L’algorithme du cœur, Jean-Gabriel Causse

l'algorithme du coeur Jean Gabriel Causse

©Karine Fléjo photographie

Ces cinquante dernières années, l’Intelligence Artificielle n’a cessé d’évoluer. Aujourd’hui, les ordinateurs et programmes sont capables de raisonner, d’apprendre, d’interagir avec l’homme, voire de le dépasser. Il ne leur manque que l’intelligence des émotions. Une carence que pallie Jean-Gabriel Causse dans son nouveau livre.

Intelligence Artificielle, Big Data : et si les machines dépassaient l’homme ?

Justine est une hackeuse éthique. Elle ne pirate pas les sites internet des plus grandes sociétés, voire celles du service des armées juste pour s’amuser, ou pire, pour voler des données confidentielles. Non, elle défie les services de sécurité pour leur prouver sa dextérité, sa capacité à  s’infiltrer dans les failles de leur système. Une fois introduite dans le système informatique, elle laisse directement son CV au directeur informatique et au PDG. Comme une carte de visite qu’elle leur donne, dans l’espoir de leur louer ses services pour renforcer leur sécurité ensuite.

Lors d’une de ses intrusions dans le système informatique de l’armée américaine, elle assiste médusée à l’envoi de missiles dotés d’ogives nucléaires. Une troisième guerre mondiale serait donc en cours ? Sidération. Quand soudain, les points lumineux représentant les ogives sur la carte changent brutalement de direction et s’abiment dans le Pacifique. Qui a donc détourné les missiles nucléaires ? Qui a voulu éviter le conflit ? Justine s’interroge, d’autant que le discours officiel veut faire croire que la destruction des ogives émane de leur fait, dans un souci pacifiste. Justine sait qu’il n’en est rien, que l’armée a perdu le contrôle. Mais qui est aux manettes ? Un autre hacker ? Par ailleurs, l’armée américaine désormais sait qu’elle a assisté au lancement d’une guerre nucléaire, ce qui fait d’elle une femme ardemment recherchée.

Une course contre la montre s’engage. Elle doit découvrir qui a la main sur ces missiles avant que l’armée ne mette la main sur elle. C’est alors qu’elle découvre l’impensable. Arpanet, le réseau des réseaux, a pris le contrôle du monde. L’homme a-t-il enfanté d’un monstre ? Pour Justine, une seule solution : rendre Arpanet « humain », c’est-à-dire capable de ressentir les émotions, l’empathie, afin d’éviter qu’il ne commette des carnages.

L’algorithme du cœur ou quand les machines ressentent les émotions

Après son essai passionnant sur L’étonnant pouvoir des couleurs, son roman si touchant intitulé Les crayons de couleur, Jean-Gabriel Causse nous revient avec un troisième livre : L’algorithme du cœur. Un roman d’anticipation dont les préoccupations sont très contemporaines. Les hommes cohabitent de plus en plus dans leur chair avec les machines grâce aux nanotechnologies, aux biotechnologies, aux membres et organes artificiels implantés en eux. Les machines, quant à elles, ne cessent de converger vers l’homme, capables désormais de raisonner, d’interagir avec lui, d’apprendre, de comprendre, voire de dépasser l’homme dans certains domaines : plus performantes, plus rapides et plus fiables. A ce rythme, les progrès exponentiels dans le domaine numérique permettront peut-être aux machines d’acquérir ce qui leur manque : l’intelligence des émotions.

Le thème abordé par Jean-Gabriel Causse est passionnant. Et nous concerne tous. Les progrès numériques sont tels, que nous ne pouvons plus ni les nier ni reculer. Il nous faut apprendre à composer avec cette déferlante, surfer dessus et non nous y opposer au risque de nous noyer. L’homme perd de sa toute-puissance, devra accepter de plus en plus l’aide des machines voire de s’effacer devant elles parfois (voitures pilotées uniquement par des ordinateurs, robots sur les champs de déminage…) mais cette perte d’hégémonie peut se faire au prix d’un gain autrement plus important : faire des machines nos alliées pour améliorer nos conditions de vie, progresser en médecine, protéger la planète, vivre en bonne entente dans le respect des autres. Pour que l’Intelligence Artificielle devienne la meilleure chose arrivée à l’homme et non la pire…

Un seul petit bémol pour moi dans cette lecture : certains passages du roman sont très techniques et m’ont un peu dépassée. Mais ils ont aussi aiguisé ma curiosité et m’ont poussée à essayer d’en apprendre davantage sur ce domaine.

