Rentrée littéraire : Sale bourge, Nicolas Rodier

sale bourge de Nicolas Rodier
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Un enfant battu est-il condamné à devenir un adulte violent ? Dans ce premier roman, Nicolas Rodier dresse le portrait d’une famille bourgeoise aux apparences trompeuses.

Des apparences trompeuses

Fils ainé d’une famille versaillaise de six enfants, Pierre semble avoir de l’extérieur une existence dorée : tennis, chasses au trésor, rallyes automobile à thème, équitation, des activités réservées aux familles aisées. Mais dans l’intimité de la famille, une fois le vernis ôté, le quotidien n’est guère brillant. Une mère qui passe de la tendresse à la violence extrême le temps d’une respiration, hurle, frappe avec tout ce qui lui passe sous la main. Un père qui fait l’autruche face à la virulence de sa femme et ne joue pas son rôle protecteur auprès de la fratrie. Alors, au sein de cette famille chaotique, chacun essaye de se faire une place, de trouver un certain équilibre à défaut de trouver un équilibre certain.

Mais les cris et les coups subis pendant l’enfance s’évanouissent-ils vraiment avec le temps ? Quelles séquelles en garderont les enfants et notamment Pierre ? Des enfants violentés feront-ils des adultes violents ou se construiront-ils en opposition à leurs parents ?

La violence en héritage

Dans ce premier roman « Sale bourge », paru aux éditions Flammarion, Nicolas Rodier  s’intéresse à cette violence tue, celle dont on ne parle pas dans les cocktails, mais qui surgit dans les foyers une fois la porte de la riche villa refermée. Une violence aussi bien physique que verbale, qui alterne ici avec des moments de grande douceur. Comment trouver ses repères quand votre mère passe sans arrêt de l’ange au démon, et réciproquement ? Comment se construire sur des bases de peur et d’insécurité ? Plus encore : l’auteur s’interroge sur les conséquences d’une telle violence, lorsque l’enfant arrive à l’âge adulte. Ne pas vouloir faire subir à son entourage ce que lui-même a subi, suffit-il à faire de lui un adulte non violent ? Peut-il canaliser les émotions qui le traversent, museler la colère qui gronde en lui ? Drogue, alcool, anorexie et autres troubles du comportement sont parfois les refuges des enfants maltraités devenus adultes. Est-ce pour autant une fatalité ?

Un roman vif, qui écorche ce milieu bourgeois si attaché aux apparences.

Informations pratiques

Sale bourge, Nicolas Rodier – éditions Flammarion, août 2020 – 214 pages – 17€

Citation du jour

L’être humain n’est pas complètement conditionné; il a le choix d’accepter les conditions qui l’entourent ou de s’y opposer. En d’autres termes, il ne fait pas qu’exister, mais il façonne lui-même sa vie à chaque moment.

Viktor E. Frankl

Rentrée littéraire : Rosa Dolorosa

Rosa Dolorosa
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Un magnifique premier roman, absolument hypnotique. Jusqu’où une mère peut-elle aller pour protéger son fils? Un combat maternel superbe et bouleversant.

Mère et fils : un duo inséparable

Rosa a eu son fils très jeune, et, depuis l’âge de ses 8 ans, l’élève seule. C’est donc une relation exclusive et indiciblement forte qu’ont tissée Rosa et Lino âgé aujourd’hui de 23 ans. Ils vivent ensemble, travaillent ensemble et ont des projets ensemble. Leur rêve? Fermer leur restaurant « Le petit soleil » et ouvrir dans le vieux Nice un hôtel avec un énorme aquarium rempli de méduses. Un rêve bientôt réalité.

Mais c’était sans compter avec cette terrible affaire : un jeune enfant de 8 ans, fils de leur serveuse, est retrouvé assassiné. Pire encore : tout et tous semblent accuser Lino. Une culpabilité inconcevable pour Rosa.

Aussi, même si une vilaine tâche sur la jambe l’élance atrocement, même si la raison voudrait qu’elle consulte un médecin de toute urgence, sa priorité est ailleurs. Et cet ailleurs s’appelle Tino. Aussi grande soit sa douleur, elle résistera, ne se découragera pas. Le défendra bec et ongles.

A-t-elle raison de croire en son innocence? Parviendra-t-elle à faire libérer son fils? Jusqu’où ira-t-elle pour le défendre?

Le combat d’une mère

C’est un premier roman très abouti que nous livre Caroline Dorka-Fenech, avec Rosa Dolorosa. Le combat acharné d’une mère pour protéger son fils. Quel qu’en soit le prix. Quels qu’en soient les risques. Mais surtout, quelle que soit sa responsabilité dans ce drame.

C’est un combat dantesque, presque animal, celui d’une louve pour son petit, auquel le lecteur assiste, hypnotisé par l’intensité émotionnelle qui se dégage du texte, par le courage de cette femme et mère. Captivé par l’intrigue.

