Incendie blanc, Antoine Catel

Incendie blanc Antoine Catel

Dans ce récit vibrant d’émotion, Antoine Catel brosse le portrait de cette petite sœur trop tôt disparue, raconte l’addiction, la désintoxication, la peur, la rechute, l’impuissance. Mais aussi l’incommensurable amour qui les liait.

Dans l’enfer de la drogue

 La petite sœur est née en Afrique, dernière-née d’une fratrie de quatre. En raison de son regard particulier, elle fut toute petite surnommée « la vieille ». Mais la vie ne lui aura pas laissé le loisir de vieillir. A l’âge de 22 ans, elle succombe à une overdose. Une addiction à la cocaïne qui, tel un rouleau compresseur, écrase tout et tous sur son passage. Alors, dans une grande lettre d’amour adressée à celle qui fut et restera « sa petite sœur pour toujours », Antoine Catel revient sur les failles dans la vie de la jeune fille, qui ont permis à l’addiction de s’engouffrer, de colmater, fût-ce illusoirement et très temporairement, les brèches. Il évoque l’impuissance des proches face à ses rechutes, leur colère et leur incompréhension parfois. Les appels à l’aide de nuit comme de jour à son frère, les mauvaises rencontres, les cures, les espoirs d’en sortir. Mais aussi, l’extraordinaire intelligence de la jeune femme, sa pétillance, son hypersensibilité, son talent pour le piano et la poésie, ses projets en tant que futur médecin psychiatre. Tout ce qui faisait d’elle un être unique.

Un hommage vibrant d’amour

C’est un cri déchirant, celui d’un cœur qui souffre, celui d’une âme esseulée, celui de l’intolérable absence, que pousse Antoine Catel dans ce livre, Incendie blanc, paru aux éditions Calmann Lévy. Un cri d’amour. Un amour à la hauteur du vide laissé par le départ de la petite sœur.

Le style est très travaillé, très fluide, magnifique. Touche par touche, l’auteur complète le portrait de sa sœur, ses couleurs sombres, ses notes lumineuses. Il essaye de comprendre ce qui l’a conduite dans l’enfer de la cocaïne, elle si intelligente, si belle, si cultivée, entourée d’amis, bien insérée socialement. Elle qui semblait partout à sa place. Il culpabilise, se demande s’il aurait pu empêcher l’overdose. S’il aurait pu faire plus.

Si on ne peut qu’être bouleversé par ce livre poignant et beau, on en sort aussi accablé… Par la maladie, la noirceur, la mort du père, l’alcoolisme de la mère, les tentatives de suicide, la violence conjugale, la descente aux enfers de la petite sœur, les rechutes, les coups, les scarifications. On manque parfois de respirations, d’oxygène, de lumière, et ce, malgré les quelques souvenirs heureux qui émaillent le livre (la formidable complicité avec le frère, le piano avec le grand-père….) mais qui ne parviennent pas à déchirer les ténèbres.

Informations pratiques

Incendie blanc, Antoine Catel-Editions Calmann Levy, janvier 2023 – Rentrée littéraire – 234 pages – 19,50€

Des lendemains qui chantent, Alexia Stresi

Alexia Stresi Des lendemains qui chantent

La revanche de l’orphelin

Paris, 1935. C’est la première de Rigoletto de Verdi à l’Opéra-Comique. Une institution au bord de la faillite, qui mise tout sur ce spectacle pour espérer commencer à renflouer ses caisses. Mais ce n’est pas gagné sait le directeur, nerveux. Et un miracle de se produire. Affecté à un rôle secondaire, un jeune ténor, inconnu du public, éclipse la vedette sur scène. Un certain Elio Leone. Sa voix extraordinaire concentre tous les regards, tous les applaudissements, tous les éloges. De ces voix, rares, qui font frissonner l’âme. Mais d’où sort ce prodige ? Qui est-il ? Tout ce que l’on sait, c’est qu’il a été imposé à ce rôle par Mademoiselle, la plus grande préparatrice de rôles de France, voire du monde. Mystère.

