La mauvaise rencontre, de Philippe Grimbert (éditions Grasset)

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La mauvaise rencontre, Philippe Grimbert
Editions Grasset 2009

Ce roman de Philippe Grimbert est celui d’une amitié fusionnelle, entre Mando, et Loup, le narrateur, née dès leur plus jeune âge dans les allées du parc Monceau. Les deux garçons partagent tout, à la vie à la mort, des châteaux de sable aux premiers émois d’adolescents en passant par cette fascination pour le spiritisme. Une amitié qui semble indéfectible…

Et pourtant, à l’entrée dans l’âge adulte, dans le contexte universitaire chahuté des années 70, leurs chemins prennent des directions différentes. Mando choisit la voie du droit. Loup se passionne pour la psychanalyse.

A ce carrefour de leurs destinées professionnelles, Loup réalise combien cette amitié est inégale. Mando la conçoit comme exclusive, passionnelle, entière. Un absolu qui fait peur, phagocyte l’autre et ne supporte aucun manquement. Un trop plein d’amour face auquel Loup se sent coupable de ne pouvoir répondre, honteux de démériter. Ce déséquilibre dans l’investissement l’un envers l’autre se révèle alors être le signe d’un déséquilibre plus profond encore. Et terriblement inquiétant… Mais de ce dernier il convient de ne pas parler pour ne pas déflorer le suspens entretenu avec tant de dextérité par l’auteur. Car là se situe le cœur du roman.

 

Un roman magnifique sur l’amitié qui transparaît de même à travers d’autres personnages, comme Nine, la nurse de Loup dont il est le centre de la vie, Gaby, l’amie de sa mère qui l’emmène dans ses virées nocturnes dans Paris. Et de nous interpeller sur un sujet qui nous concerne tous : comment gérer les élans de tendresse et d’amour débordants des autres et la culpabilité qui en résulte ? De quelle fragilité ces manifestations excessives sont-elles la manifestation ? Comment réagir ? Joue t-on parfois malgré soi le rôle de bouclier contre la folie ? 

Dans un style d’une fluidité remarquable, où chaque indice nous est distillé de manière à maintenir la tension à son paroxysme, Philippe Grimbert analyse avec une extraordinaire finesse la psychologie des personnages, habille de mots sur mesure leurs maux, dans un souci constant du détail. On est emporté dans les tourbillons des pages, pressentant le drame qui se profile, avide de réunir toutes les pièces du puzzle pour découvrir le tableau final.
Un récit intimiste brillamment mené.

Bibliographie :

Essais :

Psychanalyse de la chanson, Editions Les Belles Lettres- Archimbaud 1996
pas de fumée sans Freud, Editions Armand Colin 1999
Evitez le divan, Editions Hachette Littératures 2001
Chantons sous la psy, Editions Hachette Littératures 2002

Romans :

La petite robe de Paul, Editions Grasset 2001
Un secret, Editions Grasset 2004, Prix Goncourt des lycéens 2004 et adapté par Claude Miller à l’écran en 2007.

Renseignements pratiques :

Prix éditeur : 16€
Nombre de pages : 213
ISBN : 9782246756613

D’autres vies que la mienne, de Emmanuel Carrère (éditions P.O.L)

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D’autres vies que la mienne, Emmanuel Carrère
Éditions P.O.L 2009

Ce roman a été récompensé par plusieurs prix : Prix des lecteurs de l’Express, Grand Prix Marie-Claire du roman d’émotion, Prix Crésus.

     D’autres vies que la mienne : la mort, force de vie.


Emmanuel Carrère, auteur sombre, souvent qualifié d’égotique, nous offre ici une œuvre magistrale. Un travail d’autant plus délicat que de son propre aveu, ce récit lui a été commandé par deux des  protagonistes. Comment parler de ce sujet tabou qu’est la mort, comment éviter que la compassion, inévitable ici, ne le mette, lui, en danger ? Après des hésitations, il vainc ses résistances premières et se lance dans le récit de ces vies auxquelles le hasard va lier inextricablement la sienne.

    
Tandis qu’il se trouve en vacances au Sri Lanka, en 2004, il assiste impuissant à la détresse d’un couple dont la fillette de 4 ans, Juliette, est emportée par le tristement célèbre tsunami. Premier choc. Premier face à face avec la mort, le désarroi de parents endeuillés. De retour en France, malheureuse coïncidence, une autre Juliette, sa belle-sœur, se meurt d’un cancer, laissant derrière elle Patrice, son doux  mari, et  leurs trois adorables fillettes. Une femme qu’il connaissait jusqu’alors peu, à la santé aussi fragile que la détermination forte,  engagée en tant que juge aux côtés d’un confrère, Etienne, dans une lutte acharnée contre les abus des sociétés de crédit.

