de telles erreurs dues précisément à leur totale ignorance du comportement animal, que la nécessité d’un ouvrage un peu moins ténébreux s’est imposée à lui avec vigueur. Et c’est dans cet ouvrage qu’il expose sa théorie selon laquelle la Bête est une hyène. Le comportement de cet animal ne correspond en aucun cas à celui d’un loup. Un loup ne peut pas courir avec un enfant de trois ans dans sa gueule, la Bête est beaucoup plus puissante. Il a suivi l’histoire des Chastel. Ce qui l’a étonné notamment, c’est que lorsque le père Chastel est monté dans la montagne pour abattre la Bête, personne ne se soit intéressé au fait que la Bête n’ait pas bronché. Or si elle n’a pas réagi c’est qu’elle le connaissait… A partir de cette famille de sorcier guérisseur, il est remonté jusqu’au fils Antoine et jusqu’à sa hyène.

KF : Antoine qui est un homme animé d’une violence extrême, particulièrement suite à cet épisode de castration.

CHV : Oui. La plupart des jeunes esclaves mâles étaient 90% du temps castrés. Ainsi ils ne créaient pas d’ennuis, n’étaient plus agressifs. Donc là, le fils Chastel, réduit à l’esclavage à Alger, s’étant montré violent, il a été puni par la castration. A partir de cette castration, Antoine est diminué, humilié et le destin de cet homme s’amorce. On ne peut pas parler de vengeance, mais plutôt de la recherche d’un chemin qui va lui redonner de la puissance.

KF : Il est plus près de sa bête qu »il ne l’est des hommes?

CHV : Oui, tout à fait. J’ai essayé de me mettre dans la peau de cet homme qui viole et qui tue. D’une certaine façon, il est le maître de la vie et de la mort. Il décide. Il fait peur. Et pour un homme qui a été brisé, castré, c’est une revanche fantastique. Jusqu’au moment où il n’éprouve plus de plaisir à cette revanche, il en a une joie amère. Quand il tue cette petite fille, il tue la seule personne qu’il aime, comme s’il voulait tirer un trait sur tout ça.

KF : Il tue en quelque sorte la seule parcelle d’humanité qui est en lui?

CHV : Oui, c’est tout à fait cela.

KF : Ce roman est très visuel. Il pourrait faire un très beau film.

CHV : Un film ce serait formidable…

                                                                            Propos recueillis le 6 février 2014

La trahison d’Einstein, de Eric-Emmanuel schmitt : brillant!

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La trahison d’Einstein, de Eric-Emmanuel Schmitt

Editions Albin Michel, janvier 2014

Dans cette comédie intelligente et grave, drôle parfois, Eric-Emmanuel Schmitt imagine le conflit moral d’un homme de génie, inventeur malgré lui de la machine à détruire le monde.

     « Faux! La guerre ne constitue pas le seul moyen de résoudre les conflits; je lui préfère la négociation, l’élévation morale » rétorque Einstein au vagabond assis face à lui. Nous sommes en 1934, au bord d’un lac du New Jersey où Einstein, en exil, vient fréquemment faire du bateau. Le scientifique défend sa position de pacifiste et de militant anti-nucléaire. Mais avec la montée du nazisme, l’inquiétude le gagne. Et de devoir revoir ses positions en 1939. A partir des découvertes relatives à la fission nucléaire, l’éminent physicien sait en effet qu’il est possible de concevoir une bombe atomique d’une puissance inouïe. Or les allemands ont retiré de la vente l’uranium extrait des mines de Tchécoslovaquie, signe, selon lui, qu’ils ont lancé la confection de l’arme nucléaire. Alarmé, il estime de son devoir de prévenir le président Roosevelt : « Je n’ai aucun don pour l’indifférence. Le monde ne sera pas détruit par ceux qui commettent le mal mais par ceux qui le contemplent sans réagir. Roosevelt en tête. Les bras croisés se révèleront aussi dangereux que ceux qui se lèvent pour saleur Hitler. » Il s’agit de prendre les nazis de vitesse, pour garantir ce que le vagabond surnomme « la paix atomique ». Roosevelt donne alors son feu vert pour le lancement du programme nucléaire, le projet Manhattan, lequel aboutira, quelques années plus tard, au bombardement d’Hiroshima devant un Einstein anéanti.

