L’amour est très surestimé, de Brigitte Giraud (éditions Stock)

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L’amour est très surestimé, Brigitte Giraud.
Editions Stock, mars 2007

Dans ce court recueil de nouvelles, dont le titre est emprunté à une chanson de Dominique A., Brigitte Giraud dissèque avec une justesse chirurgicale le thème du couple et du naufrage de l’amour. Un scalpel manié avec une pudeur, une sensibilité et une subtilité extrêmes. Un réalisme confondant qui nous fait pénétrer dans l’intimité de onze couples.

Fin d’un amour par choix ou subie, soudaine ou prévisible, elle décrit sans jamais verser dans le mélodrame ni le cliché les idylles qui agonisent.

Ainsi passe t-elle en revue les petits détails du quotidien qui deviennent source d’agacement et érodent insidieusement la fougue des débuts La fin de l’histoire, les conséquences de tels déchirements sur les enfants vus par les adultes Dire aux enfants ou par les enfants eux-mêmes L’année de mes dix ans, l’importance ou la futilité des objets achetés en commun et à se partager désormais Les objets.

L’avant, le pendant, mais aussi l’après rupture. Comment vivre avec l’absence de l’être aimé La juste place ? Comment surmonter sa peur d’aimer à nouveau L’habitude ?

Et de conclure sur les vertus lénifiantes du temps pour cicatriser toute blessure Le temps a passé. « Quand je vois autour de nous le vertige des naufrages amoureux, l’illusion de la liberté convoitée, le fantasme de l’instant exalté, de la jouissance sans limites, quand j’entends les conversations alimentées par la douleur d’aimer ou de ne plus aimer (…), j’ose me tourner vers toi et te redire que je t’aime. (…). Si je devais dire oui à nouveau ce soir, alors je dirais oui pour une vie entière à tes côtés. (…). C’est une affaire entre toi et moi, n’est-ce pas, disons plutôt entre moi et moi, parce que j’ai pris l’habitude de parler toute seule dans le noir depuis que tu n’es plus là. »

On arrive à la quatre-vingt douzième et dernière page avec un seul regret : que ces nouvelles, comme ces histoires d’amour, soient déjà finies. On aimerait en lire davantage !

Ira furor brevis est, de Karine Fléjo

Larmes
Naoko avait épousé Rinri cinq ans plus tôt, un 14 février. Un homme d’apparence sensible et doux. D’apparence seulement. Au fil du temps, il s’était révélé colérique, irritable. Un autre. Dans de tels moments, ce n’était plus l’homme respecté et respectueux qui se trouvait face à elle, mais un volcan en irruption qui déversait sa lave fielleuse. Une lave qu’il ne réservait qu’au cercle de ses intimes : amour, parents, amis.
Ira furor brevis est. La colère est une courte folie, dit-on. Sauf que dans son cas, les colères se multipliaient, de plus en plus virulentes, de plus en plus imprévisibles.
Comme aujourd’hui.
Elle vit son ombre s’éloigner derrière le paravent et s’effondra sur le futon, en larmes, le corps secoué de spasmes convulsifs. 
Son cerveau fatigué et molesté se mit alors à divaguer. Une petite voix sarcastique s’éleva en elle . De quoi se plaignait-elle ? Puisqu’il réservait sa face obscure  aux êtres qu’il aimait,  alors elle devait s’en réjouir, le prendre comme une preuve d’amour ! Elle laissa échapper un rire fou mêlé de sanglots. Ô Rinri, comme je suis honorée ! Et dire que j’ai failli t’en vouloir, me comporter en ingrate, alors que ta colère fait de moi ta favorite, ton élue ! Ô mon roi, je te servirai, chanterai tes louanges et m’agenouillerai devant toi ! Je te baiserai le front, chaque phalange des mains, chaque orteil des pieds ! Je serai ton humble servante, la plus dévouée, la plus fidèle ! Ô Rinri, je t’en supplie, continue à éructer ! Sois mon Vésuve et je serai ta Pompéi ! Déverse sur moi des déluges de lave fielleuse ! Ensevelis-moi sous la cendre de ta face obscure  et transforme mes jours en nuit éternelle ! Ô Rinri, lapide-moi d’une pluie de lapili aiguisés à la pierre de ta haine ! Ne t’éteint pas, Ô mon vénérable Vésuve, carbonise-moi sous tes flux de roches en fusion, ravage-moi, dévaste-moi ! Fais-moi suffoquer de douleur sous tes émanations de surges ! Gronde Rinri, gronde, que mon corps soit parcouru de secousses sismiques de la pointe des cheveux à celle des orteils, que mes fondations en tremblent de peur , que ta bouche en digne cratère du Mont Soma fasse jaillir des nuées ardentes de mépris ! Je serai ton gisant, Ô Rinri, et mon corps, recouvert sous les mètres cube de cendres de notre passion, gardera à tout jamais l’empreinte de ta démoniaque violence.