 

Les heures solaires, Caroline Caugant

Les heures solaires de Caroline Caugant

©Karine Fléjo photographie

Un très beau premier roman de Caroline Caugant, dans la collection Arpège chez Stock. Envoûtant, magnétique, il dresse le portrait de trois générations de femmes liées par les tourments d’une rivière. Secret de famille, psychogénéalogie, ou quand les mots tus génèrent des maux sur plusieurs générations.

Secret de famille et malédiction d’une rivière

Billie est une trentenaire, artiste peintre. Elle a fui son village de V. il y a plusieurs années et a commencé une nouvelle vie à Paris, à deux pas du cimetière du Père Lachaise. Mettre une distance physique avec V., pour mettre une distance dans son esprit avec le drame qui s’y est déroulé. Mettre des couleurs sur la toile pour chasser les ténèbres de ses angoisses. Elle pense le passé dépassé quand il resurgit suite à un appel. Sa mère, Louise, est décédée. Noyée. Comme sa sœur de cœur, son double, son inséparable amie Lila, vingt ans plus tôt. A croire qu’une malédiction la poursuit, que cette rivière qui a servi de linceul à Lila et à Louise n’en finira pas de faire couler du malheur et des larmes.

Le passé n’est pas dans son dos. Il lui fait face.

Et de devoir retourner sur les lieux de son enfance. Mais Billie est confiante. Elle est déjà parvenue une fois à terrasser ses fantômes. Elle y parviendra à nouveau. Elle va assister à l’enterrement, mettre la maison familiale en vente, effacer toutes les traces. Ne rien garder. Et reprendre le travail sur ses toiles en vue de l’exposition à venir.

Mais cela ne se passe pas comme prévu. Elle apprend que sa mère, Louise, tenait un journal dans lequel étaient glissées de nombreuses lettres de sa grand-mère Adèle. Quand elle met la main sur ce journal, caché dans la maison de Louise, non seulement les cliquetis des chaines de ses fantômes continuent de bruire, mais s’y ajoutent désormais les fantômes de sa mère. Les mots qu’elle va découvrir dans ces écrits vont-ils la délivrer de ses maux et mettre un terme à la malédiction qui frappe les femmes de cette famille ? Quand les flots souterrains de la rivière jailliront au grand jour, les monstres cesseront-ils d’engendrer des monstres ?

Un roman magnifiquement construit, un thème fascinant

Caroline Caugant nous fait voyager dans le temps, aux côtés des trois femmes d’une même famille, sur trois générations. Grâce à une construction sans failles et à une tension narrative permanente, elle emporte le lecteur dans le tourbillon de la rivière et ne le relâche que sur la rive de la dernière page. L’auteure aborde au fil de l’eau un sujet passionnant, celui de la psychogénéalogie. Le principe de cette thérapie est de découvrir ce qui, dans la vie de nos aïeux, peut impacter nos vies actuelles, sans même parfois que nous en ayons conscience. Maux inexpliqués, échecs à répétition, cauchemars, manque de confiance en soi trouvent parfois leurs racines dans les mémoires transgénérationnelles, dans les faits heureux ou malheureux de la vie de nos aïeux. Surtout si ces événements ou informations ont été cachés, comme c’est le cas avec les secrets de famille. Un roman aux personnages attachants, touchants, qui vous hantent comme leurs fantômes. Un roman sur la renaissance d’une femme, délivrée de son passé. A lire !