     Dans cette pièce dont l’action se déroule en 1934, 39 et 45, Eric-Emmanuel Schmitt nous livre les écartèlements, le drame intérieur et les craintes de celui qui a contribué indirectement à la conception de l’arme atomique. Des échanges percutants, incisifs, passionnés et passionnants, qui dressent un tableau captivant et …effrayant de l’horreur dont l’homme peut être parfois capable envers lui-même.

P.50 : Les aventures sentimentales sont plus dangereuses que la guerre : au combat on n’est tué qu’une fois, en amour, plusieurs fois.

P. 76 : Deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine. Et encore, pour l’univers, je n’ai pas de certitude absolue.

P.146 : Le problème aujourd’hui, ce n’est plus l’énergie atomique, c’est le coeur des hommes. Il faut désarmer les esprits avant de désarmer les militaires.

Francis Huster et Jean-Claude Dreyfus interprètent actuellement sur scène au théâtre Rive Gauche, La trahison d’Einstein, dans une mise en scène de Steve Suissa.

La nuit n’oubliera pas, de Pamela Hartshorne (éditions de l’Archipel) : et si vous aviez la possibilité de voyager dans le temps?…

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La nuit n’oubliera pas, de Pamela Hartshorne

Traduit de l’anglais par Philippine Voltarino

Editions de l’Archipel, février 2014

Et si vous aviez la possibilité de voyager dans le temps?…

C’est avec un choc considérable que Grace apprend le décès accidentel de sa marraine. Et avec surprise qu’elle se voit désignée comme exécuteur testamentaire. Enseignante à Jakarta depuis deux ans, elle quitte alors tout pour la petite ville de York, ville du nord de l’Angleterre où la défunte lui a légué une maison.

Mais à peine a t-elle franchi le seuil que des phénomènes étranges se multiplient. Comme cette voix surgie de nulle part, cette plainte à glacer le sang qui lui susurre le prénom d’une fillette, Bess. Qui est Bess? Pourquoi cette détresse dans la voix? Paniquée, Grace se raisonne. Tout cela ne peut être qu’un cauchemar, elle doit se ressaisir. Si sa marraine était une adepte du paranormal, Grace, elle, est on ne peut plus cartésienne. Il y a forcément une explication rationnelle à ces voix. Du moins veut-elle s’en convaincre.

Mais les manifestations étranges s’intensifient. Et Grace de se retrouver projetée 4 siècles en arrière, en 1577, dans la peau d’Hawise, une jeune servante pleine de rêves et d’idéaux. Des visions angoissantes et éprouvantes. Comment lutter contre ces appels du passé? Que veulent-ils lui enseigner? Et cette Hawise, qui est-elle, fantôme, hallucination ou personne ayant réellement existé? (P.182) « Une part de moi voudrait en savoir plus sur Hawise, l’autre ne songe qu’à la fuir. Dans l’un et l’autre cas, je n’aime pas cette espèce de pouvoir qu’elle a sur moi. »

Dès lors, Pamela Hartshorne emmène ses lecteurs dans de passionnants voyages à travers le temps. Dans un ballet savamment orchestré, au rythme soutenu, aux intrigues multiples, elle mène la danse avec deux héroïnes et deux époques, deux femmes indiciblement touchantes que quatre siècles séparent mais qu’une quête commune pourtant rapproche…

La nuit n’oubliera pas est un roman que l’on dévore, un page-turner particulièrement réussi, à la construction parfaite. Impossible de le reposer une fois commencé, les yeux aimantés aux pages de ces deux destinées captivantes et touchantes, celles de deux femmes authentiques et passionnées. Un voyage dans le temps que l’auteur, docteur en histoire médiévale, a voulu au plus près de la vérité historique. Captivant.

