« Aïe love you » ou l’amour « made in SMS »

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Aïe love you, de Christine Spadaccini
Editions Mic-Mac, 2006

Avec Aïe love you, l’auteur nous entraîne de manière hors-norme dans une histoire d’amour adultérine : imaginez en effet 200 pages rédigées …en langage « made In SMS »! Un mode d’écriture certes ultra moderne, mais que l’on imaginait se prêtant peu au style littéraire. Jusqu’à ce que ce livre nous prouve brillamment le contraire. Pari relevé et réussi ! Seule Christine Spadaccini, jongleuse de mots hors pair, géniale acrobate du verbe, pouvait réaliser une telle prouesse. Elle n’a pas son pareil pour jouer avec les mots, les triturer, les tricoter, les faire bondir, rebondir, chanter, enchanter.


Et de nous entraîner dans les échanges frénétiques de Katia, et Brice, voisins de pallier, la première célibataire, le second marié. Sur l’écran de leurs portables, les SMS prolongeront leurs instants volés dans des chambres d’hôtels, leurs regards et baisers furtifs dans la cage d’escalier. Ils seront leur fil rouge. Sur le clavier de leurs téléphones ils vont se pianoter des mélodies à 160 caractères, pianissimo, allegro, puis piano forte, jusqu’au bout de la nuit, jusqu’à épuisement.

Notes envolées, poétiques, érotiques, sensibles, passionnées sur une partition de je T’M  profonde, entrainante, tantôt douloureuse, tantôt chantante, toujours si juste…

Extrait :

31 octobre 2001 14h37 de Brice :

On s’est dit vous

On s’est dit tu

On s’est tout dit

On s’étourdit

On s’est divan

J’sais même plus

C’qu’était ma vie

Avant…

Du vent

 

 Je vous recommande « Existe-en-ciel », du même auteur, Editions Mic-Mac ( voir critique faite ici), un bijou de sensibilité.


Bibliographie
:

Existe en ciel, Editions Mic-Mac 2008
Aïe love you, Editions Mic-Mac 2006

Informations pratiques :

Prix éditeur : 11.88€
Nombre de pages : 210
ISBN : 9782952573146

Mangez-le si vous voulez, de Jean Teulé (éditions Julliard)

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Mangez-le si vous voulez, Jean Teulé.
Editions Julliard, Mai 2009

« Nul n’est à l’abri de l’abominable. Nous sommes tous capables du pire ! » Cette phrase extraite de la quatrième de couverture pourrait à elle seule résumer ce livre qui relate un fait divers (fait d’Enfer devrais-je dire ?) réel de l’histoire de France. L’enfer ce ne sont pas les autres, c’est nous. Oui, NOUS, si nous ne sommes pas vigilants…Car les êtres auxquels il est difficile ici de par leur comportement de garder le qualificatif d’humains, qui s’acharnent sur un homme paisible, amène, dévoué Alain de Monéys, ne sont pas des extra-terrestres, des sauvages surgis de la préhistoire. Ce sont des villageois, jusqu’alors cléments, vivant en France, il y a un siècle de nous seulement…

 

En ce 16 août 1870, jour de foire à Hautefaye dans le Périgord, tout démarre sur un malentendu. Une phrase mal interprétée, un bouche à oreille redoutable, et voilà que les esprits s’échauffent. L’effet de masse est sidérant, fulgurant. Les villageois ont les nerfs à vif : la guerre contre la Prusse tourne mal, la misère gagne, la sécheresse anéantit les récoltes et décime le bétail. Dans ce contexte explosif, il suffira d’un quiproquo, pour que l’étincelle jaillisse et que la foule s’embrase. Et l’auteur de nous montrer avec finesse tout l’absurde de la situation : la victime est coupable… d’être innocente ! Une victime appréciée de tous, qui en l’espace d’une minute va passer du statut d’ami et compatriote à celui d’ennemi juré non seulement du village entier mais de la France. Un bouc émissaire pour exorciser toutes ces tensions ressenties par les villageois. Il leur fallait une tête de turc, c’eût pu être n’importe qui. Ce sera lui…

La victime est d’autant plus émouvante que face à cette déferlante de haine, elle ne surenchérira pas. Au contraire, Alain de Monéys multipliera les rappels à la raison, continuera à appeler ses tortionnaires « mes amis », croyant jusqu’au bout pouvoir les faire revenir au calme.

Sur ce raz de marée humaine de 700 habitants, seule une poignée d’entre eux, tentera de s’interposer, au nombre de laquelle, la pure et bouleversante Anna, amoureuse, prête à risquer sa vie pour lui.

En vain.

Chapitre après chapitre, l’auteur nous emmène, plan à l’appui, sur les traces de son chemin de croix. Treize étapes toutes plus atroces les unes que les autres, deux heures interminables où l’on assiste, effaré, abasourdi, incrédule, à cette pandémie de violence inouïe qui gagne du terrain jusqu’à cette mise à mort finale par cannibalisme.

 

Dérangeant, terrifiant, ce livre témoignage de Jean Teulé nous interpelle sur les dangers, toujours actuels, qui guettent une population dès lors qu’elle est soumise à une trop forte pression. Vient un moment où il lui faut une victime expiatoire, des êtres sur lesquels se défouler, fût-ce jusqu’à les anéantir. Voilà qui interpelle sur la nature même de l’être humain…

Des dialogues percutants, d’une redoutable efficacité, un style limpide, une reconstitution historique précise, il fallait tout le talent de Jean Teulé pour exprimer l’indicible.