Oubliés, de Rebecca Vaissermann, aux éditions Parole Ouverte : un roman brillant

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Oubliés, de Rebecca Vaissermann

Parole Ouverte éditions, aout 2013

Lauréate du concours Jeunes auteurs de L’île aux livres 2013

Quand Romain, 18 ans,  interroge ses proches au sujet de la vie de son grand-père, il se heurte à un silence gêné, voire à de l’agressivité. Loin de répondre à ses questions, ces réactions alimentent son désir de savoir, de comprendre qui était cet homme que son père, orphelin à 7 ans, a si mal connu, ce mari dont sa grand-mère ne supporte pas même la simple évocation, cet aïeul qu’il n’a pas eu la chance de côtoyer.

Il se tourne alors vers Louis, un vieil homme de 86 ans, qui a bien connu son grand-père Jacques. Et pour cause.

Tandis qu’il ne s’est jamais ouvert de ce sujet si douloureux et si cher à personne, Louis accepte, pour le jeune Romain, de faire la lumière sur ces zones d’ombres, de livrer les pièces manquantes du puzzle familial. Pour qu’il puisse se construire en sachant d’où il vient. Pour qu’il sache à quel point son grand-père a compté pour Louis.

Louis et Jacques se sont connus à l’école à l’âge de dix ou onze ans, un peu avant l’Occupation. Très vite, Les deux garçons deviennent inséparables. « Notre amitié s’était faite tout naturellement, jusqu’à ce que nous  constations tous deux que nous étions liés par beaucoup plus que ça, petit à petit, comme une lente infusion de sentiments dont les arômes se développeraient à chaque gorgée. Ensemble nous vivions notre amour mais le cachions aux autres. » (P.12)  Impossible de s’afficher tous les deux, à une époque où cet amour différent faisait scandale. Malgré leur discrétion, leurs sentiments si forts, si vibrants, transparaissent. Et d’être dénoncés. Et déportés.

De retour des camps de concentration, Louis n’aura de cesse de chercher Jacques, dont il est intimement convaincu qu’il a survécu, comme lui, à l’horreur. Le retrouver, reprendre leur histoire d’amour là où elle s’est arrêtée, ne plus se quitter, jamais. Jamais plus. Mais le Jacques qu’il va retrouver sera t-il le même homme? Ses sentiments seront-ils toujours aussi forts à son endroit? Leur couple peut-il se reformer en faisant abstraction de ces mois passés dans les camps, de ces humiliations et de ces tentatives de reconstruction ensuite?

La société d’après-guerre est-elle devenue plus tolerante?

Avec ce premier roman, Rebecca Vaissermann capture le lecteur dans le lasso de ses mots et ne le relâche plus avant la toute dernière ligne. Un style très fluide, une analyse psychologique très fine des personnages, ce roman se vit plus qu’il ne se lit tant l’intimité entre le lecteur et les protagonistes est grande. Extrêmement brillant.

A  lire absolument!!!

Trixie Whitley en concert au Divan du monde à Paris : un talent phénoménal

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En mars dernier, la jeune chanteuse de soul jazz à la voix grave et envoutante, Trixie Whitley, sortait son premier album solo : Fourth corner. Brillantissime. Onze titres que la fille du chanteur et compositeur Chris Whitley a elle-même composés et dans lesquels elle explore une gamme d’émotions autour de quatre thèmes chers : l’amour, la solitude, le bonheur, la colère. En tournée en Europe et aux Etats-Unis pour en assurer la promotion, la jeune belgo-américaine faisait une escale remarquée au Divan du monde, à Paris, la semaine dernière.

Tunique asiatique et pantalon de soie rouge, la grande et fine liane blonde a électrisé la salle dès les premiers accords de guitare. Avec une énergie phénoménale, une aisance scénique époustouflante, une voix extraordinairement puissante pour un corps si gracile,Trixie Whitley et ses trois musiciens – un batteur, un bassiste et un guitariste-, ont enflammé le Divan du monde devant un public averti. S’accompagnant de sa guitare ou du clavier, elle a interprété avec une émotion aussi vibrante que belle les titres de son album ainsi que plusieurs inédits.

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« En tant que compositeur et interprète, je veux aller là où les gens ne m’attendent pas, avec une totale liberté d’expression », revendique t-elle. De fait, Trixie Whitley est une artiste unique. Et indiciblement talentueuse.