A suivre, la Kar’Interview de Pamela Hartshorne!

Que ton règne vienne, de Xavier de Moulins (éditions Jean-Claude Lattès)

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Que ton règne vienne, de Xavier de Moulins

Editions Jean-Claude Lattès, février 2014

Deux ans après l’enterrement de son père, Paul revient progressivement à la vie. Jean-Paul a été de ces pères solaires, flamboyants, qu’on se tue à trop aimer. Une enfance de carte postale, un ami à la vie à la mort, un amour absolu… Jean-Paul plane sur la vie de son fils, figure tutélaire écrasante autant qu’admirée. Jusqu’à un soir de novembre 2013, où tout va basculer.
Comment survivre quand le passé a un tel goût de trahison ? Paul en réchappe grâce à la fidélité d’Oscar, son ami d’enfance. Mais il lui reste tout à réapprendre…
Sous ses airs désenchantés, Que ton règne vienne est un vibrant hommage au père, au lien filial. Une illustration parfaite de cette phrase de Jules Renard, qui ouvre le livre en forme de mise en garde : « Un père a deux vies : la sienne et celle de son fils. »

Mobile de rupture, de Cookie Allez : mon mari, son téléphone et moi…

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Mobile de rupture, de Cookie Allez

Éditions Buchet-Chastel, février 2014

Au théâtre de la vie, on ne sait jamais sur quel mot le rideau se ferme…

Pour fêter leur trois ans de mariage, Régis a réservé pour Sibylle et lui une table dans un lieu qui tient une place particulière dans leur panthéon intime : le restaurant Le Parc aux saveurs, temple réputé de la gastronomie mais aussi et surtout, cadre de leur premier tête à tête cinq ans plus tôt. Une attention touchante, si ce n’est qu’un hôte indélicat s’invite sur la belle nappe au milieu des verres en cristal, des assiettes en miroir moucheté et autres escadrons de couverts rutilants. Un invité petit par sa taille, mais grand par la place qu’il occupe. Cet intrus, c’est le plus fidèle ami de son mari, l’objet de son admiration, le prolongement de son bras : « All-in-one », téléphone portable dernier cri. Impensable pour Régis de l’éteindre voire de s’en séparer ne fût-ce que le temps d’un repas. Un charme technologique qui laisse Sybille de marbre. Pire, une bestiole qui l’horripile.

Peu à peu, ce qui s’annonçait comme une soirée en amoureux mitonnée avec tendresse tourne au vinaigre. La sauce ne prend pas, ne prend plus. La recette qui avait séduit Sybille a aujourd’hui un goût amer. Certes, Régis a toujours beaucoup de charisme et de charme, mais… Mais dans son attitude il y a des traits de caractère que Sibylle ne supporte pas, face à elle se tient un homme différent de l’image qu’elle s’était faite de lui lors de leur rencontre. Silencieuse, ravalant l’exaspération que suscitent les sonneries et alertes SMS intempestives, elle repasse par le menu le film de leur rencontre, de leur vie ensemble ces cinq dernières années, y compris ce secret de famille qu’elle porte seule et qui la dévore.

Et la moutarde de lui monter au nez.

Quand arrivera la surprise que son mari lui a réservée pour le dessert, surprise partagée avec All-in-One, ce sera la cerise sur le gâteau.

« Il y a une mortalité terrible chez les sentiments » disait Romain Gary. Avec un humour grinçant, des réparties cuisinées aux petits oignons, Cookie Allez nous a concocté un roman savoureux, épicé et enlevé et une recette de l’amour qui ne s’accommode pas des téléphones portables et autres communications virtuelles.

