Le voleur de brosses à dents, de Clémentine Eméyé

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Le voleur de brosses à dents, de Clémentine Eméyé

Éditions Robert Laffont, septembre 2015.

Récit intime d’une jeune mère confrontée au quotidien du handicap, mais aussi témoignage sans fard sur un fait de société qu’on occulte : impossible de rester indifférent au cri d’amour de cette maman qui pourrait être nous.

Déjà maman d’un petit garçon, Clémentine Eméyé met au monde un deuxième enfant, Samy. Très vite, elle sent qu’il y a un problème. Le bébé est semblable à une poupée de chiffon, ne tient pas seul sa tête, n’a aucun tonus, semble insensible à son environnement. Et d’alerter le corps médical. Et systématiquement de s’entendre répondre qu’elle s’inquiète pour rien. Que toutes les mamans s’inquiètent de trop.

Sauf qu’elle ne se trompait pas.

Il faudra attendre les 7 mois de Samy pour qu’enfin un diagnostic tombe, lourd. Autisme, AVC, épilepsie. « Autisme : être confrontée à cette maladie c’est comme pénétrer lentement dans des sables mouvants, en entraînant le reste de ma petite famille avec moi. » On pourrait penser que les causes identifiées, il sera plus facile de venir en aide à l’enfant et à sa famille. Or non. Force est de constater qu’il n’existe en France aucune institution adaptée au cas de Samy en particulier et très peu à celui des autistes en général. Il y a pourtant urgence. Au fil des mois, des années, Samy devient violent envers lui-même, s’auto-mutile, crie, frappe. Et ne dort pas. Sa maman, exsangue, essaye de l’apaiser, de trouver des solutions et à défaut, d’en imaginer, d’en créer. Il lui faut au quotidien penser et panser son enfant, maman et thérapeute à la fois. Tout en ne négligeant pas son fils aîné.

Dans ce témoignage magnifique, Clémentine Eméyé pointe la solitude extrême dans laquelle se retrouvent les parents d’enfants handicapés. Non seulement c’est à eux de trouver des solutions, mais les lourdeurs administratives sont telles, que chaque démarche, chaque initiative, relève du parcours du combattant. Un récit sans fard, honnête, entier, où l’auteur crie tantôt sa colère, tantôt son espoir retrouvé, mais aussi son amour indéfectible envers ses enfants, lesquels sont sa colonne vertébrale, son oxygène, son énergie. Un récit bouleversant, qui malgré la gravité du sujet, n’est pas exempt d’humour. Un récit d’une force vitale époustouflante.

A lire !

Celle que vous croyez, Camille Laurens (Gallimard)

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Celle que vous croyez, Camille Laurens

Éditions Gallimard, janvier 2016

Rentrée littéraire.

 

En un vertigineux jeu de miroirs entre réel et virtuel, Camille Laurens raconte les dangereuses liaisons d’une femme qui ne veut pas renoncer au désir.

Claire, 48 ans, divorcée, professeur agrégé de l’université, ne supporte pas d’ignorer les faits et gestes de son ex-compagnon, Jo. Intolérante à son absence, elle imagine alors un stratagème : se créer un faux profil sur Facebook et devenir amie avec le plus proche copain de Jo, un dénommé Chris. Ainsi aura-t-elle indirectement de ses nouvelles, sans se dévoiler.

Et d’usurper l’identité d’une brune de 24 ans trouvée au hasard sur Google. Et d’épouser les goûts de Chris pour attirer son attention. Succès, Chris l’accepte en amie et commence à échanger avec elle par mail. Mais voilà Claire victime de son propre piège : celle qui s’était rapprochée de Chris uniquement pour avoir des nouvelles de Jo, se découvre une attirance pour Chris. Une attirance réciproque de surcroît. Voilà qui complique tout. Chris se fait de plus en plus pressant, veut lui téléphoner, la voir. Comment faire pour que ce dernier ne découvre pas la supercherie lors du passage du virtuel au réel ? Quel avenir peut avoir cette relation basée sur le mensonge ?

Et c’est là que l’auteur réalise un véritable tour de force. Construits sur une très belle architecture romanesque, ce sont plusieurs potentiels devenirs que Camille Laurens propose à cette relation, en se plaçant de différents points de vue. Et de jouer avec le lecteur, en équilibre sur le fil de sa plume, sur la frontière ténue entre réalité et fiction.

Dans un style très maitrisé, un langage ciselé, Camille Laurence nous offre une très fine et très pertinente réflexion sur la manipulation, les faux-semblants à l’heure du virtuel et des réseaux sociaux. Qui et que croire ? Elle invite par ailleurs à réfléchir sur le désir des femmes à l’aube de la cinquantaine, leur image et leur place dans la société. Brillant.

A lire !

 

P.41 : La différence c’est que tous les hommes ont un avenir. Toujours. Un à-venir. Un avenir sans nous. Les hommes meurent plus jeunes. Peut-être. Mais ils vivent plus longtemps.