Retour à Salem, de Hélène Grimaud, aux éditions Albin Michel

Retour à Salem, Hélène Grimaud

Editions Albin Michel, Octobre 2013

 

Tandis qu’elle s’est aventurée à pied au hasard des rues de Hambourg, pour décompresser entre deux répétitions du deuxième concerto de Brahms, l’attention d’Hélène Grimaud est attirée par la vitrine éclairée d’une étrange boutique. Et de pousser la porte, la curiosité attisée. Un véritable bric-à-brac l’accueille alors, amas d’objets chinés et amassés dans un capharnaüm sans nom.

Une atmosphère étrange, presque irréelle y règne. Mal à l’aise, la jeune femme trébuche sur ce qui se révèle être un vieux manuscrit avec des partitions de musique. Désireuse de fuir ce lieu oppressant, elle l’achète et rentre précipitamment à l’hôtel. Mais le sentiment d’étrangeté ne la quitte pas. Et pour cause : le manuscrit se révèle être une véritable énigme…Coïncidence plus que troublante, il évoque les partitions de Brahms sur lesquelles elle travaille justement…
Et le mystère de s’épaissir.

Mélange de partitions, d’extraits de journal intime de Brahms sous le pseudonyme de Karl Würth, mais aussi d’eaux fortes de Max Klinger et de dialogues, ce véritable trésor, Hélène Grimaud en est convaincue, a un message à délivrer. Mais lequel?  » Qu´une fois le monde détruit, déserté par toute vie, ne resterait qu’un animal sauvage, le plus sauvage de tous mais aussi le pire – l’homme, qui a asservi, ruiné ou exterminé toutes les autres espèces » ? ( P. 80) Quel est le rapport entre ces différents feuillets? La forêt maléfique décrite par Karl Würth doit-elle être interprétée comme une vision prophétique des mauvais traitements infligés par l’homme à la nature de nos jours?

Avec Retour à Salem, l’auteur alterne entre le récit de Karl Würth- vécu ou fantastique, et l’écho très fort que trouve ce dernier dans sa propre vie de pianiste, dans sa façon d’appréhender la musique, dans son rapport à la nature. Et d’y voir une exhortation à agir, à réagir. Hélène Grimaud, dont l’engagement pour la préservation de la nature et la défense animale est total et ô combien sincère, sent qu’elle n’a plus d’autre choix que de  » retrousser les babines, montrer les crocs et se battre. »

Un roman très fortement imprégné par le romantisme allemand, sa nostalgie de la guérison du monde, son aspiration à l’union des contraires en un tout harmonieux. Une histoire à la frontière du fantastique et de l’autobiographique, admirablement rédigée. Une invitation à tendre l’oreille, à ouvrir les yeux et le coeur…

P. 87 : la vraie question n’était pas pourquoi la musique existe mais comment elle peut exister. En vérité, en consacrant la vie à la musique, je me suis porté secours à moi-même, je me suis rendue à mon propre coeur. Sans cette incarnation, la musique n’a aucun sens : ce n’est pas le musicien qui compte, ni d’ailleurs le compositeur. C’est cette disposition à l’entendre avec tous ses sens, et à la faire entendre avec sa chair. C’est dans cet échange, et dans cet échange seulement, que la musique existe.

P. 130 : Vivre l’instant et dans l’instant, ce n’est pas se laisser aller au flot du temps, ni s’abandonner tel un petit bouchon au cours de la journée, sans permettre aux regrets- la
concrétion des instants passés-, ou à l’inquiétude- la perspective des difficultés à venir-, de polluer ce moment précis. Vivre l’instant c’est apprendre à rester conscient de tout ce qui nous entoure et d’en nourrir notre âme. Les loups m’ont appris cette vigilance de l’esprit et que le temps peut être un territoire qu’on se doit d’occuper avec plénitude.

 

Informations pratiques :

Prix éditeur : 19€

Nombre de pages : 256

ISBN : 9782226252081

La fabrique du monde, de Sophie Van der Linden : d’une puissance émotionnelle rare….

La fabrique du monde, de Sophie Van der Linden

Editions Buchet-Chastel, août 2013

 

Mei, jeune paysanne chinoise de 17 ans, n’a pas eu le privilège de naître garçon. Contrairement à son frère qui va à l’université, elle se pliera donc à la décision parentale d’aller travailler à l’usine, quantité négligeable et négligée. Alors Mei imagine la ville qui l’attend, la chambre qui sera sienne, l’usage qu’elle pourra faire de son salaire notamment en aidant ses proches.