La trahison d’Einstein, de Eric-Emmanuel Schmitt

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La trahison d’Einstein, de Eric-Emmanuel Schmitt

Editions Albin Michel, janvier 2014

 

Sur les rives d’un lac du New Jersey, deux excentriques se rencontrent et sympathisent. L’un est Albert Einstein ; l’autre est un vagabond en rupture avec la société.

À ce confident de hasard, Einstein expose son dilemme. Pacifiste militant, il connaît les conséquences terrifiantes de ses travaux théoriques et craint qu’Hitler et les nazis ne fabriquent la première bombe atomique. Devrait-il renier ses convictions et prévenir Roosevelt, afin que l’Amérique gagne la course à l’arme fatale ? Quel parti prendre alors que le FBI commence à le soupçonner, lui, l’Allemand, le sympathisant de gauche… le traître peut-être ?

Dans cette comédie intelligente et grave, drôle parfois, Eric-Emmanuel Schmitt imagine le conflit moral d’un homme de génie, inventeur malgré lui de la machine à détruire le monde.

 

Informations pratiques :

Nombre de pages : 162

Prix éditeur : 12€

ISBN : 9782226254290

La bête, de Catherine Hermary Vieille : captivant!

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La bête, de Catherine Hermary Vieille

Editions Albin Michel, février 2014

     À la frontière du mythe et de l’Histoire, Catherine Hermary-Vieille revisite la légende de la Bête du Gévaudan en explorant notre part secrète de violence et de bestialité. Un roman fascinant qui sonde les plus obscures pulsions humaines.

     En cette fin du XVIII ème siècle, sur les terres de La Besseyre-Sainte-Marie, village d’une centaine d’habitants en Gévaudan, le loup ne fait plus vraiment peur. On sait qu’il ne s’attaque pas à l’homme mais aux troupeaux, en cas de faim uniquement, et qu’il suffit d’un chien ou du bâton d’un berger pour le faire rebrousser chemin. Non, les craintes alors sont ailleurs. Le danger est moins palpable et donc plus effrayant : esprit malin, forces occultes, Diable cristallisent les craintes des paysans. Pour les combattre, il y a fort heureusement le père Chastel, sorte de guérisseur et sorcier dont les amulettes éloignent les esprits maléfiques.

     Mais quand les corps mutilés de femmes et d’enfants sont retrouvés baignant dans le sang, Jean Chastel semble bien démuni. Ni ses incantations ni ses potions ni ses amulettes ne parviennent à mettre fin à ces atrocités. Dans un premier temps, les loups sont accusés. Mais la violence des attaques, la cible humaine et non animale, la taille supposée de la bête laissent sceptique. Quel est donc ce monstre qui s’attaque aux êtres humains et délaisse le bétail? Une bête sanguinaire dotée d’une intelligence humaine ou un homme animé d’une rage animale? Des loups transformés en hommes? Des hommes transformés en loups? D’aucuns évoquent « une bête grande comme un veau, au poil roussâtre, rayée de brun sur l’échine, avec des oreilles courtes, une longue queue très mobile, de puissantes mâchoires, des yeux méchants. » « On dirait qu’elle obéit à un maître », avance même l’un d’eux. Les supputations vont bon train. La bête court toujours. Et tue.

     Tout le monde est désormais mobilisé. Paysans, louvetiers, dragons se promettent d’avoir sa peau.

     Dans ce roman inspiré de faits historiques, Catherine Hermary Vieille entraine le lecteur dans une course poursuite effrénée de la vérité. La tension est permanente, le rythme haletant, l’intrigue passionnante. Et l’angle d’approche particulièrement ingénieux. En effet, la romancière se place dans la tête de l’auteur de ces tueries, ce qui lui permet d’analyser avec beaucoup de finesse et de pertinence les mécanismes qui ont conduit un être avili à basculer du côté de la férocité et de la folie. Par esprit de vengeance, par soif de puissance, par faim de reconnaissance.

