
Pour la première fois, ce n’est pas un roman mais un récit que nous offre Grégoire Delacourt. Un livre très intime sans jamais être impudique.
Une enfance fracassée
Ce livre est un livre à part, pour ceux qui suivent l’auteur de roman en roman. Pour la première fois, Grégoire Delacourt ne se cache pas derrière des personnages et se livre. Touche par touche, comme sur une toile de Seurat, il peint son parcours de vie, de sa prime enfance, avant l’âge de 5 ans, ces 5 années où les rires et la légèreté faisaient encore partie du quotidien, jusqu’à aujourd’hui, en passant par ses premières amours, ses débuts dans la publicité, ses séances chez la psy, sa rencontre déterminante avec la femme de sa vie, son tuteur, son roc, son oxygène : Dana.
Un père souvent absent, qui laissait le petit Grégoire en proie à une térébrante question : ne les aimait-il pas? Sinon pourquoi lui, sa mère, son frère et sa sœur restaient-ils seuls à la maison? Pourquoi sa maman semblait vouloir l’éloigner, comme en atteste la migration forcée de Grégoire dans la chambre du grenier ou encore le pensionnat dans lequel on l’envoie dès l’âge de dix ans? Désamour ou au contraire, désir de protection de son fils? Le protéger de quoi? De qui? Que sait-elle ou que soupçonne-t-elle? Quels sont les secrets qui entourent l’écrivain de la famille? Dans cette maison où on ne voyait que le bonheur, l’horreur avait sa place dans l’ombre. Faute d’être nommée, dénoncée, elle a grandi tapie dans un coin de la conscience, a hanté l’auteur toutes ces années, guidé ses actes, ses choix, a failli le perdre. Jusqu(à ce que ce roman, Mon père, joue un rôle de détonateur. Fasse voler les apparences en éclats.
Un récit bouleversant
Quand on découvre L’enfant réparé, paru en cette fin de septembre aux éditions Grasset et qu’on a lu les précédents romans de Grégoire Delacourt, on réalise que ses romans portaient en eux le germe du récit à venir. Comme un terreau que l’auteur a travaillé, semant des graines ici et là, sous le masque de la fiction. Jusqu’au jour où il se sentirait prêt à laisser son enfance et ses blessures éclore au grand jour et non plus enfouis dans la terre fictionnelle. L’écrivain de la famille, La liste de mes envies, La première chose qu’on regarde, On ne voyait que le bonheur, Les quatre saisons de l’été, Danser au bord de l’abime, La femme qui ne vieillissait pas, Mon père, ou enfin Un jour viendra couleur orange, il aura fallu neuf romans pour que le lecteur comprenne à quel point les livres l’ont effectivement sauvé.
Le véritable tour de force ici, est double. Le livre est on ne peut plus personnel, intime et pourtant, il reste toujours très pudique. le récit évoque des sujets graves, terribles et pourtant, Grégoire Delacourt ne force jamais le trait, ne verse jamais dans le pathos ni dans le voyeurisme malsain.
Il effleure et on reçoit pourtant les mots comme des uppercuts. Car la portée des mots ne tient pas dans la force du trait mais dans leur justesse.
Ce n’est pas de la pitié que l’on éprouve à la lecture de ce livre, mais une profonde empathie, l’envie de prendre le petit blondinet de 5 ans dans les bras et de lui dire qu’il arrivera à s’en sortir, malgré tout. Malgré ça. Empathie et admiration aussi. car pareilles blessures auraient pu faire naitre de l’aigreur, un dégout des autres, de la vie. Or grâce à l’écriture, Gregoire Delacourt a su transcender ses blessures, faire de ses cicatrices des balafres réussies. Donner dans ses livres cet amour qui lui a tant manqué pendant si longtemps.
« Je découvrais qu’écrire c’était se rencontrer. C’était redresser un corps de traviole. »
« J’ai compris ce qui motiverait mon chemin d’écrivain. présenter à l’adulte que je suis devenu l’enfant que je fus. »
Informations pratiques
L’enfant réparé, Grégoire Delacourt – récit – Editions Grasset, septembre 2021 – 230 pages – 19€