Le silence se fit à nouveau dans sa boîte crânienne. Son regard s’arrêta sur la photo de son époux.

Elle n’accepterait plus.
Jamais.
Copyright Karine Fléjo

L’embaumeuse de fleurs, de Karine Fléjo

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L’embaumeuse de fleurs, de Karine Fléjo     

Naoko préparait sa surprise de longue date, dans un état de jubilation croissant. Et le grand jour d’être arrivé : 3 juin, l’anniversaire de sa mère.

Toutefois, à son effervescence se mêlait un sentiment d’inquiétude : pour que sa surprise vît le jour, il lui fallait la collaboration du facteur. Assise sur son petit tapis en paille d’Igusa devant la maison, elle attendait sagement son passage.
Glissée dans son obi, une enveloppe.
 L’enveloppe.
 
 Tous ses espoirs reposaient sur lui depuis la déconvenue de la veille. Elle s’était en effet rendue à la poste à la sortie de l’école, tendant l’enveloppe sacrée. Or ils la lui avaient refusée. Motif ? Ils n’avaient pas aimé son timbre. A ces mots, celui de sa voix s’était étouffé dans un sanglot. Son projet allait tomber dans la rizière.
Légère comme une libellule lors du trajet aller, elle s’était alors sentie aussi lourde qu’un sumo. Mais il n’était pas dans sa nature de renoncer, surtout quand l’enjeu était aussi grand. 
Le facteur arriva enfin. Puisant en elle tout son courage, elle lui exposa sa requête :
– C’est l’anniversaire de maman aujourd’hui. Je… je lui ai fait un dessin et écrit une lettre.
Elle lui tendit d’une main tremblante l’enveloppe en papier de soie sur laquelle, avec application, elle avait inscrit au pinceau : Lettre très importante. Signé : Naoko. A l’angle droit, en haut, un petit rectangle dessiné.
Elle frémit en voyant son regard s’y attarder et devança sa question, redoutant d’essuyer un nouveau refus.
– Je n’ai pas de vrai timbre pour coller dessus, alors j’en ai dessiné un.  A la poste, ils n’en ont pas voulu… Or je voudrais à tout prix que maman l’ait aujourd’hui, et je me suis dit que vous voudriez peut-être bien m’aider. Je n’ai pas de pièces pour vous payer le timbre, mais je peux vous donner ça !
Elle avait sorti de la manche de son kimono une poignée de bonbons aux litchis.
– C’est ma grand-mère Framboise qui me les a donnés. « C’est pour la route » me dit-elle à chaque fois ! Mais cette fois-ci, je ne les ai pas mangés. Pas un seul! ajouta t-elle en les regardant avec envie. Je voulais les garder pour vous payer le timbre et le commandé.
Le gros bonhomme à l’allure un peu rustre sentit son cœur fondre.
– C’est gentil, mais garde tes bonbons, Naoko. Qu’attends-tu au juste de moi ?
– J’aimerais que vous alliez frapper à la porte pour lui donner ma lettre, comme vous le faites pour les lettres très importantes, les « commandées ». Et celle-là, comme elle est très très importante, vous lui direz que vous venez pour une lettre très très commandée avec des invités de réception.
Il ne put s’empêcher de rire, réalisant qu’elle faisait référence à un recommandé avec accusé de réception. Il  s’ interrompit aussitôt lorsqu’il vit poindre les larmes dans ses yeux. Cette dernière avait préparé sa surprise de longue date, s’était appliquée à faire un joli dessin coloré, à rédiger un poème bourré de « je t’aime », véritables Hymnes à l’amour, et, face aux rires de cet homme, non seulement elle se sentait  humiliée, mais les interprétait comme un prélude à un refus de sa part.
– Mais c’est une merveilleuse idée ! s’empressa t-il d’ajouter, percevant le désarroi de Naoko et se fustigeant intérieurement pour sa maladresse.
La fillette s’était alors sentie revivre. Et de préciser : « mais surtout, ne pliez pas l’enveloppe, sinon les fleurs de ma pétaleraie vont se casser. »
-Ta pétaleraie ?
C’était la première fois qu’il entendait ce terme.
Elle avait couru au pied du ginkgo, sorti du creux du tronc une petite boite de thé en bambou et en avait tout doucement soulevé le couvercle. Puis, elle avait sorti délicatement des feuilles de papier de soie et les avaient dépliées, offrant au regard de son bienfaiteur des pétales de fleurs séchés de toutes les couleurs. Un véritable arc-en-ciel sur un lit de papier.
– Je les colle sur les dessins et les poèmes que j’écris pour maman. Je lui en fais plein !
– Aurais-tu l’intention de devenir écrivain ou peintre, plus tard ?
– Non, je serai danseuse étoile et embaumeuse de fleurs !
Réponse inattendue.
– Embaumeuse de fleurs ? Tu veux dire fleuriste ?
– Non ! Embaumeuse de fleurs. C’est pour ça que je fais cette pétaleraie !
Et de lui expliquer sa vocation. L’idée lui était venue à force de voir avec tristesse les bouquets faner. Malgré tous les soins apportés, la mort des fleurs semblait inéluctable. Sauf… Sauf à recueillir les majestés déchues, ou plus exactement leurs atours de pétales, et à les laisser sécher entre les pages de ses livres avant de les faire refleurir en ornement sur lettres et dessins. Quand les fleurs mouraient dans l’eau d’ici, Naoko leur redonnait vie dans l’au-delà, les rendant immortelles.
Le facteur regarda la petite fille avec émotion. Sans en avoir conscience, elle avait retourné l’expression et avait créé une profession d’une infinie poésie. Les fleurs embaument et quand elles finissent d’embaumer, elle les embaume. La boucle était bouclée et la vie leur était acquise pour l’éternité.
Qui eût songé à chercher la recette de la vie éternelle dans l’âme d’une enfant ? C’était pourtant bien là qu’elle se cachait.
Il lui sourit, prit précautionneusement l’enveloppe et alla frapper à la porte…
Copyright Karine Fléjo, juillet 2007