P.170 : Le désir veut conquérir et l’amour veut retenir. Le désir, c’est avoir quelque chose à gagner et l’amour quelque chose à perdre.

P.71 : Un livre ne tient pas toutes les promesses du désir. Il en est l’un des aboutissements. Mais il traduit le plaisir qui est venu après la montée du désir, son épiphanie. S’il n’y a pas ça dans un livre, il n’y a rien.

 

L’école du tonnerre, Sylvie Deshors

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L’école du tonnerre, Sylvie Deshors

Editions Rue du monde

Sélection du Prix Handi-Livres 2015

Thibo vient de déménager. Nouveau quartier, nouvelle maison, et enfin une école normale comme il dit. Mais bien vite, il comprend que malgré ses efforts, il a du mal à se faire accepter tel qu’il est, lui et ses appareils auditifs. Un matin, c’est trop : malgré le sourire de sa copine Lou, Thibo disparaît…

Roman écrit à la première personne, où tout passe par le regard du héros malgré lui, Sylvie Deshors fait preuve d’une grande rigueur dans les détails des difficultés de Thibo : supporter et entretenir les appareils auditifs, passer d’une langue à une autre lorsqu’il aborde l’anglais, se déplacer en ville… Sous-jacente, la dimension documentaire éclaire la réalité vécue par les enfants sourds. En empathie avec son héros, et pour les besoins de l’intrigue, elle dénonce les petitesses fréquentes du milieu scolaire. Madame Chevalier, enseignante enfermée dans ses certitudes, cristallise, au risque d’une certaine caricature, la lourdeur et l’incapacité de notre société à accepter les différences. Mais Sylvie et Malik Deshors parviennent à entraîner le lecteur dans l’itinéraire de Thibo : les jeunes lecteurs l’adopteront.

Un petit roman efficace, aux personnages attachants, accessible à tous.

Citation du jour

« Ne croyez pas que celui qui essaie de vous réconforter vive sans effort parmi les mots simples et sereins qui parfois vous font du bien. Sa vie connait tant de peines et de tristesses qui le laissent loin derrière elles. S’il en allait autrement, il n’aurait jamais pu trouver ces mots-là. » Alexandre Jollien

Le métier d’homme.

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Brillante, Stéphanie Dupays (Mercure de France) : énorme coup de coeur!

Brillante, de Stéphanie Dupays

Éditions Mercure de France, janvier 2016

Rentrée littéraire.

« Ce qui n’est pas vu n’a pas d’existence ».

Brillante, c’est le qualificatif qui définit le mieux Claire, jeune trentenaire fraîchement diplômée d’une grande école, aujourd’hui cadre supérieure dans une entreprise agro-alimentaire. Jusqu’ici, pas un seul faux pas dans sa trajectoire bien huilée : un poste enviable, un compagnon lui-même cadre supérieur, un bel appartement dans un quartier chic, des amis triés sur le volet dans cette même sphère sociale, le désir non contrarié de mener de front vie privée et professionnelle. La réussite telle qu’elle l’entend.

Emportée dans un véritable tourbillon, son rythme de travail fou ne laisse aucune place à une remise en question. Jusqu’à ce moment où, brusquement, Claire tombe en disgrâce. Non pas qu’elle n’ait pas été performante ou non conforme à ce que l’entreprise attendait d’elle. Au contraire. Son excellence fait de l’ombre à sa chef, femme dont jusque-là elle était la protégée. Et de se retrouver au placard. C’est la sidération.

Isolement, absence de tâches, relégation à la transparence, humiliation, l’entreprise présentée comme le lieu d’épanouissement de l’individu devient dès lors celui de son dépérissement. Le harcèlement moral menace de la broyer. Physiquement. Moralement.

Comment Claire la battante, dont toute la vie s’est construite autour de cette image de réussite, va t-elle pouvoir rebondir ? Quelles seront les conséquences sur son couple, sur ses amitiés, dans la mesure où ses relations reposent sur ces mêmes principes et idéaux de succès? Cette expérience malheureuse va t-elle remettre en cause ses valeurs ?

C’est un roman passionnant et édifiant sur le monde de l’entreprise que nous offre Stéphanie Dupays. Un monde où sous le vernis des apparences humanistes, bienveillantes, se cache parfois une réalité tout autre, faite de pressions, de violence, de rivalités qui ne disent pas leur nom. Avec une justesse chirurgicale, l’auteur dissèque au scalpel de sa plume le système de management de l’entreprise « humaniste », ses répercussions sur les individus tant au sein de l’entreprise que dans leur vie privée. Un roman qui se lit d’une traite, dans une tension permanente, à l’image de celle que vit l’héroïne au quotidien.

Un ENORME coup de cœur !

Citation du jour

« Nous sommes moins seuls que nous l’imaginons. Nous sommes si peu seuls qu’un des vrais problèmes de cette vie est de trouver notre place dans les présences environnantes – écarter les morts sans les froisser, demander aux vivants ce rien de solitude nécessaire pour respirer. »Christian Bobin

L’épuisement.

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