 

Citation du jour

Supposons que tu sois une rivière qui coule inexorablement. Sois généreux et tu fertiliseras les terres autour de toi, renouvelle-toi et tu apaiseras la soif partout où tu passeras, aie confiance en tes idéaux et tu inspireras les autres, prends conscience et tu éveilleras les consciences. Aie un but dans la vie et tu accompliras ton destin.

Alejandro G. Roemmers – Le retour du jeune prince (City éditions)

livre le retour du jeune prince

I am, I am, I am, Maggie O’Farrell

I am, I am, I am

©Karine Fléjo photographie

L’auteure explore dix-sept parties du corps où elle a frôlé la mort. Un récit fort, authentique, celui d’une femme et mère. Ou comment se reconstruire plus forte, plus loin. 

Maternité, violence, amour, féminisme, quand le corps parle

Quand la mère de l’auteure lui demande sur quel projet d’écriture elle travaille en ce moment, cette dernière lui répond qu’elle essaye de raconter la vie de quelqu’un, mais uniquement à travers ses expériences avec la mort.

Sauf que ce quelqu’un, c’est elle-même. C’est sa vie qu’elle retrace, ou plutôt les 17 fois où elle a failli la perdre. Les 17 parties de son corps qui ont flirté avec la mort. Accident, mauvaises rencontres, maladies, épreuves de la vie, son corps a combattu. Souvent. A survécu, toujours. Même s’il en garde les stigmates, non pas comme des cicatrices, mais comme des balafres réussies.

Comme ce cou sur lequel se sont serrées les mains d’un violeur en Ecosse.

Comme ces poumons qui brûlent tandis qu’elle manque de se noyer en relevant un défi.

Comme cette colonne vertébrale percutée par une voiture tandis que fillette, avide de liberté, difficilement contrôlable, elle lâche la main de sa mère et traverse la rue.

Comme ce ventre qui n’a pas pu garder les neufs mois requis l’enfant qu’elle portait…

Un à un, avec beaucoup de sincérité, une puissance émotionnelle rare, Maggie O’Farrel égrène ces accidents de la vie, ces 17 petites morts préludes à 17 résurrections.

« Frôler la mort n’a rien d’unique, rien de particulier. Ce genre d’expérience n’est pas rare ; tout le monde, je pense, l’a déjà vécu à un moment ou à un autre, peut-être sans même le savoir. (…). Prendre conscience de ces moments vous abîme. Vous pouvez toujours essayer de les oublier, leur tourner le dos, les ignorer : que vous le vouliez ou non, ils vous ont infiltré et se logeront en vous pour faire partie de ce que vous êtes, comme une prothèse dans les artères ou des broches qui maintiennent un os cassé. »

Un récit sincère, atypique et électrique

L’écriture de Maggie O’Farrel vous frappe comme un uppercut en plein cœur. Pas de fioritures, pas de formules ampoulées ou de métaphores, elle vise le cœur, portée par l’élan de la sincérité. Et ne rate jamais sa cible. Sa plume habille les pages de mots et la met à nu devant le lecteur. Fausses couches, maternité, manque d’empathie des personnels de santé, agressions, mal de vivre, sentiment de ne pas être à sa place dans ce monde, elle se livre sans détours, quitte à ce que cela remue, dérange. Elle n’est pas là pour plaire. Elle est. Point.  Sa vie est tout sauf commune, riche en épreuves et rebondissements incroyables, en blessures inouïes. Et pourtant, il y a dans ses témoignages une part d’universalité, un tronc commun avec nos vies, avec nos corps blessés. Mais surtout, il y a cette vie plus forte que tout, à l’image de la force inouïe de son écriture. Une écriture à l’os qui fait frissonner l’âme.

« L’être humain fait ce qu’il doit faire pour survivre ; nos ressources face à l’adversité sont multiples. »

 

Glissez Agnès Martin-Lugand dans votre poche!