Une voix en or qui cache bien des blessures. Et qui s’est nourrie d’elles aussi. Car la vie et le parcours d’Elio Leone sont aussi incroyables que sa voix…

La voie de sa voix

C’est un roman envoutant, émouvant, dense, que nous offre Alexia Stresi avec Des lendemains qui chantent, aux éditions Flammarion. Le destin indiciblement romanesque d’un enfant dont l’existence commence pourtant sous les plus sombres augures. Fruit d’un viol, il perd sa maman, Musetta, quelques heures après sa naissance. Musetta rêvait pour son fils d’un grand avenir. « Tu seras quelqu’un » lui avait-elle murmuré avant de s’éteindre. Et il le deviendra, au-delà de ses espérances.

Alexia Stresi nous entraine allegro fortissimo sur la partition de la vie d’Elio, de l’enfance dans l’étable à la scène de la Scala, en passant par l’orphelinat, l’Opéra-Comique, les 6 années de stalag, ou encore Haïti. Une partition qui a pu être jouée grâce aux rencontres déterminantes que le jeune Elio a fait dans sa vie, avec Giuseppe qui lui a ouvert la voie de sa voix, sœur Annamaria qui l’a entouré d’affection, Mademoiselle qui lui a fait travailler son don, ou encore son ami Eugène qui a donné corps à son rêve. Des êtres qui ont su montrer à l’orphelin, que la vie n’est pas que bémols, mais aussi notes envolées et légères. Qui ont su être pour lui une véritable portée, de précieux tuteurs de résilience. Des êtres qui ont su lui montrer qu’il était digne d’amour, d’intérêt, de respect. Qui ont permis son envol.

Alexia Stresi nous offre un destin hors du commun, viscéralement humain. Plein d’espoir aussi : une enfance difficile n’est pas une condamnation, dès lors que de belles rencontres émaillent la route, que des mains se tendent, que des cœurs s’ouvrent.

Un éloge à l’amitié, à l’amour, à la musique. A l’espoir. Parce qu’il n’est jamais trop tard pour faire du reste de sa vie la plus belle partie de son existence.

« Peut-être même que parfois, une seule note peut changer une vie ».

A lire !

Informations pratiques

Des lendemains qui chantent, Alexia Stresi – éditions Flammarion, février 2023 – 446 pages 621 €

Autres romans d’Alexia Stresi

Retrouvez les articles consacrés aux deux précédents romans d’Alexia Stresi en cliquant sur leur titre :

Batailles

Looping

Stéphanie Janicot, Disco Queen

disco queen janicot

La vie n’est pas éternelle. Nous le savons, mais nous nous comportons comme si nous avions l’éternité devant nous. Si nous étions pleinement conscients de sa fragilité, ferions-nous les mêmes choix ?

La reine du disco

Soizig, enseignante proche de la retraite, vient d’être victime d’un infarctus. Et dans la foulée, le médecin lui annonce avoir décelé une maladie plus grave, laquelle nécessitera vraisemblablement des traitements lourds. « Bien sûr, nous vivons conscients, croyons-nous, de notre finitude, de notre chance de respirer, de bouger, de sentir l’air sur nos peaux, le vent dans nos cheveux. Cette soi-disant lucidité n’est pourtant qu’abstraction, car le jour où il nous faut abandonner ces attributs de la jeunesse, nous demeurons sonnés comme de vieilles cloches. » Pour ne pas sombrer, Soizig s’évade par l’écrit. Elle décide de rédiger un roman dans lequel elle concrétise ses envies les plus folles, comme celle d’ouvrir une boite disco dans son village breton. Mieux : elle imagine un concours de disco Queen présidé par John Travolta lui-même. Tandis que ses deux filles lisent les chapitres de la fiction au fur et à mesure de leur rédaction, une idée secrète germe en elles : et si la réalité rattrapait voire dépassait la fiction ? Mais les filles de Soizig ne sont pas les seules à avoir un secret. Quelle est la véritable motivation de Soizig avec cette boîte de nuit ? Que cherche-t-elle à réparer ? Et la baronne du village, pourquoi se sent-elle si proche de sa dame de compagnie ? Comment est mort son fils ? Il est temps que sur ce village souffle un vent de légèreté.

