

Rencontre avec un auteur d’une gentillesse à l’image de son talent – immense, à la faveur de la parution de son deuxième roman, Celui dont le nom n’est plus, aux éditions Kero. Un thriller magistral aux frontières de l’amour et de la mort.
Pouvez-vous rapidement vous présenter, René Manzor?
Né de père Français, de mère Uruguayenne, j’ai toujours eu un pied sur le vieux continent et un sur le nouveau. Une enfance dans les valises qui m’a donné très tôt l’envie, le besoin même, de raconter. J’ai d’abord assouvi ce besoin à travers le cinéma avec des long-métrages comme “Le Passage”, “3615 Code Père Noël”, “Un Amour de Sorcière”, “Dédales”. Puis j’ai eu la chance que ces films soient appréciés par Steven Spielberg qui m’a invité à Hollywood pour travailler sur un projet. Je comptais y passer quelques mois, j’y suis resté dix ans. Pendant ces dix ans, j’ai réalisé pour la télé et le cinéma, et j’ai continué à écrire beaucoup, pour moi et pour les autres. Mais mes écrits d’adolescent étaient romanesques. Certains écrivains rêvent de faire du cinéma, moi j’ai toujours rêvé d’écrire des romans. C’est la plus belle façon de raconter une histoire, la plus directe. On a ses mots pour seul bagage.
Celui dont le nom n’est plus est votre deuxième roman, après Les âmes rivales, paru lui aussi aux éditions Kero. Comment passe t-on de l’écriture de scénarios pour le cinema et la télévision au roman? Appréhende t-on différemment l’écriture d’un roman et celle d’un film?
Si j’ai ressenti une difficulté, ça a été de me détacher de l’écriture romanesque en abordant le cinéma, plutôt que d’y revenir. Je me souviens qu’après avoir lu le scénario du “Passage”, Alain Delon m’avait dit: “J’ai beaucoup aimé votre roman”. Et il ne plaisantait qu’à moitié. Un film, c’est une suite d’écritures successives dont le scénario n’est que la première. Le tournage, la direction d’acteur, le montage, le mixage sont une suite de réécritures que l’on a remise à plus tard au moment de la conception du scénario. Quand on écrit un roman, on ne peut rien remettre à plus tard. Tout doit être dit. L’intrigue et les dialogues ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les états d’âme des personnages, leurs pensées les plus intimes sont communiquées au lecteur. Quand on écrit pour la caméra, on se doit d’être objectif, sec, clinique, factuel. Quand on écrit pour le roman, le subjectif l’emporte.
A ce titre, je trouve votre écriture romanesque extrêmement visuelle. Lire vos romans, c’est visualiser les personnages, leur univers, les sentir, les voir, les entendre. Comme si nous regardions un film. Troublant. Une adaptation à l’écran est-elle envisagée?
C’est drôle que vous me posiez cette question car j’ai tout fait pour tourner le dos à cette éventualité. Pour moi, adapter « Celui dont le Nom n’est plus » au cinéma reviendrait à en faire le remake. Car j’ai vraiment l’impression d’avoir déjà filmé cette histoire avec des mots. Le porter à l’écran me permettrait juste de raconter cette histoire à ceux qui ne lisent pas. Du reste, si l’occasion se présentait, je ne pense pas que je le ferais au cinéma. Le format d’une mini-série de six fois une heure me permettrait de la raconter plus en profondeur qu’un long-métrage.
Vos romans sont étayés de connaissances très précises en médecine légiste, aussi bien qu’en génétique, en greffe d’organes, en criminologie, etc., ce qui apporte un crédit certain aux situations. Y a t-il un gros travail de documentation en amont?
Mes études en faculté se sont partagées entre la Médecine et les Beaux-Arts. Et, si je les interrompues pour faire du cinéma très jeune, elles m’ont apporté rigueur et endurance. Quand j’écris, j’ai besoin de me structurer, de construire un enclos très solide pour mon histoire, de façon à pouvoir y lâcher les chevaux sauvages de l’imagination l’instant d’après. L’imaginaire n’accepte pas facilement d’être domestiqué. C’est pourquoi, chez moi, une structure classique en trois actes, un plan de l’intrigue, et une enquête documentée extrêmement poussée précèdent toujours la rédaction proprement dite. Quant aux personnages, je les travaille indépendamment du récit. Je leur construis une existence, une vie avant l’histoire et après l’histoire. Je leur imagine des qualités, des défauts surtout et, comble du luxe, des manies. Ils finissent par avoir leur propre logique, indépendante de la mienne et souvent il nous arrive de ne pas être d’accord sur leur manière de se comporter dans telle ou telle situation. Quand j’en arrive à ce stade, c’est que le personnage existe vraiment. Et ses attaques constantes contre la structure de l’intrigue contribuent à la rendre surprenante.
Celui dont le nom n’est plus est un thriller haletant aux frontières de l’amour et de la mort. Comment vous est venue l’idée de ce roman? Et d’une manière plus générale, d’où vous vient l’inspiration que ce soit pour les scénarios ou pour les romans?