    
Il réalise alors que ses problèmes ne sont que tout relatifs face aux épreuves traversées par ces êtres. Un nouvel horizon s’ouvre à lui. Une métamorphose intérieure doucement opère. Face à leur souffrance et leur héroïsme, il va en oublier son narcissisme, relativiser son mal de vivre et puiser la force de mettre à distance ses démons intérieurs en s’ouvrant aux autres. Parce qu’il est percuté en pleine face par la dure réalité que sont la fragilité de nos vies et de celles de nos proches, il va s’efforcer de vivre plus intensément la sienne au quotidien… et d’aimer.  Oui, celui qui  entretenait jusqu’ici une vision désabusée de l’amour conjugal, ne croyant guère en sa longévité, trouve en l’exemple des parents endeuillés de la petite Juliette et dans celui du couple formé par sa belle-soeur et son mari, la foi en un amour profond, durable, possible. Sa plume sobre et redoutablement juste se met au service de l’intensité des sentiments, des nécessaires concessions, de l’émouvante complicité propres à tout authentique amour. Et de consolider son couple en voie de naufrage. A travers la vie des autres, il renaît à la sienne, pacifié.

 

     Ainsi, si l’évocation de la mort est omniprésente, c’est pour mieux mettre en exergue le caractère précieux de la vie. En prise directe avec la réalité, l’auteur relate les faits bruts, dans toute leur crudité, avec une magnifique dignité, évitant avec brio l’écueil du misérabilisme. Parce qu’il nous confronte à nos propres angoisses existentielles, il nous renvoie inévitablement à nous.On est à notre tour emporté par la vague du tsunami, secoués, remués, chahutés, jusqu’à la page finale qui nous dépose en état de choc avec un regard neuf sur la vie.

 

     Le récit est dur, très dur, mais jamais glauque ni sinistre. Au contraire, c’est une ode à la vie, un hymne au combat dans tous les domaines (celui de la santé, du social, …). Une lecture qui enrichit et ennoblit l’âme. Car si la mort d’un enfant, le deuil, la maladie, l’injustice, la précarité, l’inhumanité bancaire forment l’étoffe de ce récit,  la trame n’en demeure pas moins et surtout l’amour… encore et toujours l’amour.

 
« Peu de livres changent une vie, quand ils la changent, c’est pour toujours » écrit Christian Bobin dans
La plus que vive. D’autres vies que la mienne fait partie de ces rares livres-là…

Bibliographie :

– Un roman russe, Editions P.O.L. 2007
L’Adversaire, Editions P.O.L. 2000
La Classe de neige, Editions P.O.L 1995 : prix Fémina
– Je suis vivant et vous êtes morts, biographie de Philip K. Dick, Editions Le Seuil, 1993
– Hors d’atteinte, Editions P.O.L. 1988
– Le Détroit de Behring, Editions P.O.L. 1986
La Moustache, éd. P.O.L. 1986 : prix Europa Cinemas
– Bravoure, Editions P.O.L. 1984
– L’Amie du jaguar, Editions Flammarion 1983
– Werner Herzug, Editions Edilig 1982

Informations pratiques :

Prix éditeur : 19.5 euros
Nombre de pages : 309
ISBN : 9782846822503

Les heures souterraines, de Delphine de Vigan (éditions JC Lattès)

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Les heures souterraines, Delphine de Vigan
Editions JC Lattès 2009

« Pourquoi ces rivières

Soudain sur les joues qui coulent

Dans la fourmilière

C’est l’Ultra moderne solitude »

 

Les paroles de Souchon auraient pu accompagner la mélodie de ce récit. Avec justesse, fluidité, sobriété, l’auteur de No et moi revient sur ses thèmes chers : la solitude, la fragilité de l’existence, ces carrefours de la vie où tout peut basculer.

 

Mathilde est cadre supérieure en banlieue parisienne. Chaque jour, sa vie est rythmée par le triptyque « Métro, boulot, dodo ». Jusqu’à ce 20 mai où la répétition devient source de souffrance, insupportable, accablante… Les journées sont d’autant plus longues que ce travail qui la passionnait, qui lui valait reconnaissance et respectabilité, est aujourd’hui un enfer. Sans qu’elle n’ait fait quoi que ce soit qui le justifie, elle se retrouve mise au placard, transparente, quantité négligée et négligeable, dépossédée de toutes ses tâches. Les pratiques délétères sont légion. Brimades, vexations, injonctions paradoxales, isolement de la part de son supérieur, Mathilde tente de survivre à ce harcèlement moral, criblée de doutes, de culpabilité, alternant entre désespoir et colère. L’attaque récurrente de ses compétences, la mise systématique en situation de justification, le climat « persécutoire » finissent par la ronger de l’intérieur aussi efficacement qu’une armée de termites. Ses fondations sont d’une fragilité extrême. Son image d’elle-même très altérée. Et la précarité de l’emploi de générer chez ses collègues les symptômes bien connus du silence, de la surdité et de la cécité. Chacun pour soi, soi pour aucun.