à la lumière du petit matin de Agnès Martin Lugand chez Pocket

Points forts :

  • Des personnages indiciblement attachants
  • Une analyse très fine de la psychologie des personnages
  • Un talent narratif indéniable
  • Un suspense magistralement entretenu

Peut-on être heureux quand on se ment à soi-même ? Ou quand une épreuve vous conduit à faire le point et à vous recentrer sur vos besoins et vos priorités. Un roman touchant, viscéralement humain et… addictif !

Hortense est une jeune femme bientôt quadra, en apparence épanouie. Elle exerce avec passion son métier de professeur de danse, dans une école parisienne qu’elle gère avec Bertille et Sandro. Et aime tout aussi passionnément Aymeric. Sa vie semble donc être un ballet parfaitement aérien. Jusqu’au jour où, faute d’avoir écouté les signaux de détresse de son corps, elle se blesse gravement à la cheville.

Une pause s’impose. Pendant deux mois, elle doit tirer sa révérence.

Cette convalescence l’oblige alors à se regarder en face : depuis le décès de ses parents, quels choix de vie a-t-elle fait ? A-t-elle d’ailleurs vraiment choisi, ou s’est-elle passivement contentée d’aller là où on l’attendait, tant professionnellement que personnellement ? Certes, la danse est sa passion, mais les choix que Bertille et Sandro veulent prendre pour faire évoluer l’école correspondent-ils à sa vision de l’enseignement ? Par ailleurs, elle éprouve une attirance folle envers Aymeric, ne vit que pour les moments qu’ils passent ensemble. Mais justement, ces rares moments lui suffisent-ils ? Etre depuis trois ans la maitresse d’un homme marié et père de famille, être en permanence dans l’attente, dans le manque, a-t-il un sens ? Est-ce sa conception de l’amour ?

Elle décide de prendre un peu de distance et part dans la bastide provençale héritée de ses parents. Histoire de mettre un (grand) écart entre les tourbillons de sa vie parisienne et elle-même. Histoire d’émerger de la chorégraphie du chaos qu’interprète sa vie actuelle.

Une fois encore, force est de constater qu’Agnès Martin-Lugand excelle à explorer l’âme humaine, à décrire des situations et des personnages à ce point justes, que le lecteur vit l’histoire plus qu’il ne la lit. Elle nous interroge sur nos choix de vie, nos priorités, nos besoins, lesquels sont souvent révélés à l’occasion d’un drame : sommes-nous acteur ou spectateur de notre existence ? Peut-on durablement se mentir sans passer à côté de sa vie ? Avec beaucoup de sensibilité, de grâce, elle nous invite à interpréter le ballet de notre vie et non à nous glisser dans les pas des autres. Un roman addictif, qui vous prend en otage dès les premières lignes et ne vous délivre qu’à la dernière page.

La civilisation du poisson rouge, Bruno Patino

la civilisation du poisson rouge de Bruno Patino

La durée d’attention maximale d’un poisson rouge qui tourne dans son bocal est de 8 secondes. Celle de la génération des millennials, à savoir les jeunes qui ont grandi avec les écrans connectés, est de… 9 secondes. Sommes-nous devenus à ce point accros à nos écrans que nous en perdons toute capacité de réflexion et de concentration ? Pouvons-nous retrouver notre liberté et ne plus répondre aux sirènes des grandes multinationales et de leurs algorithmes ? Un essai passionnant.

Addiction aux écrans, réseaux sociaux et internet

Mais vous faisiez comment, avant, pour communiquer ? me demande ma belle-fille de 17 ans avec un regard éberlué, les deux pouces tapant un énième message à la vitesse de Buzz L’éclair sur son smartphone. « Au temps pas si lointain des dinosaures, on se donnait rendez-vous et on se voyait. Tout simplement. » Une réponse qui ne la satisfait visiblement pas. Elle fait partie de cette génération des millennials, qui a grandi avec des écrans connectés, le smartphone greffé au pouce et ne conçoit pas de monde sans. Dans cet essai édifiant, Bruno Patino fait un état des lieux pour le moins alarmant mais non irréversible. Le temps moyen passé sur un smartphone atteint des niveaux inquiétants, de l’ordre de 5 heures par jour et pas moins de 30 activations par heure éveillée. Des centaines de sollicitations soigneusement orchestrées par les algorithmes et les robots des grandes multinationales, qui se battent pour conquérir notre attention. Sms, notifications, timelines, photos, rappels, vidéos, stories, notre attention est sollicitée en permanence. Au point que nombre d’entre nous y répond sans plus même réfléchir, par réflexe pavlovien presque, happés par ces sollicitations multiples. Accros à nos écrans comme on peut l’être à la cigarette ou au chocolat. Sauf que cette addiction n’est pas sans danger.

