Franck Balandier est l’auteur de quatre romans, mais aussi d’essais et de poésies. Il a publié en février dernier un nouveau roman, Le silence des rails, aux éditions Flammarion.
Rencontre avec l’auteur :
Qui êtes vous Franck Balandier?
Si je le savais moi-même !
Mon passeport prétend que je suis né le 11 juillet 1952, à Suresnes, dans les Hauts-de-Seine. De sexe masculin. Que je mesure 1, 83 m. Mais j’ai dû me tasser un peu depuis.
Pour le reste, je dois m’en remettre à quelques signes incontestables. Ceux que je m’accorde avec bienveillance. Ceux que les autres me prêtent, sans indulgence.
Impulsif. Ecorché. Instable. Cynique. Romantique. Joueur. Drôle. Triste. Dilettante.
Pour dire qui je suis, il me faut d’abord définir qui j’étais.
J’ai eu, jusqu’à l’année dernière, un statut social, une profession qui m’empêchait de faire apparaître au premier plan, ma position d’auteur.
J’étais fonctionnaire d’une administration décriée, honnie, sujette à des fantasmes récurrents de la part de l’opinion publique.
J’ai fait toute ma carrière au sein de l’administration pénitentaire. Tout me prédestinait à devenir enseignant, j’ai choisi l’aventure au bout de la rue. Celle de la Santé.
Je pense qu’on ne choisit pas ce genre de milieu professionnel par hasard.
Et je pense d’ailleurs que l’enfermement, ce que j’en ai découvert, vécu, m’a sans doute inspiré en partie pour écrire « Le Silence des rails ». Même s’il n’est pas question de vouloir comparer l’incomparable, et qu’une prison n’est en rien un camp d’extermination. Il n’empêche. La contrainte demeure la même à la base.
J’ai décidé, depuis un an, de me consacrer entièrement à l’écriture.
Je suis l’auteur de 4 romans :
Le Silence des rails, Flammarion.
Ankylose, Le Serpent à Plumes.
L’Homme à la voiture rouge, Fayard.
Les Nuits périphériques, Michel de Maule.
Quel est le thème central de ce nouveau roman, Le silence des rails (Editions Flammarion)?
Alsace, 1942. Etienne, jeune homosexuel parisien, est déporté au Struthof, camp d’extermination nazi installé en territoire français annexé. Sur son pyjama rayé, il doit porter le triangle rose inversé, la marque de son infamie.
Il rentre dans un long hiver.
Affecté au service général du camp, il est chargé de vider les seaux d’excréments de ses congénères et de déblayer la neige autour des bâtiments.
Placé d’abord sous la garde d’Ernst qui est bientôt fusillé parce trop complaisant, il est ensuite confié à Mina, l’une des seules gardiennes du camp.
Et puis il y a aussi la petite Ingrid, la fille du commandant, qui joue au ballon de l’autre côté des barbelés, avec qui il se lie d’amitié…
Ce livre veut témoigner, pour la première fois de manière romanesque, de la déportation, trop longtemps passée sous silence, des homosexuels.
Si vous deviez choisir une phrase de ce livre, laquelle mettriez vous en avant?
« Nous naviguons dans nos tenues rayées selon un code maritime où les règles de courtoisie n’ont à rendre compte que de nos morts prochaines ».
Page 148.
Si ce roman était une musique, laquelle serait-elle?
Incontestablement, Le requiem de Mozart. Il a d’ailleurs servi à illustrer un petit film que j’avais réalisé à Auschwitz, voici plusieurs années, dans le cadre de mon travail. Je l’avais en tête, à chaque instant, en écrivant « Le Silence des rails ».
Ou bien, aussi, la chanson de Jean Ferrat, « Nuit et Brouillard ».
Et s’il était un film, lequel serait-il?
Il y en aura deux :
« Nuit et Brouillard », de Alain Resnais.
« Shoah », de Claude Lanzmann.
Forcément.
Avez-vous des rituels d’écrivain (lieu, horaires, musique d’ambiance, etc.)? Comment vous vient l’inspiration?
J’écris la nuit, essentiellement. Il me faut le silence autour. Je veux dire qu’il me faut le silence de la ville autour. Que tout repose enfin. J’ai besoin de cette illusion. De me sentir seul au milieu de la nuit. Les mots me viennent plus aisément.