Pour autant, Delphine de Vigan ne rédige pas une diatribe contre le monde de l’entreprise. Car si aujourd’hui ce lieu de travail est devenu pour Mathilde celui de la destruction, c’est grâce à cet emploi que quelques années plus tôt, elle a réussi à trouver un second souffle, à renaître. Mais aujourd’hui, le virage est pris à 180 degrés…

 

Thibault, lui, est médecin au service des Urgences Médicales de Paris. Au quotidien, il est confronté à la détresse humaine, à ses petits et grands maux, à la solitude des habitants des grandes villes qui parfois ne verront que lui dans leur journée. Tous les jours, il lui faut de plus se battre avec les embouteillages, l’urgence, le bruit. Ce 20 mai, il décide de mettre un terme à une relation amoureuse déséquilibrée et donc douloureuse : Lila l’aimait bien quand lui l’aimait tout court. Elle prenait. Lui donnait. Solitude affective, travail harassant, Thibault est usé, vidé. A bout de souffle. A bout de course.

 

Dans cette ville tentaculaire, grouillante, on se prend à espérer que ces deux êtres esseulés aux destins parallèles, aux souffrances et aux espoirs communs se croisent, se rencontrent, et enfin se trouvent. Car tous deux ont à se battre contre deux mêmes personnages, certes incorporels, mais néanmoins très présents et puissants : la ville et l’entreprise. On avance dans le récit avec cette attente fébrile. On suit les protagonistes dans leur course effrénée chapitre après chapitre.

 

Un roman sombre, traité brillamment, sans effet de style ni concession.

Bibliographie :

Jours sans fin, Editions Grasset 2001
Les jolis garçons, Editions JC Lattès 2005
Un soir de décembre, Editions JC Lattès 2005
No et moi, Editions JC Lattès 2007. Prix des libraires 2008

Ouvrages collectifs :

Coeur ouvert in Sous le manteau, Editions Flammarion 2008
Mes jambes coupées, in Mots pour maux, Editions Gallimard 2008

Informations Pratiques :

Prix éditeur : 17€
Nombre de pages : 300
ISBN : 9782709630405

Des vents contraires, Olivier Adam (éditions de l’Olivier)

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Des vents contraires, Olivier Adam

Éditions de l’Olivier 2009.


     Interrogation douloureuse de la fillette lovée contre son père : « 
Elle me manque trop maman. Pourquoi on ne va pas la rejoindre ? » Lui : « Parce qu’on ne sait pas où elle est. » Manon : «Oui mais si elle est morte. Si elle est morte on n’a qu’à mourir tous les trois comme ça on sera avec elle. » Avec elle… Elle, c’est Sarah, qui un an plus tôt a disparu en laissant son mari Paul, et ses enfants, Manon 4 ans et Clément 8 ans dans un état d’angoisse paroxystique. Accident ? Nouvel amour ? Besoin de prendre de la distance quelque temps ? Accès de folie ? Aucune piste. Aucun mobile. Contres vents et marées, Paul veut garder le cap sur l’espoir qu’elle revienne, éviter son propre naufrage et surtout celui de ses enfants auxquels il voue un amour fou.

 

      Seul face à ces questions sans réponse, Paul décide de retourner sur les terres bretonnes de son enfance, là où sont ses racines. Un nouvel horizon pour un nouveau départ. Ses tumultes intérieurs sont le reflet du climat et des paysages de cette région qu’il décrit dans un langage simple et très imagé : la lande sauvage comme son côté de gentil bourru, les tempêtes et sa rage alternant avec la douceur du soleil et son infinie tendresse, les falaises de granit résistant au fracassement des vagues à l’instar du roc qu’il se doit d’être vis-à-vis de ses enfants.


Et comme si survivre à cette femme et mère absente ne suffisait pas, son âme de Saint-Bernard le conduit à aussi offrir son soutien, avec plus ou moins de bonheur, aux éclopés de la vie qu’il croise sur sa route. Un ours au cœur tendre. Un homme déboussolé puisant dans l’énergie du désespoir et l’amour viscéral qui le lit à Manon et Clément, la force d’affronter les vents contraires.

      Un roman poignant, sensible, au ton extraordinairement juste.

 

            Ce roman a reçu le Grand Prix RTL-Lire 2009