Hymnes à l’amour, Anne Wiazemsky

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Hymnes à l’amour, Anne Wiazemsky.
Grand prix RTL-Lire 1996
Collection Folio, n°3036

 

 

Mon commentaire concernant ce livre autobiographique pourrait se résumer à un simple écho à son titre : un Hymne à l’amour.

Anne Wiazemsky, c’est une écriture pleine de tendresse, de sensibilité, de fraîcheur. De ces livres qui font du bien et que l’on relit avec délectation. L’auteur contemporain que j’ai le plus lu et relu, dont j’ai le plus offert les livres. C’est dire si je l’apprécie !

A la mort de sa mère, l’auteur a trouvé, mêlés aux documents familiaux, le testament de son père décédé 30 ans plus tôt. Dans ce dernier, le souhait que soit remis à une inconnue genevoise le disque d’Edith Piaf, Hymne à l’amour. Pourquoi ce désir ? Quel rôle a joué cette femme dans la vie de son père ? En accomplissant son vœu testamentaire, Anne Wiazemsky nous emmène sur les chemins de son enfance :  celui de sa mère, discrète et neurasthénique, de son père, gai et brillant volage et celui de sa tant aimée nourrice Madeleine, le tout sous le regard émouvant et attentionné de son illustre grand-père, François Mauriac. Des hymnes à l’amour d’une déchirante beauté, déclarés à chacun de ses proches.

Un bijou de sensibilité. A savourer sans modération.

 

Ce roman a fait l’objet d’une adaptation au cinéma par Jean-Paul Civeyrac, sous le titre « Toutes ces belles promesses ».