En quête de bonheur

Avec Disco Queen, paru en ce mois de janvier aux éditions Albin Michel, Stéphanie Janicot nous emmène danser sur les plus grands airs de disco. Des notes endiablées, qui apportent un vent de légèreté salvateur à ces existences lourdes de non-dits, d’épreuves, de concessions. Pour Soizig, ces soucis de santé sont l’occasion d’une remise en question, du moins de la nécessité de se poser et surtout, de se poser les bonnes questions. Quelles sont les choses qui lui pèsent dans la vie ? Quelles sont à contrario celles qui la nourrissent, la grandissent, la font vibrer ? Car il y a une chose qui est certaine : il n’est jamais trop tard pour donner corps à ses rêves, pour faire du reste de sa vie la plus belle partie de son existence. Et dans son sillage, Soizig entraine sans le savoir tous ses proches, chacun décidant de mettre des paillettes dans sa vie, de la danser au lieu de la regarder passer.

Un roman tendre, qui, à l’image d’un juke-box, vous fera chantonner en boucle des tubes de disco et peut-être, redéfinir vos priorités.

Informations pratiques

Stéphanie Janicot, Disco Queen- éditions Albin Michel, janvier 2023 – 19,90€ -234 pages

Constance Debré, Offenses

Constance Debré Offenses

Après Play Boy, Love Me Tender et Nom, Constance Debré nous revient avec un livre tout aussi percutant, pertinent et dérangeant, Offenses.

Misère et justice

Une vieille femme git dans une mare de sang à son domicile, tuée à l’arme blanche. Dans cette banlieue défavorisée où « tout est abimé dès la naissance », elle a été poignardée par un jeune de 20 ans qu’elle connaissait, car il avait pour habitude de lui faire ses courses. Certes, elle avait un fils cette vieille dame, mais il ne venait jamais la voir. Contrairement au petit jeune désargenté et père de famille qui habitait le même immeuble. Alors souvent, il lui grappillait la monnaie au passage, pas de grosses sommes, mais la vieille femme s’en est rendue compte, s’est énervée. Et ça a dégénéré. Alors c’est la vieille qui a pris, mais cela aurait pu être n’importe qui. Car il avait besoin d’un exutoire, de pouvoir purger sa colère, son sentiment d’injustice. Cette femme représente tous les autres, la société à la face de laquelle il a envie, il a besoin, de cracher son incommensurable colère, le mal qu’est le monde lui-même, ce mal qui nait du manque d’argent et du manque d’amour. « Il faut bien un sacrifice, que quelque chose d’insupportable soit purgé. Un homme doit payer pour tous les hommes. »

Un roman coup de poing

Un roman qui cette fois n’est pas une autofiction, mais qui est animé du même souci : « Nous tous c’est vous aussi. Ce que je raconte c’est ce que vous ne voulez plus voir de vous-mêmes. » Avec Offenses, paru en ce mois de février aux éditions Flammarion, Constance Debré signe un nouveau roman coup de poing. Un roman volontairement et bénéfiquement dérangeant. Pour frapper les esprits, filer un uppercut à la bien-pensance, mettre KO les arrangements avec la vérité, avec l’hypocrisie de notre société. L’auteure frappe avec ses mots, économise ses coups avec une écriture dépouillée à l’extrême .Elle dénonce l’hypocrisie d’une société qui prône la justice, le vivre ensemble, mais qui repose sur une injustice criante dès la naissance. Une injustice face à laquelle la société choisit de fermer les yeux : ceux qui naissent dans des cités défavorisées, dans des familles défavorisées, sont condamnés d’emblée à vivre dans la misère, à réaliser que le confort, l’accès à une bonne éducation, à de bons soins, aux bons postes dans les entreprises, à la considération, c’est pour les autres sauf de très rares exceptions. En fermant les yeux, la société se rend coupable. Et si les victimes étaient en réalité ces laissés pour compte ? Constance Debré nous interroge.