Mais la réalité est tout autre.

Cadences inhumaines, travail pénible, tâches répétitives, contremaître draconien, promiscuité, inconfort, Mei travaille beaucoup, dort peu, mange à peine et vit à plein temps au sein de l’usine textile, univers ô combien limité pour la jeune fille. Toutefois, si Mei met son énergie et sa dextérité au service de l’entreprise, pieds et poings liés à la rentabilité qu’on exige d’elle pour honorer les commandes des clients européens, son esprit se rebelle, s’évade à la faveur des trop rares heures de repos. Car Mei a ceci de particulier qu’elle a reçu des bribes d’éducation de sa grand-mère, laquelle lui a enseigné la lecture et lui a ouvert par ce biais une fenêtre sur le monde, sur la vie, sur l’imaginaire. Entre réalité et rêverie, c’est la fabrique de son monde, à laquelle Mei assiste : éveil à la vie, à l’amour, aux autres. Un apprentissage dense, aussi transcendant que violent, aussi merveilleux qu’infernal. Mei parviendra t-elle à tutoyer ses rêves, à élargir son horizon?

Dans ce roman court, au style magnifiquement ciselé, dans lequel chaque phrase sonne comme un vers de haïku, Sophie Van der Linden nous plonge dans le quotidien de la jeune Meï avec une force émotionnelle rare. De lecteur, on devient témoin, totalement immergé dans l’encre des pages, le coeur battant au diapason de celui de l’héroïne.

Un bijou de pure émotion.

A lire absolument!

P. 105 : Quand j’étais petite, elle m’a appris à lire, avait toujours une histoire à me raconter, et me lisait consciencieusement chaque soir un chapitre du roman qu’elle m’a donné ensuite.C’est la seule chose que je tiens d’elle, et c’est aussi le seul livre que j’ai vraiment lu. Mais cela m’a suffi. Ma grand-mère et ce livre m’ont tout appris de la vie. Sans elle, je n’aurais jamais rien su de l’amour, de la tendresse, de la bienveillance.

 

Informations pratiques :

Nombre de pages : 156

Prix éditeur : 13€

ISBN : 978 2283 026472

La servante du Seigneur, de Jean-Louis Fournier : gros coup de coeur!

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La servante du Seigneur, de Jean-Louis Fournier

Editions Stock, rentrée littéraire 2013

 » Nous on était heureux avec elle. Peut-être qu’elle n’était pas heureuse avec nous? » P.116. Jean-Louis Fournier essaye de comprendre l’incompréhensible : pourquoi sa fille s’est-elle coupée du monde et de lui, en embrassant la foi? Elle si joyeuse, si brillante, épanouie dans son travail de graphiste. Elle si complice avec son père…  Depuis qu’elle a rencontré celui que l’auteur surnomme « Monseigneur », il ne la reconnait plus.

Alors il l’interpelle, l’appelle, l’interroge, s’interroge. En quoi se tourner vers Dieu impose de se détourner des autres, de ses proches? Pourquoi ne supporte t-elle plus aucune contradiction? « Sectaire, ça commence comme sécateur, ça coupe. Ça coupe des parents, ça coupe des amis, ça coupe du monde professionnel, ça coupe du monde tout court. Ma fille porte les cicatrices de ces coupures »P. 84.

Dans de courts chapitres, très rythmés, l’auteur pousse un cri d’amour et de désespoir. Avec l’humour noir merveilleux qui le caractérise, car « l’humour est un antalgique, on l’utilise quand on a mal » (P.118) il évoque ses blessures et son désir plus fort que tout : que sa fille revienne, avant qu’il ne s’en aille…

Juste magnifique.