« Une étude du Journal of Social and Clinical Psychology évalue à 30 mn le temps maximum d’exposition aux réseaux sociaux et aux écrans d’Internet au-delà duquel apparaît une menace pour la santé mentale. »

Sommes-nous tous sous emprise, conduits à augmenter nos doses de consommation d’écran, incapables de résister à nos envies de consulter notre smartphone, véritables esclaves qui s’ignorent ?

Une dépendance qui n’est pas un effet secondaire indésirable mais au contraire convoité par les GAFAM qui dispensent ces services et se comportent sciemment en dealers. Tout est minutieusement étudié pour entretenir l’addiction et absorber l’attention. Sans temps loin des écrans pour réfléchir, s’aérer l’esprit, laisser place à l’imaginaire, à la méditation, à l’émergence du désir, sommes-nous réduits à n’être que des poissons rouges vidés de leur substance, tournant en rond dans l’océan du net ?

La civilisation numérique : une malédiction ou une chance ?

Bruno Patino, directeur éditorial d’Arte France, dirige l’école de journalisme de Sciences-Po. Ce spécialiste reconnu des médias et des questions numériques dresse un état des lieux passionnant de la civilisation numérique aujourd’hui. Il souligne les bouleversements profonds de nos repères et de nos rapports au temps, à l’information, à la culture, au savoir, qu’elle engendre. Un constat alarmant mais non résigné. Pour lui, il n’y a pas de fatalité; il n’y a pas à redouter une toute puissance des GAFAM face à des utilisateurs lobotomisés et passifs. Il ne sert à rien de s’asseoir dans un fauteuil de lamentations et d’attendre l’apocalypse numérique en pleurant sur notre sort, spectateur de notre addiction. Pas plus qu’il ne faut rejeter l’économie numérique. Non, l’heure n’est pas arrivée où les robots, grâce aux développements de l’Intelligence Artificielle, provoqueront la disparition de l’homme. Il s’agit au contraire d’être acteur, de poser des règles dans cet ordre nouveau, de composer avec l’économie numérique en bonne intelligence et non de nous y opposer. Pour évoluer vers un nouvel humanisme numérique. Pour retrouver notre liberté. Mais pour cela il faut combattre et guérir.

Citation du jour

« Ecrire. Ecrire en permanence même quand on n’écrit pas. Pour tenir le choc. Pour ne pas abandonner. Pour encaisser. Se souvenir des livres qui nous ont inspirés, qui nous ont grandis, qui nous ont même parfois tirés de la léthargie et de la détresse des grands chagrins. Se souvenir des pages que l’on tournait d’une main molle et exsangue. Des mirages littéraires qui nous ont ranimés comme d’une sortie de coma. » Nicolas Houguet – L’albatros ( Stock)

l'albatros, livre de Nicolas Houguet

 

Une rose et un balai, Michel Simonet

une rose et un balai Michel Simonet

©Karine Fléjo photographie

J’ai reçu ce livre et serais passée vraisemblablement à côté de ce petit bijou de poésie, de sagesse et d’humanité, sans l’adorable attention des éditions Pocket. Je l’ai dévoré aussitôt, subjuguée par le style poétique comme par la profondeur des propos. A lire !