     La bête n’est pas celle que l’on croit…

     Un roman captivant !

Première sélection du Prix de la closerie des Lilas 2014

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Le Prix de la Closerie des Lilas, créé en 2007, poursuit avec toujours autant d’enthousiasme sa mission : soutenir et faire connaître une littérature féminine de qualité. Par souci d’indépendance et d’ouverture, la volonté des fondatrices a été d’instituer un jury invité différent chaque année qui rassemble des femmes du monde des arts, des lettres, de la presse, des sciences et de la politique. Le Prix de la Closerie des Lilas est d’abord une histoire d’amitié, de passion partagée pour la littérature.

 

Le jury invité en 2014 :

     Cécilia Attias, Roselyne Bachelot, Lydia Bacrie, Mireille Darc, Anne Michelet, Mazarine Pingeot, Daphné Roulier, Amanda Sthers, Karine Tuil.

 

Le jury permanent :

     Emmanuelle de Boysson (journaliste, romancière), Adélaïde de Clermont Tonnerre (Point de Vue, romancière), Carole Chrétiennot (cofondatrice du Prix de Flore), Stéphanie Janicot (Muze, romancière), Jessica Nelson (Au Field dans la Nuit, TF1), Tatiana de Rosnay (romancière).

     Mardi 28 janvier 2014, le jury du Prix de La Closerie des Lilas s’est réuni afin d’établir une première sélection de 11 romans de femmes parus à la rentrée de janvier 2014.

Première sélection :

Le colonel et l’appât 455, de Fariba Hachtroudi (Albin Michel)

Buvard, de Julia Kerninon (Editions du Rouergue)

La petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola Lafon (Actes Sud)

L’Entaille, de Nadine Diamant (La Grande Ourse)

Quatre murs, de Kéthévane Davrichewy (Sabine Wespieser)

Calcutta, de Shumona Sinha (L’Olivier)

Trois jours à Oran, d’Anne Plantagenet (Stock)

Dans la remise, d’Inès Benaroya (Flammarion)

Karina Sokolova, d’Agnès Clancier (Arléa)

Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal (Verticales)

Un tout petit rien, de Camille Anseaume (Kero)

 

La seconde liste sera rendue publique le 11 mars 2014. Le Prix sera remis le mardi 8 avril 2014.

La tête de l’emploi, de David Foenkinos (éditions J’ai lu) : jubilatoire!!!

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La tête de l’emploi, de David Foenkinos

Editions J’ai lu, janvier 2014

Dans la partition de sa propre vie, tout se passe comme si Bernard n’était qu’un instrument qui joue en dehors de l’orchestre. Ce n’est pas faux, ni feint. C’est candidement à côté. A contretemps. Il faut dire que d’emblée, le prénom dont on l’a affublé à sa naissance le prédestinait à ne pas être en phase avec son époque ni avec la réalité : Bernard. « Avec le temps j’ai saisi la dimension sournoise de mon prénom; il contient la possibilité du précipice. Comment dire? En somme, je ne trouve pas que ce soit un prénom gagnant. Dans cette identité qui est la mienne, j’ai toujours ressenti le compte à rebours de l’échec. Certains prénoms sont comme la bande-annonce du destin de ceux qui les portent. A la limite, Bernard pouvait être un film comique. »(P.11)

Et sans que Bernard n’en ait conscience, le compte à rebours est lancé. Marié depuis 20 ans à Nathalie, rencontrée en chutant à ses pieds, conseillé financier dans une banque parce qu’il a la tête de l’emploi, il se laisse couler sur le long fleuve tranquille de la vie, sans se poser de questions, amoureux de la routine, saisissant de banalité. Jusqu’au jour où leur fille Alice, âgée de vingt ans, quitte le nid familial pour aller en stage à São Paulo. Nathalie et Bernard se retrouvent alors tous les deux face à face. Si ce dernier se complait dans ce quotidien routinier, Nathalie n’y trouve plus l’étincelle du début. Et les ennuis de commencer pour le touchant et gentil Bernard, parti pour collectionner les désastres comme certains les images Panini.