Informations pratiques

Offenses, Constance Debré – éditions Flammarion, février 2023 – 122 pages – 17,50€

Autres livres de Constance Debré

Retrouvez les chroniques des précédents ouvrages de Constance Debré aux éditions Flammarion en cliquant sur leur titre :

Nom

Play Boy

Love me tender

Le MAGISTRAL roman de Ferdinand Laignier-Colonna : Marche ou rêve

Marche ou rêve, Ferdinand Laignier Colonna EHO

Un bijou de cette rentrée littéraire à ne manquer sous AUCUN PRETEXTE. Un premier roman aussi impertinent que drôle, aussi profond que brillant, d’une flamboyance hors du commun. Un ouvrage sans concession sur le handicap et sur le regard que la société porte sur lui.

Amitié, amour et maladie

Ils sont quatre copains corses inséparables : Marcos, François, Romain et le héros. En fait, ils sont en réalité cinq. Car la maladie, une myopathie dégénérescente, accompagne 24h/24 le jeune homme. « Une maladie sauvage, indomptée qui s’organisait des repas orgiaques de muscles pour, à terme, laisser sans énergie, aussi athlétique qu’un mollusque. » Mais qu’à cela ne tienne, tout problème à sa solution quand on a des amis, une volonté farouche et une énergie phénoménale. Alors le soir, porté par l’un, poussé par l’autre, il sort avec eux dans les bars. La nuit, il surfe sur les sites de rencontres, mais si lui assume sereinement son handicap, le regard que posent les autres sur lui le réduit à sa maladie et les femmes fuient. Sauf une. Sauf une certaine Laura. Et, deuxième rayon au soleil de son existence, le neurologue lui annonce qu’un nouveau traitement est testé actuellement et des protocoles thérapeutiques recrutent des profils semblables au sien. Si le traitement marche, alors lui aussi marchera peut-être, du moins devrait-il retrouver une certaine mobilité et donc une plus grande autonomie.

Mais quand la faim de vous affranchir de la maladie vous tenaille depuis si longtemps, quand le besoin irrépressible d’être libéré des douleurs et du fauteuil roulant gronde en vous, quand la peur panique que le handicap ne s’érige en obstacle dans votre couple devient térébrante, alors grande est la tentation de bruler les étapes, de vouloir aller plus vite, plus haut, plus loin. Ce qui n’est pas sans risque…

Un premier roman incontournable de cette rentrée littéraire

Il y a des livres au sujet desquels on a presque envie de se contenter de dire « Lisez-le ! Lisez-le et vous verrez ! », tant on a le sentiment que tout ce que l’on pourra en dire restera en deçà de ce que l’on aimerait exprimer. Marche ou rêve, de Ferdinand Laignier-Colonna, paru aux éditions Heloise d’Ormesson en ce mois de janvier, fait partie de ces rares livres-là. Le titre, magnifique, se voulait annonciateur d’un contenu qui le serait tout autant. Promesse plus que tenue. Dans ce premier roman, Ferdinand Laignier-Colonna réalise un véritable tour de force : évoquer le handicap du point de vue de la personne handicapée de façon totalement décomplexée, nous faire rire de sujets graves, se montrer drôle et profond à la fois, corrosif mais jamais irrévérencieux ni choquant. Avec un humour jubilatoire, l’auteur envoie paître les clichés et les contradictions d’une société qui prône le bien-vivre ensemble dans un monde uniquement conçu par et pour les valides.

Mais pas seulement. Ce roman est aussi une ode à l’amitié et à l’amour, à ces liens humains plus puissants que tous les antalgiques et autres traitements contre la douleur et la maladie, contre les coups de blues aussi.

On rit, on tremble, on applaudit, on pleure aussi parfois, tant ce roman est un concentré d’émotion dans toutes ses acceptions. Ferdinand Laignier-Colonna donne tant de consistance à ses personnages, les rend tellement vivants, que l’on a envie de prendre tout ce petit monde dans les bras et de les aider à donner corps à leurs rêves. Une invitation à aimer, à rêver, à vivre pleinement, quitte à se brûler les ailes. Une lecture galvanisante tant l’énergie de l’auteur est contagieuse.

Dire que c’est un très bon roman ? Non. C’est bien davantage. Un roman magistral, tant au niveau du fond que du style si maitrisé, si fluide, si énergique et émaillé de formules qui claquent. Un livre qui ne laisse pas indemne : vous ne regarderez plus jamais le handicap et les personnes handicapées de la même façon.

Vous êtes encore là à me lire ? Mais vous devriez avoir déjà filé en librairie pour l’acheter !