P. 106 : Peut-être qu’à la différence des piles, les sentiments s’usent quand on ne s’en sert pas.

Informations pratiques :

Nombre de pages : 155

Prix éditeur : 14€

ISBN :9782234075368

Le bleu des abeilles, de Laura Alcoba : tendre, pétillant et touchant

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Le bleu des abeilles, de Laura Alcoba

Editions Gallimard, aout 2013

 

A l’âge de huit ans, la narratrice se prépare au grand voyage. Restée en Argentine, elle rejoindra bientôt sa maman, opposante à la dictature et réfugiée en France. Son père, lui, est emprisonné à La Plata. Pour réussir au mieux son intégration, elle entreprend d’apprendre le français avant son départ. « Le français est une drôle de langue, elle lâche les sons et les retient en même temps, comme si, au fond, elle n’était pas tout à fait sûre de bien vouloir les laisser filer – je me souviens que c’est la première chose que je me suis dite. Et qu’il allait me falloir beaucoup d’entrainement, aussi. » P.12. Elle s’imagine déjà à Paris, le long des quais de Seine, aux pieds de la tour Eiffel, ces lieux dont sa professeur de français, Noémie, lui a parlé. Mais après plus de deux ans d’attente, la fillette se retrouve non pas dans la capitale tant fantasmée mais au Blanc-Mesnil. Juste à côté. Enfin un peu loin. Voire beaucoup plus loin. Pourtant, loin de s’appesantir sur son sort, l’enfant, du haut de ses dix ans, a l’art de s’émerveiller de tout, de se réjouir de peu. Avec un regard neuf, drôle, terriblement attendrissant, elle nous décrit son entrée à l’école, son quotidien dans cet appartement au papier peint bardé de tuyaux, son apprentissage méticuleux de la langue, ses relations épistolaires hebdomadaires avec son père, sa découverte de la neige et tant d’autres changements qui émaillent sa nouvelle vie.

Un roman délicieux, touchant, sur la rude réalité de l’exil, le désir d’intégration, à travers le regard d’une enfant indiciblement attachante… A lire!

 

P. 73 J’ai aimé mon premier « e » muet comme tous ceux qui ont suivi. Mais c’est plus que ça, en vérité. Je crois que, tous autant qu’ils sont, je les admire. Parfois il me semble même que les « e » muets m’émeuvent, au fond. Etre à la fois indispensables et silencieuses : voilà une chose que les voyelles, en espagnol, ne peuvent pas faire, quelque chose qui leur échappera toujours. J’aime ces lettres muettes qui ne se laissent pas attraper par la voix, ou alors à peine. C’est un peu comme si elles ne montraient d’elles qu’une mèche de cheveux ou l’extrémité d’un orteil pour se dérober aussitôt.

Informations pratiques :

Nombre de pages : 121

Prix éditeur : 15.90€

ISBN : 978 2 07 014214 9

La mécanique du bonheur, de David Bergen, aux éditions Albin Michel

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La mécanique du bonheur, de David Bergen

Editions Albin Michel, octobre 2013

Morris Schutt, cinquante et un an, est un journaliste connu et reconnu. Chaque jour, nombreux sont ses fidèles lecteurs, épris d’histoires vécues, à attendre sa chronique. Une chronique qu’il alimente en piochant dans sa vie intime, non sans dérision, jonglant avec dextérité entre réalité et fiction. «  Les lecteurs croyaient que, Morris écrivant à la première personne, la vie qu’il dépeignait était la sienne. Ils s’identifiaient aux drames intimes, aux petits échecs, aux fardeaux financiers et aux difficultés des relations familiales. » P.12 En réalité, il ne leur vend qu’un faux semblant de lui-même, ce qui titille parfois sa conscience, mais sans plus. Morris Schutt a le vent en poupe et se laisse porter sans trop se poser de questions.

Jusqu’au jour où il apprend le décès de son fils Martin, parti combattre en Afghanistan. La mécanique du bonheur s’enraye. Lui et sa femme ne vivent pas le drame de la même façon. Au lieu de souder le couple, l’épreuve le dissout. Et les grains de sable de s’amonceler. Sa fille Libby, partie vivre avec sa femme, a une liaison avec son professeur beaucoup plus âgé qu’elle. Quant à son autre fille, Mérédith, il n’apprécie pas du tout son compagnon. Cerise sur le gâteau, le journal lui donne congé pour une durée indéterminée : ses chroniques, désormais teintées de mélancolie, ne sont plus attractives. Les lecteurs n’ont pas envie d’entendre parler de malheur.

Ses repères effondrés, esseulé, harcelé par la térébrante culpabilité de la mort de son fils, Morris Schutt va tenter de reconquérir une forme de joie de vivre, de sérénité. Echanges épistolaires avec une femme qui a elle aussi perdu son fils à la guerre, fréquentation de prostituées, lecture de grands philosophes, Morris va se rendre compte que huiler les rouages du bonheur est une entreprise longue et ardue.