Divorce, chômage, solitude, reconversion, précarité, des thèmes liés à la crise actuelle qui ne prêtent pas à rire ni même sourire… sauf sous la talentueuse plume et avec l’inénarrable humour de David Foenkinos. On suit avec jubilation les péripéties de notre anti-héros, on rit de ce qui d’ordinaire accable, on applaudit la justesse et la délicatesse de l’auteur, on dévore le roman.

Un énorme coup de coeur!!!

P.30 : Les enfants masquent les fissures de nos murs.

P.135 : Aimer vraiment quelqu’un, c’est peut-être ça aussi : lui faire croire qu’on peut surmonter son départ.

P.139 : La souffrance, c’est ne pas oublier ce qui nous a rendus heureux.

P.222 : Il n’est pas nécessaire de vivre concrètement certaines choses tant la densité du moment nous les offre d’une manière souterraine, et peut-être plus forte encore. Comme si la vie était cachée sous la vie.

La Kar’interview de Marianne Guillemin au sujet de son livre « Dans la gueule du loup. Mariée à un pervers narcissique. » (Max Milo éditions) : « Il faut fuir. Très vite et loin »

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Le 30 janvier dernier, les Editions Max Milo ont publié le témoignage bouleversant d’une femme, Marianne Guillemin, mariée dix ans à un pervers narcissique. Un récit qui livre une analyse très claire et très précise des mécanismes de la perversion narcissique. Une main tendue aux personnes qui, à ce jour, sont sous la coupe de personnes manipulatrices et ne savent pas comment agir et réagir. Parce qu’il est possible d’en sortir et de se reconstruire. Parce que « L’amour n’est jamais la souffrance. Une vie heureuse ne peut pas se tisser autour d’efforts constants, d’une tension nerveuse permanente, de mensonges pour avoir la paix. Une vie meilleure est toujours possible. Il faut faire des choix, être prête à renoncer à certaines choses matérielles. Mais la liberté est trop précieuse pour être marchandée. » (P.171).

Rencontre avec l’auteur, Marianne Guillemin :

Karine Fléjo : Que souhaitez-vous partager en premier lieu avec vos lecteurs?

Marianne Guillemin : Je voudrais partager une expérience positive, même si l’histoire n’est pas drôle. Afin de montrer qu’il est possible de se sortir des griffes d’un pervers et possible de renouer avec le bonheur. Plus on connaîtra, on vulgarisera ce type de manipulation, mieux on pourra les éviter. Car dans ce domaine, le facteur temps est important. Quand le piège est refermé c’est déjà trop tard. Plus on reste sous l’emprise du pervers plus on mettra du temps à se reconstruire. J’ai tout de même voulu envoyer un message d’espoir…

KF : Si ce témoignage est celui d’une expérience de couple particulière, la vôtre, vous montrez qu’il existe un degré d’universalité dans les relations avec un (e) pervers(e) narcissique, des traits de personnalité que l’on retrouve systématiquement. Quels sont-ils essentiellement?

MG : On retrouve des caractéristiques qui sont : la phase d’intense séduction, qui précède la mise sous emprise, l’aspect «  janus » du personnage qui a effectivement plusieurs facettes dont il joue pour asseoir sa domination. Car il s’agit bien d’une relation de domination. Et l’absence de regrets, d’empathie, de compassion. Même quand il s’excuse, c’est une stratégie de récupération, pas un réel remords…il n’en n’est pas capable.

KF : S’il est possible, d’une certaine manière, de  » codifier »  le profil du manipulateur, peut-on dire qu’il existe de même, selon vous, un profil type de ses victimes? Ou toute personne est-elle une potentielle victime?