Cela part généralement d’une simple idée. Une question à laquelle je n’ai pas de réponse. En confrontant mes personnages aux dangers de l’intrigue que je tisse pour eux, je les pousse à y répondre. Pour « LE PASSAGE » c’était : l’amour est-il plus fort que la mort ? Pour « DÉDALES » : sommes-nous une seule personne ou plusieurs ? Pour « les âmes rivales » : nos sentiments nous survivent-ils ? Pour « CELUI DONT LE NOM N’EST PLUS » : le deuil est-il une convalescence dont on se remet ?
Ce roman relate une série de meurtres étranges obéissant au même modus operandi : les organes des victimes ont été prélevés, tandis que la dépouille est abandonnée après avoir été préparée selon un rite funéraire précis. Plus déroutant encore, les meurtriers semblent être des proches. Autrement dit, ces mêmes personnes, capables d’amour, peuvent aussi donner la mort. Pensez-vous que le mal soit inscrit à même enseigne que le bien en chacun d’entre nous?
Nous ne sommes ni le Bien ni le Mal. Nous sommes le champ de bataille. Quand on est piétiné par l’un et l’autre, difficile de rester neutre ou de prendre partie. Chacun d’entre nous gère sa balance comme il peut avec les cartes reçues à la naissance. Mais on ne règle pas le problème en bannissant le Mal, comme Dieu l’a fait avec Satan dans les religions du Livre. La lumière a besoin des ténèbres pour exister.
Sans déflorer le roman, pour ceux qui ne l’ont pas encore lu, il y a une thématique qui semble vous être chère et était déjà présente dans Les âmes rivales, celle de ce qui se passe au delà de la mort, cette zone obscure qui intrigue, effraie parfois. Réincarnation, ésotérisme, survie des sentiments par delà la mort, d’où vous vient cette fascination?
Ce que j’aime dans ces zones mystérieuses, c’est la liberté qu’elles offrent à l’imaginaire. Mais je ne m’y sens à l’aise que si les amarres du « crédible » ne sont pas coupées. J’ai besoin que mes histoires se déroulent dans un monde bien réel, que le lecteur croie à cette réalité, qu’elle lui soit familière. J’ai besoin qu’il puisse se projeter facilement dans mes personnages de façon à être confronté comme eux à des événements qui le dépassent. Ce qui m’intéresse, dans le genre du thriller, ce sont ces moments où les personnages d’une histoire, en même temps que leurs lecteurs, sont obligés progressivement d’abandonner le cartésianisme qui les gouverne pour s’ouvrir à une autre façon de voir les choses, là où l’intuition et l’instinct sont plus utiles que la raison.
Une mort qui peut parfois être évitée grâce aux greffes, encore trop peu nombreuses hélas, du fait de l’insuffisance de donneurs. Un sujet très présent dans ce roman et une cause qui vous est chère, avec ce formulaire en fin de roman, qui invite à s’inscrire comme donneur d’organes et de tissus. Pouvez-vous nous parler de cet engagement?
Je refuse l’idée que l’être humain puisse être plus égoïste mort que vivant. Pourquoi refuser de sauver sept vies quand on n’est plus bon à rien ? Donner sa vie de son vivant, c’est miraculeux. Mais le faire, après sa mort, c’est la plus belle opportunité que la Science nous ait donnée ! Si l’un des nos enfants avait besoin d’une greffe pour survivre, serions-nous toujours contre le don d’organe ? On ne peut pas rester insensible à ça. L’année dernière, rien qu’en France, 537 personnes sont mortes faute de greffon disponible. Un petit mot glissé dans votre portefeuille autorisant à prélever vos organes après votre mort ne vous coûtera que 20 secondes. 20 secondes pour sauver sept vies, c’est pas grand chose.
Si vous deviez citer une seule phrase de ce roman, laquelle choisiriez-vous?
La vérité se nourrit du partage. Le mensonge, du secret.
Que souhaitez-vous partager avec vos lecteurs?
L’imaginaire. La lecture est une conversation silencieuse, intime entre deux personnes. De jardin secret à jardin secret.
Votre prochain projet. Est-il trop tôt pour en parler ou pouvez-vous nous en dire deux mots?
Entre deux projets personnels, j’aime ces moments où je mets mon univers en jachère pour mettre mon petit savoir faire de conteur au service des autres. J’aime le rythme infernal que le tournage des séries télé ou des clips impose à l’imaginaire. Moins d’argent, moins de temps, on travaille à l’instinct. Il faut être au filet en permanence, on doit smatcher sur toutes les balles. Bien plus utile pour rester créativement en forme que la pub qui fait grossir.
Mais aujourd’hui, le projet personnel qui me passionne le plus est une série européenne d’anticipation que j’écris en anglais pour des producteurs français, polonais, américains et russes. Une première saison de huit épisodes, dont deux sont déjà écrits. Un tournage prévu fin 2015. C’est donc trop tôt pour en parler. Il y a aussi le troisième roman qui est en cours d’écriture et que j’ai promis à mes éditeurs pour mai 2016. Mes journées de travail font des polders sur mes nuits. La vie est trop courte quand on la vit passionnément. Et il y a tant d’histoires à raconter…
Propos recueillis le 3 juillet 2014
Retrouvez la chronique que j’ai consacrée au nouveau roman de René Manzor, en cliquant sur ce lien : Celui dont le nom n’est plus (éditions Kero)