Avec La mécanique du bonheur, David Bergen nous livre un roman caustique et mélancolique sur la vie d’un homme à un moment charnière de son existence.

Coppélia, de Elodie Fondacci (auteur), Marie Desbons (illustrateur) : un enchantement!

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Coppélia, de Elodie Fondacci (auteur) et Marie Desbons (illustrateur)

Editions Gautier Languereau, octobre 2013

(livre avec un CD audio)

Il y avait autrefois dans un joli village, un peu à l’écart, une extravagante maison toute de guingois. C’est là que vivait le vieux Coppélius, l’horloger du village. Cet artisan était si habile qu’il était connu dans tout le pays. Personne ne s’aventurait dans son atelier car il faisait un peu peur…On le soupçonnait d’être un magicien. En réalité, son secret était de n’avoir jamais pu avoir d’enfant, lui causant une terrible souffrance. Aussi, s’était-il mis en tête de fabriquer lui-même un enfant qu’il appela Coppélia…

Tout le rêve et la magie du célèbre ballet en harmonie avec l’univers pictural et créatif de Marie Desbons et le charme incomparable d’Elodie Fondacci!

Informations pratiques :

Prix éditeur : 22,90€

ISBN : 978-2013942652

Nombre de pages : 40

 

 

Sous le toit du monde, de Bernadette Pécassou : le destin d’une femme au péril de sa vie

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Sous le toit du monde, de Bernadette Pécassou

Editions Flammarion, octobre 2013

 

Prise en charge par une organisation humanitaire, la jeune Ashmi a quitté son village et les siens pour venir étudier à Katmandou. Une chance. Non seulement elle a ainsi échappé aux conditions très précaires de son village haut perché sous le toit du monde, sans eau ni électricité, mais aussi aux violences courantes dans ces familles où misère et alcool font mauvais ménage, où les proxénètes rodent et envoient les femmes dans les bordels de Bangkok ou de Calcutta. Consciente de son privilège, pleine de gratitude, Ashmi se sent investie d’une mission : elle ira à l’université et deviendra professeur pour donner aux enfants de son pays ce qu’elle a reçu.

De son côté, Karan, né au Népal, est exilé depuis l’âge de cinq ans en Europe. Orphelin, il a été adopté par des français et ne se sent aucune attache particulière avec ce pays qui l’a vu naître. Jusqu’au jour où l’assassinat de la famille royale népalaise opère en lui un véritable électrochoc : les parfums, l’ambiance, les bruits, les couleurs de ce Népal qu’il pensait avoir oublié ravivent sa mémoire avec force. Et de se sentir appelé par son pays. Et de désirer participer à la démocratie naissante de sa terre natale. Il décide de s’y installer et de créer un journal, contribuant ainsi à une presse libre et forte. Ashmi se joindra à son équipe, foulant un territoire jusqu’alors réservé à une élite masculine.

Mais suffit-il d’être courageux, combatif, pour pouvoir atteindre ses idéaux? Pays de défis, le Népal jouit d’une image presque sacrée, mystique, incarne le lieu où il faut se rendre pour atteindre un état de béatitude extrême, pour tutoyer le ciel. Or la réalité est bien loin de cette carte postale qui fait fantasmer. Le système des castes est très présent et codifie les relations sociales avec une rigueur extrême. Par ailleurs, la condition de la femme y est déplorable : cette dernière n’a aucun droit, les violences exercées à son endroit ne sont pas condamnables. « Un homme au Népal a tous les droits sur sa femme et sur les filles et autres femmes de la famille. A quelque degré de lien que ce soit, il est le seul garant de la survie des familles et de la communauté. » P165

Avec beaucoup de sensibilité, sans voyeurisme, Bernadette Pécassou s’inspire du destin tragique de Uma Singh, journaliste népalaise assassinée à l’âge de 26 ans en janvier 2009, pour nous emmener au coeur de ce pays qui fascine tant, pays tout juste sorti de 11 années de guerre civile : la toute jeune et fragile république du Népal. Un roman poignant inspiré de faits réels. L’histoire du combat d’une femme au péril de sa vie… Magnifique et édifiant.