Impossible de reposer le livre une fois la lecture commencée.

Impossible d’oublier la formidable Rosa une fois la lecture terminée.

Un excellent cru de cette rentrée littéraire! A lire absolument.

Informations pratiques

Rosa Dolorosa, Caroline Dorka-Fenech – Editions de La Martinière, août -2020 – 282 pages – 18€

Livre pour enfant : Mon livre de l’amitié

mon livre de l'amitié
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Avoir des amis est une source de bonheur, d’épanouissement et de confiance en soi. Mais se lier d’amitié n’est pas toujours facile. Ce livre explique clairement aux enfants ce qu’est l’amitié, comment la développer, l’entretenir, ce qu’il faut ou ne faut pas accepter au nom de l’amitié. Excellent.

L’amitié chez l’enfant

Avoir des amis avec lesquels partager des jeux, des rires, échanger, jouer, rêver est un facteur d’épanouissement, joue un rôle essentiel dans le développement physique et psychologique du petit. Et alimente la confiance en soi. Pour autant, il n’est pas toujours aisé pour un enfant de se faire des amis, d’aller vers les autres et de les laisser venir à soi. Les timides, les petits nouveaux dans une école ou dans une activité, les complexés, les soumis, resteront en retrait à rêver d’être intégrés.

Bonne nouvelle, l’amitié s’apprend ! Il est tout à fait possible de surmonter les difficultés à aller vers les autres, d’apprendre à surmonter sa crainte du rejet. Ce livre sur l’amitié donne en effet des clés à l’enfant pour oser entrer en contact avec les autres, poser des limites, surmonter les brouilles, se réconcilier, soutenir ses amis.

Un livre avec plein d’exemples concrets

Ce livre sur l’amitié, de Félicity Brooks (texte) et Mar Ferrero (illustrations) est un outil pédagogique complet et fort utile, destiné aux enfants de 3 à 5 ans. Grâce aux nombreuses mises en situation illustrées, il permet de faire comprendre à l’enfant l’importance d’avoir des amis, comment s’en faire, ce que représente l’amitié et le partage, mais aussi le pardon, le compromis. Des exemples illustrés répondent à toutes les questions qu’il peut se poser, avec des mots compréhensibles pour lui.

Un insert à destination des parents aide ces derniers avec des outils concrets à accompagner leur enfant dans son ouverture aux autres.

Un livre que je recommande VIVEMENT!

Informations pratiques

Mon livre de l’amitié, Felicity Brooks et Mar Ferrero – éditions Usborne, août 2020 – 10,95€

Site des éditions Usborne : https://www.usborne.fr/

Rentrée littéraire : Un jour viendra couleur orange, Grégoire Delacourt

Un jour viendra couleur orange
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En cette rentrée littéraire, Grégoire Delacourt nous offre un roman viscéralement humain, véritable ode à l’enfance et au respect des différences. Et si l’amour sauvait de tout?

« On veut juste une vie juste »

Pierre travaillait comme opérateur dans une usine de production de papiers et cartons quand il a été brusquement licencié. Depuis, il n’a retrouvé qu’un poste de vigile à mi-temps à Auchan. Un maigre salaire qui s’ajoute à celui de sa femme Louise, infirmière en soins palliatifs, pour élever leur fils Geoffroy, âgé de 13 ans.

La colère que Pierre a contenue suite à son licenciement, à son impossibilité à être embauché ensuite à un salaire décent, à la naissance de ce fils différent qui lui fait peur, à la vie qui brise ses rêves un à un, sort enfin. Avec fracas. Cette colère trop longtemps contenue, muselée, bridée, trouve à s’exprimer avec d’autres compagnons d’infortune gilets jaunes sur les ronds-points. Leur slogan : « On veut juste une vie juste ».

Telle une petite rivière gonflée par les orages essuyés, la colère de Pierre devient un torrent fou. Quand il embarque son fils dans sa rage, l’exhorte à jeter un cocktail molotov sur le centre des impôts, c’est l’écart de trop. Louise, qui depuis sa naissance tente de protéger son fils des agressions du monde, qui l’enveloppe de douceur et tente par tous les moyens d’atténuer ses peurs paroxystiques, ne supporte pas la démesure qui s’empare de Pierre. De toute façon, dès l’instant où le petit s’est révélé différent, Pierre a cessé d’être un père pour Geoffroy et un mari pour elle.

Geoffroy qui se tape la tête contre les murs quand il a peur, qui ne ressent pas la douleur physique, qui parle comme un livre. Geoffroy dont le regard n’agrippe rien ni personne. Geoffroy que le moindre bruit effraie. Geoffroy, l’âme pure, l’esprit innocent, tête de turc de l’école et hantise de son père. Heureusement, outre le cocon délicat que lui offre Louise, Geoffroy a trouvé en une élève de 4ème, Djamila, une oasis de douceur, d’écoute et de tolérance. Djamila, l’être qui sait reconnaître en lui un garçon unique et précieux. Mais ce lien magique va lui aussi être soumis à la fureur des hommes.

