L’emprise, Sarah Chiche.
Editions Grasset, Mars 2010
Rupture, deuil, divorce, chômage, la jeune femme qui se présente à Victor Grandier, psy-gourou aux méthodes prétendument révolutionnaires, a perdu tous ses repères. Une proie idéale pour ce dernier qui, en trois semaines de séances intensives, lui promet de la « nettoyer » de son traumatisme et de lui procurer « un bienfait immédiat et durable ». Mais cette renaissance annoncée à un double coût : le prix exorbitant des entretiens (80 euros par quart d’heure) mais aussi et surtout le prix qu’elle va devoir payer de sa personne. Car il lui faut en effet accepter un pacte draconien avant de s’engager dans cette thérapie: isolement complet (amis, famille, proches, médias), alimentation extrêmement pauvre, nuits écourtées, séances de cinq heures nue sur un canapé. Des conditions qui devraient faire fuir tout un chacun mais que le thérapeute rend acceptables grâce à ce jeu de charme machiavélique auquel il se prête : dans son regard, la patiente se sent pour la première fois exister, ancrée à la vie. Quelqu’un est là pour elle, « pour son bien », et cela justifie alors à ses yeux ces multiples sacrifices. Des sacrifices qui n’ont en réalité d’autres buts que de l’assujettir, l’affaiblir physiquement et psychologiquement pour lui ôter toute force de rébellion, tout discernement, pour l’isoler afin que personne ne l’alerte sur le côté malsain, dangereux et anormal de ces pratiques.
Un mécanisme de manipulation mentale terrifiant fait de séduction, de soumission, d’isolement, d’addiction. Jusqu’à la destruction…
Victor Grandier, véritable despote des âmes, accroit ainsi son emprise sur elle, au point de la convaincre être possédée par le démon, de la faire basculer dans la folie.
Parviendra t-elle à s’enfuir de cette geôle mentale qu’il a érigée ? Se retrouvera t-elle ?
Dans ce roman rédigé avec une plume alerte, un style d’une grande fluidité, Sarah Chiche montre avec force combien personne n’est à l’abri d’un tel piège : un être à priori doué de raison peut de fait verser dans la folie. L’inenvisageable devient réel. Et cette manipulation mentale n’est pas seulement le fait de psys-gourous aux pratiques sectaires, mais de toute personne qui, sous couvert d’agir pour le bien de l’Autre, jouissant du pouvoir destructeur et anxiogène qu’elle peut exercer sur lui, s’engouffre dans ses failles pour asseoir sa force et se rendre indispensable, omniprésente.
Avec ce texte phagocytant, l’emprise est ici totale : celle de Victor Grandier sur sa patiente, mais aussi… celle de ce roman sur le lecteur !
Extrait : « Alors, elle laissa partir sa douleur. Elle rangea cette histoire avec les autres qui tannent le cœur et fanent les chairs : l’expérience. »