Informations pratiques

Marche ou rêve, Ferdinand Laignier-Colonna – éditions Héloïse d’Ormesson, janvier 2023- 224 pages – 19€

Rentrée littéraire : La filature, Arnaud Sagnard

la filature Arnaud Sagnard

C’est un roman qui glace le sang. Ou quand l’humain n’est plus qu’un pion pour l’entreprise, pion que l’on manipule sans état d’âme et sacrifie sur l’autel de la rentabilité.

Refonte complète d’entreprise et coût humain

Los Angeles, 2017. Daniel Stein travaille comme conducteur de bus depuis des années dans la même compagnie, la Los Angeles County Metropolitan Transportation Authority. Employé modèle et expérimenté, il a le privilège de rouler sur la ligne la plus agréable, la ligne 2. Aussi, quand il est convoqué au bureau du DRH, il ne s’attend absolument pas au séisme qu’on lui réserve. L’entreprise entame en effet une refonte complète de son organisation et demande à Daniel Stein de passer dans l’équipe des hiboux, chauffeurs ainsi surnommés car ils travaillent de nuit.  Une rétrogradation humiliante. Car travailler de nuit, c’est côtoyer les passagers ivres, agressifs, paumés, être le témoin de bagarres. Cette décision entrera en vigueur la semaine suivante.

Un homme dans l’ombre observe la réaction du chauffeur, c’est Jonathan Harris, senior Partner pour une compagnie d’assurances. Daniel Stein va-t-il capituler, se soumettre à la décision du DRH, ou va-t-il embarquer ses collègues et les syndicats dans un mouvement de rébellion ? Cet homme est un cobaye à son insu, l’élément clé d’un stress test : si Daniel Stein, le meilleur élément de la compagnie, accepte les nouvelles conditions, alors les autres chauffeurs le suivront. S’il s’y oppose, alors les risques pour la compagnie d’assurances sont élevés et assurer la compagnie de bus n’est pas souhaitable.

En filant le conducteur, Jonathan Harris ne s’attend cependant pas à ce qu’il va découvrir à son sujet…

Se libérer de l’enfance

En cette rentrée littéraire, Arnaud Sagnard publie son deuxième roman aux éditions Stock : La filature. Un thème très actuel, celui des restructurations d’entreprise. Quand on parle de restructuration d’entreprise, on met le plus souvent l’accent sur les licenciements que cela engendre et donc sur le personnel licencié. Mais les coûts sociaux qui portent sur les salariés qui demeurent dans l’entreprise reconfigurée sont peu abordés. C’est cet angle que choisit l’auteur, qui se focalise sur un des meilleurs éléments de l’entreprise pour mesurer comment il encaisse le choc. Les pratiques managériales glacent le sang. Cet homme n’est qu’un pion, un élément témoin que l’on suit pour savoir si la mesure va bien passer avec le reste des employés ou non. Un fusible en quelque sorte. Peu importe qu’il saute, peu importe l’impact sur sa vie personnelle, on est dans une expérience déshumanisée. Mais cette fois, Daniel Stein ne va pas être mis KO. Cette humiliation de plus, de trop, va peut-être lui donner le ressort de réagir, de se libérer du fardeau qu’il traine depuis l’enfance.

Si le sujet est très intéressant, le style très lyrique et les nombreuses digressions cassent le rythme et diluent la tension narrative. La proximité nouée avec le personnage en souffre aussi. Le fond m’a séduite, la forme moins. Un sentiment mitigé donc.

Pierre Lemaitre : Le silence et la colère

Le silence et la colère

Après Le grand monde, premier tome de sa tétralogie consacrée à la période des Trente Glorieuses, Pierre Lemaitre poursuit la fascinante saga de la famille Pelletier avec Le silence et la colère. Un roman social aussi captivant que brillant.