La mousson, de Karine Fléjo

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La mousson, de Karine Fléjo
Larges baies vitrées, joli parquet, murs d’une blancheur nivale, je tombai immédiatement sous le charme de cet appartement. Et d’ores et déjà d’imaginer comment je pourrais y apporter ma touche nippone et en faire un petit nid soyeux.
Quelques tours de baguette plus tard,  l’Asie et moi avions investi les lieux.
Seulement voilà : qui dit appartement, dit voisin. Et dans mon cas : voisine…
Native d’Extrême-Occident – que d’aucuns nomment Bretagne, ma voisine dut penser que j’avais la nostalgie du pays. Or malgré la dérive des continents amorcée par le réchauffement climatique, il paraissait quelque peu illusoire que la Bretagne s’annexât à Paris, tout du moins avant quelques siècles. Elle eut alors une idée, comment dire… de « Génie » : lessiver son linge et par la même occasion… mon appartement. Une lessive qui, contrairement au slogan publicitaire du produit éponyme, me fit bouillir. Qu’elle eût recréé dans mon appartement un microclimat breton, avec crachin d’eau de lessive,  ne me convenait guère – oui, je sais, je fais parfois montre d’une ingratitude inqualifiable, je vous le concède.
Chaussures, kimonos, dossiers, livres, estampes, éventail, ombrelle nippone, origamis se transformèrent en jonques tandis que je pataugeais dans la rizière. Faute d’avoir été prévenue, je n’avais même pas semé de riz, de sorte que je ne pus espérer la moindre récolte. Je ris jaune. Tout ce que je récoltai les semaines suivantes furent des champignons sur la tapisserie,  mémoire des murs après ces déluges. Un climat humide qui le demeura des mois durant, à l’opposé de celui, sec, de mes relations avec l’occupante du dessus.
 
Désireuse de s’amender après la dure mousson hivernale, dans sa légendaire bonté ma vénérable voisine  m’offrit des vacances exotiques. Je connaissais le camping à la ferme, le camping sauvage, je découvris une formule inédite : le camping dans l’appartement. La formule idéale ! Pas de frais de transport ni de location, pas d’embouteillages sur les routes et dépaysement garanti. Pendant que les ouvriers s’affairaient dans les pièces voisines, je me retrouvai sur mon futon, véritable île autour de laquelle gravitaient d’étranges archipels, tels l’électroménager, le réfrigérateur, la vaisselle, les vêtements, le mobilier, le canapé, les bibliothèques, les bibelots et autres îlots. Une chambre-camping tout en un qui vous évite le moindre effort : tout est à portée de baguette ! Et fini l’air vicié de la capitale, vive l’air vivifiant de la peinture et de la colle ! Quant à vous ennuyer, que nenni, c’est du camping quatre baguettes au guide Michelin, avec animations originales ! Le silence bienvenu lié à la désertion de la capitale par les aoûtiens fait place au concert des coups de marteau, aux chants du grattage, du ponçage, au ballet des ouvriers et de leur matériel. Les v-a-c-a-n-c-e-s !
Les ouvriers partis, vous reconstruisez grain de riz par grain de riz votre antre nippone, et ,l’hiver venu, … votre voisine récidive !
                Vous qui partez en vacances, faites comme moi pour la QUATRIEME année consécutive (oui, quelle injustice, je ne figure toujours pas au livre des records), campez dans votre appartement !
 
P(ériode) S(oldes) : Cède voisine. Affaire à saisir, en cas de canicule, vous serez hydratés !
Copyright Karine Fléjo, juillet 2007

Mon grand appartement, de Christian Oster (éditions de Minuit)

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Mon grand appartement, Christian Oster (Prix Médicis 1999)
Editions du Livre de Poche, Mars 2007

 

Tout commence pour Gavarine par une double perte : celle des clefs de son (grand) appartement, et celle de sa compagne. Son cœur comme son logement se retrouvent dès lors bien vides. Et c’est dans de somptueuses digressions qu’il va nous relater le vide amoureux, « le presque vide, le presque rien, le peu qu’il sauve ». Face à tous ces malheurs qui pèsent sur le quotidien, Gavarine ne se laisse pas abattre mais au contraire oppose un flegme savoureux, non dénué d’humour. Il décide de laisser faire le hasard, lequel va le conduire à croiser la route du bonheur en la personne de Flore, une femme enceinte. Et de décider instantanément non seulement qu’elle sera la femme de sa vie, mais qu’il sera le père de cet enfant. Une rencontre qui en l’espace de vingt petites minutes va changer son destin.

 

C’est dans un véritable état de jubilation que j’ai suivi les divagations de cet attachant personnage et ses incessantes réflexions intérieures. Un roman fluide, dans lequel on sent la vérité de l’expérience, où les clefs perdues de l’appartement nous offrent d’autres clefs sur l’existence.   

 

Citation :

 

« L’amour, c’est ce qui manque le plus à ceux qui aiment. »