Un autre regard sur le métier de balayeur de rue

Cantonnier, hygiéniste du trottoir, concierge de quartier, « mégoïste philanthrope », homme de ménage en plein air, vous croisez tous des balayeurs de rue au quotidien. Mais s’ils appartiennent à votre décor quotidien, connaissez-vous vraiment leur profession pour autant ? Que savez-vous de ce métier, du déroulement d’une journée type ?  Etes-vous convaincu qu’il ne peut pas s’agir d’un choix de vie mais d’un travail faute de mieux ?

Michel Simonet, balayeur de rue dont le chariot arbore toujours une jolie fleur pour mettre une note de poésie dans sa journée, vous propose de découvrir son métier de l’intérieur, de « balayer » les préjugés qui l’entoure.

Tout d’abord, ce métier pour Michel Simonet est un choix. Il a quitté son travail administratif pour celui de balayeur de rue, plus conforme à ses aspirations, son équilibre, ses besoins.

« C’est un travail ingrat, mais d’où la grâce n’est pas absente ; elle y affleure même à tout instant. Un métier sale, certes, mais pas un sale métier. »

Vous êtes étonné que ce métier puisse être source d’épanouissement ? Et pourtant l’auteur nous le prouve. Il lui procure bien des émerveillements. Tout est question de regard, de présence à l’autre, d’appréciation de l’instant présent.

« Ce ne sont jamais les merveilles qui manquent, mais plutôt la faculté de s’émerveiller par tous nos sens. »

Car Michel Simonet a cette sagesse rare-là. Ce recul sur le monde. Cette capacité à saisir le bonheur le plus infime à sa portée.

« La chance. La grâce. Le bonheur. J’ai rapidement su où était le mien. On peut trouver tout près ce que d’autres cherchent et découvrent très loin, et recevoir ici au lieu de partir à la conquête. »

Rencontres humaines chaleureuses, luxe de pouvoir prendre son temps dans un monde engagé dans une course perpétuelle, variété des journées (rencontres diverses, événements inattendus), indépendance, travail au grand air, nombreuses sont les occasions de se réjouir. D’éprouver de la gratitude pour son métier. Un métier qui lui a apporté de fortes amitiés, la paix du cœur, la vie au jour le jour et la grâce de l’instant présent.

Et puis, balayeur de rue, nous dit non sans humour l’auteur, ce sont plusieurs métiers en un ! Photographe pour les touristes, bagagiste pour les personnes âgées, employé à l’Office du tourisme quand il faut renseigner les promeneurs perdus, gendarme en cas d’accident de la circulation, éducateur quand il faut désamorcer les conflits de rue. Ce métier est tout sauf monotâche et monotone !

Un récit plein d’humour, de sagesse et de poésie

Ce petit livre est un concentré de poésie, de sagesse, de philosophie et d’humanité. L’auteur nous invite à nous recentrer sur l’essentiel, à savoir nous réjouir de ce que nous avons au lieu d’être d’éternels insatisfaits engagés dans la course du toujours mieux, toujours plus. Son regard aiguisé, sa présence au monde lui permettent d’être fin psychologue, de déceler les personnes au-delà des personnages, d’établir la part des choses entre opinion et émotion. Son style est fluide est d’une grande poésie. Son humour extraordinaire.

Cet homme redonne de la densité à ces balayeurs de rue, bien souvent transparents dans les regards. Un récit émouvant et magnifique, parsemé de poèmes si justes. Balayez tout ce que vous avez à faire et filez dans votre librairie acheter ce livre !

Traits d’union

Ciel : mon plafond transparent.

Avenue : murs d ma maison.

Macadam : mon tapis d’orient.

Lendemains de fête : mon chemin de croix.

Poubelles : mes stations.

Voitures, trains, passants : mes voyages.

Bancs publics : mes bistrots.

Neige : mon silence.

Pluie et vent : ma musique.

Chaud et froid : mon sauna.

Char-rose : la vie est belle.

Balai : ma béquille.

Papiers et mégots : voisins du dessous jamais absents.

Verre brisé : vies côtoyées.

Bruit et paix : une seule nature humaine.