Les trente Glorieuses

Nous sommes en 1952, aux côtés de la famille Pelletier. Les parents sont restés à Beyrouth, tandis que les trois enfants, Hélène, François et Jean, sont venus s’installer à Paris. Les descendants n’ont pas voulu reprendre l’entreprise familiale de savonnerie libanaise et chacun tente de percer dans la voie qu’il a choisie. En cette période des Trente Glorieuses, chaque enfant est à un tournant de sa vie personnelle et professionnelle. François est journaliste à la rubrique faits divers du Journal du soir mais aspire à être affecté aux enquêtes sociales. Il est tourmenté par sa compagne dont il découvre qu’elle lui ment sur ses origines. Sa jeune sœur Hélène se consacre au reportage photo au sein de la même rédaction. A 23 ans, contrairement à nombre de ses amies, elle ne rêve pas de maternité. Mais se retrouve enceinte d’un homme marié. Que faire de cet enfant non désiré dans une société qui refuse le droit à disposer de son corps ? Quant à l’ainé, Jean, alias Bouboule, qui s’est illustré par de retentissants échecs professionnels comme personnels, marié à l’acariâtre Geneviève, c’est l’heure de saisir enfin sa chance. Il va ouvrir un magasin de vêtements d’un nouveau genre : une grande surface proposant des vêtements en quantités impressionnantes et à bas prix. Un investissement lourd pour lequel il joue quitte ou double. Encore faut-il qu’il ne soit pas rattrapé par ses crimes passés…

La famille pelletier va-t-elle bien négocier les virages que le destin place sur sa route ?

Un coup de (Le)maître

Lire Pierre Lemaitre est un enchantement. Un envol romanesque dans la lignée de Dumas, de Zola, de ces auteurs qui dépeignent avec talent la société à travers des feuilletons captivants. Avec ce nouvel opus, paru aux éditions Calmann-Lévy et intitulé Le silence et la colère, Pierre Lemaître nous transporte 70 ans en arrière, aux côtés d’une galerie de personnages tous plus truculents et attachants (ou détestables pour certains comme Geneviève) les uns que les autres. Chacun ressent un mélange de silence et de colère : colère de devoir se soumettre en silence aux diktats de la société, de la famille, du couple.  Le silence et la colère, c’est l’histoire d’une famille qui s’inscrit dans l’Histoire. Celle de l’interdiction d’avorter pour les femmes, sous peine de poursuites pénales. Celle de l’avènement de la grande distribution aux dépens des petits commerces de proximité. Celle de la revendication de meilleures conditions de travail et du droit de grève. Celle des grandes constructions comme les barrages, au détriment des petits villages. Pierre Lemaitre a l’exceptionnel talent de nous faire vivre au diapason de ses personnages, de trembler, de rire, de râler, de pleurer avec eux. Une immersion possible tant l’auteur sait donner de la chair à chaque personnage, maintenir le lecteur en haleine, attiser ses attentes, le garder captif dans le lasso de ses mots. Magistral.

C’est un roman foisonnant, fascinant, brillant, indiciblement vivant, riche en rebondissements, avec un twist final jouissif. Qu’il va être long d’attendre le tome suivant !

Pour information, les lecteurs qui n’ont pas lu Le grand monde peuvent tout à fait lire ce roman, sans être perdus. Tout est conçu pour permettre la compréhension de l’intrigue indépendamment du premier tome. Mais il est certain que ce roman terminé, vous vous jetterez sur le premier !

Informations pratiques

Le silence et la colère, Pierre Lemaitre- Editions Calmann-Lévy, janvier 2023 – 582 pages -23,90€

Christine Orban, Soumise

Christine Orban Soumise

Tout le monde connait le brillant Blaise Pascal. Mais sa sœur Jacqueline, dont l’intelligence n’avait rien à envier à celle de son frère, est demeurée méconnue. Christine Orban la sort de l’ombre dans ce portrait d’une femme hors du commun.

La sœur de Blaise Pascal

Il n’est pas facile de perdre sa mère quelques mois après sa naissance, cinquième enfant d’une fratrie qui compte déjà deux défunts. Il n’est pas facile non plus d’être la sœur d’un génie, aussi grand soit leur amour l’un pour l’autre et l’admiration qu’ils se vouent. C’est dans ce contexte que Jacqueline Pascal vient au monde, en 1623. Elevée par son père, instruite par ce dernier et par sa sœur ainée Gilberte, elle montre très vite des dispositions exceptionnelles pour la langue française et plus particulièrement poésie. La famille Pascal a ainsi deux prodiges : Blaise, mathématicien, physicien et inventeur de génie et Jacqueline, sa cadette, aussi douée pour les lettres que Blaise l’est pour les chiffres. Jacqueline, un fort tempérament, est bien décidée à égaler son frère par ses propres moyens, dans son domaine de prédilection. Elle se bat pour ne pas rester dans son ombre, dans un siècle où les femmes sont reléguées au second plan. Elles est d’ailleurs très vite remarquée, invitée à déclamer des vers devant la reine Anne d’Autriche.