J’écris sans réfléchir. Il me faut l’urgence de la phrase. Son évidence. Alors, je la note au plus vite avant qu’elle ne m’échappe. Je suis incapable de m’asseoir devant mon ordinateur par obligation d’écrire. Il me faut une inspiration, une idée, une image, quelque chose de déjà construit dans ma tête.
Les nuits à écrire se passent par intermittence. J’ai besoin de me lever souvent. De faire autre chose pour aller jusqu’à la phrase suivante. Je me lève donc. Je marche. Je vais d’une pièce à l’autre. C’est cette déambulation qui me donne la suite à rédiger. Je retourne m’asseoir. Très vite. Surtout ne rien oublier de ce minuscule voyage.
Parfois, aussi, j’ai besoin d’une véritable pause. De passer à autre chose. De me vider, provisoirement, la tête. Alors, je m’installe confortablement dans mon canapé. Je saisis une guitare. J’improvise quelques notes. Je me laisse bercer par l’illusion forcément éphémère d’être musicien. Dans ma tête, des paroles me viennent. Je n’ai pas vraiment besoin de les appeler. Elles arrivent presque en même temps que la mélodie. C’est la musique qui me donne le rythme de la phrase. Cette improvisation musicale et maladroite peut durer longtemps. Pas forcément. Mais elle m’aide toujours à reprendre le cours de mon écriture.
Parfois aussi, j’écoute de la vraie musique. De celle que l’on retrouve sur de vrais disques. Je n’ai qu’à choisir dans la playlist que j’ai constituée sur mon ordinateur. Le plus souvent, il ne peut s’agir, pour accompagner l’écriture, que d’un morceau apaisé, il me faut le calme des notes aussi pour rédiger. Je proscris les voix qui chantent en français. Les mots que je comprends écorchent mon imaginaire. Interfèrent. Parasitent. Je n’ai pas besoin que l’on me parle quand j’écris.
On pourrait penser à des morceaux classiques, mais j’avoue que ceux-ci, lorsque la nuit est déjà bien avancée, m’anesthésient un peu. Je leur préfère des choses plus légères, plus modernes. Du folk, surtout. Féminin. Mais pas que.
Et puis, enfin, en dernière extrémité, quand la sécheresse menace au bout du clavier, il faut bien se résoudre à d’autres subterfuges, sans en abuser.
Je l’avoue, parfois, il m’arrive, mais je ne parle que de certaines heures avant l’aube, quand tout fout le camp, même la mémoire immédiate, même la jeunesse d’hier, d’aller me préparer un ti’ punch à ma manière, souvenir des Antilles, pour finir les phrases. Parce que les mots aussi, ça finit par s’épuiser, d’avoir trop fumé, trop dansé, trop ri, ou rien du tout, parce que des fois, il faut bien penser à la dernière phrase, avant d’aller se coucher, et que celle-ci ne vient pas, alors que peut-être, avec ce truc, on se dit qu’on sera plus vite au lit, avant que le jour ne se lève.
Qu’aimeriez vous partager avec vos lecteurs?
Des regards. Des connivences. Puis des mots. Puis des rires. Des choses essentielles. Ou futiles.
J’ai si peu écrit pour moi. Ou bien peut-être vaguement au début, avec mes premières vélléités littéraires. Il y a toujours un Narcisse qui sommeille au fond de tout écrivain. J’ai perdu la sale habitude de me regarder écrire. Je n’écris plus que pour des gens que je ne connais pas. Je leur envoie des signes. J’attends qu’ils me répondent. J’écris pour être aimé.
Ce que je recherche, c’est la confrontation avec le public. Des personnes qui ont acheté mon livre, qui ont investi dans une histoire, qui ont payé pour cela, et qui attendent d’être satisfaites, sinon remboursées.
J’attends, de leur part, des mots sans complaisance, de ceux qui font mal, ou de ceux qui caressent, pour m’expliquer pourquoi j’écris. Et si ça vaut bien le coup que je continue à le faire.
Propos recueillis le 12 mai 2014
Retrouvez la chronique que j’ai consacrée à ce roman en cliquant sur ce lien : https://leschroniquesdekoryfee.wordpress.com/2014/05/12/le-silence-des-rails-de-franck-balandier-flammarion/