MG : Je ne suis pas médecin ni experte en la matière, mais je pense que tout le monde peut tomber dans les filets d’un pervers. Ce qui va différencier les suites de l’histoire c’est que selon votre personnalité ( jeune, manque d’estime de soi dans mon cas) vous allez rester plus ou moins longtemps, et vous aurez plus ou moins d’énergie pour réagir.

KF : Dans ma précédente question, j’emploie le terme de victime, terme restrictif car, vous le démontrez fort justement, une personne sous l’emprise d’un manipulateur ne peut pas ne se considérer que comme une victime si elle veut s’en sortir. Il faut sortir de cette position pour redevenir acteur de sa vie?

MG : Absolument. C’est parce qu’on subit et qu’on est installé dans la survie que l’on ne peut plus réagir. Le jour où on accepte de regarder en face la réalité, on est prêt à reprendre le contrôle de sa vie. Il ne faut pas se victimiser sinon on ne peut pas s’en sortir. Il faut accepter sa part de responsabilité. On a commis une erreur, on a manqué de discernement, certes, mais un jour on décide de réorienter sa vie.

KF : Il est courant, lorsque ce genre de comportement destructeur est révélé à l’entourage, que ce dernier ne comprenne pas qu’une relation de couple ait pu à ce point durer si l’autre est vraiment le manipulateur décrit. A la difficulté d’oser parler s’ajoute pour la victime celle de n’être pas crue. Or comme vous le soulignez fort à propos,  » la vie avec un pervers narcissique n’est pas tissée au rouet du malheur ». Est-ce son côté caméléon, multifacettes qui rend la rupture difficile?

MG : Oui car l’entourage, à qui on n’a bien souvent rien dit, a du mal à y croire. Comment expliquer qu’on a joué la comédie du bonheur en excusant ses absences, ses colères ? Le problème avec lespervers c’est que la vérité semble être de leur côté, le bon droit aussi. Moi, j’avais en permanence l’impression d’être du mauvais côté de la barrière.

KF : Paradoxalement, de prime abord, on a le sentiment que dans pareille relation, la victime se sent coupable, tandis que le manipulateur s’estime dans son bon droit. Il y a inversement des rôles au niveau du ressenti?

MG : Le manipulateur a toujours raison. Tenter de le raisonner, voire de le contrecarrer, génère de la violence et des crises. Donc, au début, on se sent coupable d’avoir provoqué ces crises, par la suite, même si on sait qu’il a tort, on se retrouve en train de lui demander pardon, pour apaiser la crise justement….

KF : Les enfants et surtout le souci que vous avez de leur bien-etre, sont au coeur de ce témoignage. On a le sentiment, notamment depuis les travaux de Françoise Dolto, que l’enfant est considéré comme une personne et donc entendu dans sa souffrance, pris en compte dans ses besoins. Or en vous lisant, il semblerait que ce soit loin d’être le cas lors des procédures judiciaires? 

MG : Je ne suis pas juriste mais je trouve que, malgré les progrès et avancées indéniables, la justice est encore bien démunie devant ce genre de personnalités… et en effet, il me semble que c’est rarement l’intérêt de l’enfant qui est au centre mais plutôt une espèce de paix sociale destinée à apaiser les conflits parentaux et ne léser personne ( ce qui peut avoir un, effet sur les enfants bien sûr)

KF : Si vous n’aviez qu’un seul conseil à donner à une personne sous l’emprise d’un être manipulateur, quel serait-il?

MG : Là encore je ne suis pas experte pour donner des conseils d’autant que je ne les ai pas suivis moi-même ! Mais avec le recul, je dirai : il faut fuir. Très vite et loin. Car les choses ne peuvent pas s’arranger, d’abord parce que lui ne le veut pas. Et quand on connait un proche sous emprise, il faut éviter de juger, ne pas lui conseiller de partir, il faut juste être là, à l’écoute et lui dire que le jour où elle sera prête, on sera là.

                                                                                Propos recueillis le 31 janvier 2014.