Mais, soumise à son père, à son frère à la santé si fragile qu’elle doit jouer à l’infirmière jour et nuit, elle se détourne peu à peu de la cour, du monde du paraître, de la flatterie et de la fête, pour se consacrer à sa foi. Pour se soumettre à Dieu. Pour Jacqueline, Blaise doit se détourner de sa science pour la suivre sur la voie de la foi. Pour Blaise, la foi n’a pas à être exclusive, et peut très bien cohabiter avec a recherche scientifique. Entre le frère et la sœur, si fusionnels, c’est le déchirement…

Une femme soumise à son père, à son frère et à la religion

C’est une mise en lumière très intéressante que nous offre Christine Orban avec Soumise, aux éditions Albin Michel. Elle nous brosse le portrait d’une femme paradoxalement forte de caractère, déterminée, brillante, à contre-courant de la place de second plan réservée aux femmes à cette époque, mais soumise au désir de son père, soumise au devoir de porter assistance à son frère, soumise à sa pratique extrémiste de la foi. Une femme à qui la célébrité tendait les bras, dont la présence était recherchée par les plus grands, mais qui a choisi l’effacement et le renoncement avec cette vie de religieuse janséniste.

C’est un livre très documenté sur la famille Pascal, et plus largement, sur le contexte historique et social de ce XVIIème siècle. L’occasion de découvrir une femme hors du commun, celle que Blaise Pascal aimait le plus au monde.

Informations pratiques

Christine Orban, Soumise – éditions Albin Michel, janvier 2023 – 292 pages – 20,90€

Ariane Bois : Ce pays qu’on appelle vivre

Ce pays qu'on appelle vivre ariane bois

Un roman d’amour et de guerre, de lumière et de ténèbres. Ariane Bois revient sur un lieu mal connu de l’Histoire : le camp d’internement des Milles, près d’Aix en Provence, seul camp important d’internement et de déportation français.

L’amour en temps de guerre

Opposé au gouvernement du Reich, Léonard Stein, juif allemand, talentueux caricaturiste de presse, a trouvé refuge dans le sud de la France en 1937. Mais en ce printemps 1940, il n’est guère tranquille quand il voit la tournure que prend la guerre. Et il a raison : le gouvernement français a décidé de faire arrêter et interner les ressortissants du Reich, sans aucun discernement. Et donc y compris ceux qui sont profondément antifascistes et ont fui le nazisme. Arrêté par les gendarmes français, il est envoyé à la Tuilerie des Milles, un bâtiment industriel désaffecté près d’Aix en Provence, transformé en camp d’internement. Les détenus sont parqués comme des bêtes dans la boue et la fange, cernés par la vermine et les maladies, immergés dans une odeur pestilentielle. Dans ce lieu cauchemardesque, les prisonniers, au nombre desquels de nombreux intellectuels comme Max Ernst, Max Schlesinger et Franz Hessel, trouvent néanmoins le ressort de s’évader par la création artistique.

Léo n’a qu’une obsession : fuir ce camp, fuir la France, peu importe où et comment. Quand il croise le chemin de Margot Keller, une jeune femme juive, bénévole d’un réseau de sauvetage, qui apporte quelques vivres aux prisonniers du camp des Milles, il trouve en elle une alliée. Et l’amour. Margot va prendre des risques incroyables, mobiliser toute son énergie pour faire évacuer Léo. Se laissent-ils bercer d’illusions ? Comment échapper à un enfer pareil, alors que l’été 42 se révèle plus cruel que jamais, Vichy ayant accepté de livrer les juifs de la zone libre à l’Allemagne ?