Aragon avait-il raison de penser qu’un jour viendrait, couleur orange, …, une épaule nue où les gens s’aimeraient? L’homme, capable du pire, peut-il aussi être capable du meilleur? Et si l’amour savait de tout?

La force de l’amour

Avec un jour viendra couleur orange, Grégoire Delacourt nous offre un roman très rythmé, écrit dans une forme d’urgence, celle qu’il y a à retrouver une vie plus juste, plus apaisée. Plus aimante. A maintes reprises, je suis restée béate devant la puissance évocatrice du texte, devant la justesse des propos. A l’image de la colère qui s’empare de Pierre et emporte tout sur son passage, le texte de Grégoire Delacourt vous emporte coeur et âme, vous secoue, vous émeut, vous révolte. Et vous dépose sur une rive, à l’écart de la boue charriée par les flots, le sourire aux lèvres et les larmes aux yeux.

Grégoire Delacourt nous montre que l’homme ne naît pas de façon manichéenne du côté des bons ou des méchants. Les circonstances de la vie, l’ignorance, la peur de la différence font tantôt surgir sa part d’ombre, tantôt sa part de lumière. Il appartient donc à chacun d’être conscient de cette dualité en lui, et de tout faire pour que sa face lumineuse l’emporte. Pour faire l’amour, pas la guerre.

Un roman très engagé et viscéralement humain. A lire absolument!

Informations pratiques

Un jour viendra couleur orange, Grégoire Delacourt – éditions Grasset, août 2020 – 366 pages – 19,50€

Rentrée littéraire : La fièvre, Sébastien Spitzer

La fièvre Sébastien Spitzer
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Memphis gagné par la fièvre jaune

Nous sommes à la fin du 19ème siècle à Memphis. Même si la loi du Nord octroie désormais aux noirs de choisir leur lieu de vie, leur champ, leur employeur, dans le Sud les esclavagistes ont la vie dure. Et les tortures et exécutions sommaires par le Klu Klux Klan font rage. Parmi leurs adeptes, le chef du journal local, un certain Keathing. Quand ce dernier apprend que l’homme qui s’est écroulé dans le centre ville, terrassé par une mystérieuse maladie, serait atteint de la fièvre jaune, que d’autres villes alentour ont déjà observé de nombreux cas similaires, il décide de publier le scoop, semant la panique chez les habitants de Memphis qui décident de fuir.

Alors que la ville se vide, Raphael T. Brown, un ancien esclave à la stature imposante, décide de former une brigade pour défendre la ville contre les pillards. Celui qui se bat depuis des années pour faire accepter son statut d’homme libre aux sudistes racistes, ne va pas hésiter un instant à se battre pour préserver les biens de tous, y compris ceux des blancs.

Madame Cook est une autre figure locale à ne pas avoir fui. Directrice du célèbre et luxueux bordel du coin, elle avait eu comme client quelques heures avant sa mort, la première victime de la fièvre jaune.

Trois êtres, trois destins qui vont se croiser. Pour le meilleur ou pour le pire?

Un roman inspiré de faits réels

La fièvre est le troisième roman du talentueux Sébastien Spitzer. Et quel roman! Bien davantage qu’un livre, c’est une immersion totale dans le Memphis de la fin du 19eme siècle que nous offre l’auteur, avec force de parfums, de sons, d’images, de sensations. Le lecteur a peur, a faim, a froid, vibre au diapason des personnages. La plume de Sébastien Spitzer est si alerte, ses personnages ont tant de chair, la puissance évocatrice de son texte est si grande, que l’on n’est plus un simple lecteur mais le témoin de cette épidémie, des drames qui se jouent, de la solidarité qui se crée aussi. Car cette épidémie, qui fait étrangement écho à ce que nous vivons cette année avec le COVID, est révélatrice du vrai visage des êtres. Les masques tombent et les plus altruistes, les plus forts, ne sont pas toujours ceux que l’on pensait. Courage, lâcheté, égoïsme, altruisme, racisme , le meilleur et le pire se côtoient. Naît-on foncièrement bon ou mauvais, superficiel ou profond, altruiste ou égoïste? Les crises peuvent-elles opérer une prise de conscience et un changement en profondeur chez l’homme?

Un roman dense, inspiré de faits réels, qui marque une empreinte durable dans l’esprit du lecteur. Ou quand les crises, les catastrophes, les épidémies qui secouent nos sociétés, jouent le rôle de révélateur des êtres. MAGNIFIQUE.

Informations pratiques

La fièvre, Sébastien Spitzer – éditions Albin Michel, août 2020 – 315 pages – 19 €