Le camp français des Milles

Avec Ce pays qu’on appelle vivre, paru aux éditions Plon, Ariane Bois revient sur le camp d’internement et de déportation français des Milles, sous commandement militaire français. Un camp peu connu. Sur fond de guerre, de xénophobie et d’histoire d’amour, elle nous fait revivre cette macabre page de l’Histoire, évoque les Milles qui ont abrité 10 000 détenus dont 2000 d’entre eux, y compris des femmes et des enfants, furent déportés à Auschwitz. Au milieu de ce chaos, Ariane Bois souligne l’indicible courage des prisonniers, lesquels laissent libre cours à la création artistique : théâtre, peinture, dessin, chant, musique, ce sont plus de 400 œuvres artistiques qui ont été retrouvées à la libération du camp. Une façon qu’ont trouvé ces hommes et ces femmes pour résister à la déshumanisation et à la persécution. L’histoire d’amour entre Léo et Margot apporte une bouffée d’oxygène salutaire à l’enfer de ce lieu, aide le lecteur à ne pas être complètement accablé par l’indicible cruauté dont les juifs furent victimes dans ce camp.

Un roman nécessaire. Un devoir de mémoire.

Informations pratiques

Ariane Bois, Ce pays qu’on appelle vivre – éditions Plon, janvier 2023- 20,90€- 286 pages

Philippe Besson : ceci n’est pas un fait divers

Philippe Besson ceci n'est pas un fait divers

Un roman inspiré de faits réels, sur les dommages collatéraux d’un féminicide, du point de vue des enfants. Bouleversant. Percutant. Inoubliable.

Féminicide

Depuis 5 ans il s’adonne à sa passion pour la danse, loin du foyer familial dans lequel sa jeune sœur de 13 ans, Léa, vit encore avec ses parents. Une passion encouragée par sa mère, dont il se sent si proche. Et soudain, cet avenir annoncé radieux au regard de son don et de sa passion pour cet art, bascule dans les ténèbres : sa sœur l’appelle, terrifiée, pour lui annoncer l’impensable. Leur père a assassiné leur mère.

Et de se précipiter à Blanquefort, lieu du drame, aux côtés de Léa. Il découvre une fillette terrifiée, réfugiée dans un silence inquiétant. Leur père, quant à lui, a pris la fuite. Convaincu que son indéfectible amour, sa présence, sa force vont permettre à sa sœur de dépasser son traumatisme, il décide de rester en Gironde. Mais son amour suffira-t-il à extraire sa sœur du cauchemar dans lequel elle est plongée ? Sacrifier tous ses rêves est-il compatible avec un avenir supportable ?

Tandis que la traque commence pour retrouver le père, le fils remonte le fil du temps. Aurait-on pu empêcher ce drame ? Y avait-il des signes avant-coureurs que personne n’a vu ou voulu voir ? La violence et la jalousie maladive de son père étaient-elles perceptibles ? La culpabilité du fils alors grandit, térébrante, dévorante comme une armée de termites…

Un roman inspiré de faits réels

En cette rentrée littéraire 2023, Philippe Besson nous revient avec un roman dont le thème fait hélas trop souvent l’actualité : le féminicide. Ceci n’est pas un fait divers, paru aux éditions Julliard, s’inspire d’un fait divers réel, en évitant avec brio l’écueil du pathos ou du sensationnalisme malsain. Philippe Besson se glisse dans la peau des enfants, pour évoquer les dommages collatéraux de ce meurtre. Comment se reconstruire sur des fondations en miettes, mais aussi, comment se pardonner de ne pas avoir agi, de ne pas avoir compris le potentiel danger qui guettait ? Comment pardonner aux témoins des scènes conjugales, à la gendarmerie, leur légèreté et leur lâcheté face aux cris et aux plaintes ? Comment pardonner à leur père ? Avec une sensibilité à fleur de plume, une justesse chirurgicale dans l’analyse des émotions et des situations, Philippe Besson nous plonge dans le quotidien des enfants après le drame, nous fait vivre les répliques du séisme qui jalonnent leur vie.  

Un roman bouleversant. Une histoire impossible à oublier.

Informations pratiques

Philippe Besson : ceci n’est pas un fait divers- Editions Julliard, janvier 2023- 20€-204 pages