Rentrée littéraire : Feel good, Thomas Gunzig

Feel good de Thomas Gunzig au Diable Vauvert

©Karine Fléjo photographie

Feel good est un roman tellement jubilatoire, tellement jouissif, que j’ai presque envie de limiter ma chronique à : « Lisez-le, vous comprendrez ! » Mais c’est un peu lapidaire et votre esprit critique réclame un peu plus d’arguments. Il n’empêche : « LISEZ-LE ! »

Quand la précarité sociale conduit à quitter le « droit chemin »

Alice s’est frottée très tôt aux fins de mois difficiles. Âgée de 8 ans au décès de son père, elle voit sa mère boucler les fins de mois « tout juste » avec ses allocations chômage. Pourtant, invitée chez une camarade de classe, elle découvre qu’il existe un autre monde. Elle découvre « l’odeur des riches », « cette merveilleuse nonchalance, cette indolence moelleuse que l’aisance matérielle donne à ceux qui ont de l’argent. » Mais ce monde n’est pas le sien.  Et lui demeure durablement étranger lorsque, faute de pouvoir financer ses études, elle doit travailler jeune et entrer comme vendeuse de chaussures chez Madame Moretti. Quand un joli bébé vient gonfler son ventre tandis que le père se dégonfle, la situation devient encore plus critique. Alors que dire quand Madame Moretti lui annonce fermer la boutique et qu’elle se retrouve au chômage avec son fils à élever ?

Si Alice est à court d’argent, elle n’est en revanche jamais à court d’idées. Peu de moyens financiers, mais les grands moyens pour en trouver : elle va ni plus ni moins kidnapper un bébé et demander une rançon.

Sauf que personne ne réclame la petite Agathe qu’elle a kidnappée. Moralité : ce sont désormais trois bouches à nourrir…

De son côté, Tom est un écrivain en mal de succès, qui attend de devenir la référence intellectuelle et artistique incontournable du monde littéraire. Mais les années passent et il demeure ce génie ignoré de ses contemporains (sauf de sa mère). Jusqu’au jour où il croise la route d’Alice et voit en son histoire de kidnapping une intrigue romanesque à exploiter.

Mais Alice voit plus grand. Elle ne veut pas qu’il écrive un roman sur sa vie, elle veut écrire ce roman. Mieux, elle veut écrire un best-seller sinon rien. Et pour cela, elle va adopter la recette et les ingrédients du succès. Le titre du roman ? Feel good, bien sûr ! Parviendra-t-elle à transformer l’essai?

Un humour jouissif, une satire de notre société d’une grande acuité

Dans cette mise en abyme savoureuse, Thomas Gunzig met en lumière la précarité sociale et dynamite les clichés. Pas de jugement moral ici, juste une réalité brute. Alice, sa si attachante héroïne, au cœur aussi riche d’amour et de bienveillance que son compte en banque est pauvre, n’est pas une délinquante, pas plus qu’une folle dangereuse. Non, c’est juste une femme qui, ayant épuisé tous les recours, commet l’inconcevable pour espérer survivre. Pour pouvoir mettre quelques pâtes dans l’assiette de son enfant. Un tableau lucide de notre société à deux vitesses, laquelle prétend non sans cynisme, que l’argent ne fait pas le bonheur.

Thomas Gunzig brocarde au passage le monde littéraire, ces éditeurs qui recherchent avant tout une personnalité atypique, tourmentée, trash, bien davantage que des écrits de qualité. Il définit non sans humour les ingrédients d’un livre qui garantissent son succès.

Un succès que je souhaite de tout cœur à Thomas Gunzig, à l’image de celui d’Alice son héroïne. Vous avez envie de rire aux éclats, d’applaudir aux formules inédites de l’auteur et à son inénarrable humour, de tourner frénétiquement les pages dans l’attente de la suite ? Alors, pardonnez-moi si je me répète, mais LISEZ-LE !

La science est dans le citron, Cécile Jugla et Jack Guichard

la science est dans le citron

©Karine Fléjo photographie

Savez-vous que nous retenons 90% de ce que nous faisons ? C’est en partant de ce constat que les auteurs proposent ici aux enfants dès 4 ans, des expériences ludiques et faciles, pour découvrir les grands principes scientifiques. Une collection géniale publiée aux éditions Nathan.

Dix expériences ludiques pour les enfants autour du citron

Votre enfant aime faire des expériences, manipuler, faire mousser, observer, comprendre ? Il est de nature curieuse ? Alors cette collection « La science est dans.. » déclinée en plusieurs tomes, aux éditions Nathan, est faite pour lui. Ces petits livres proposent des activités simples, ludiques, pour trouver des réponses à leurs interrogations et découvrir par eux-mêmes les grands principes scientifiques.

Dans ce numéro La science est dans le citron, dix expériences amusantes vont permettre à votre chère tête blonde de faire connaissance avec le citron : forme, couleur, poids, contenu, mode de culture. D’autres expériences vont le transformer en magicien : comment faire briller une vieille pièce de monnaie grâce au citron, comment empêcher une pomme de brunir, savoir rédiger un message secret avec du jus de citronvou encore changer la couleur des jus de légumes grâce au citron.

Rendre la science accessible aux enfants dès 4 ans

Jack Guichard est à l’origine de la création de la Cité des enfants, et ancien directeur du Palais de la Découverte. Cécile Jugla est quant à elle l’auteure de nombreux livres documentaires pour enfants. Deux spécialistes convaincus de l’importance de rendre les grands principes scientifiques accessibles aux tout-petits. Et pas de n’importe quelle manière : en réalisant eux-mêmes des expériences amusantes. Car on retient 10% de ce qu’on lit, 30% de ce que l’on voit, 70% de ce que l’on dit mais 90% de ce que l’on fait. Chaque expérience, ici, est ensuite expliquée aux enfants, répondant ainsi aux nombreuses questions soulevées par ce qu’ils auront observé. Les illustrations joyeuses de Laurent Simon complètent avec bonheur cette collection inédite dans le concept et absolument géniale.

A lire et offrir sans modération !

Citation du jour

Elle était belle, par sa façon de penser.
Elle était belle, par les étincelles de ses yeux lorsqu’elle parlait de quelque chose qu’elle aimait.
Elle était belle par sa capacité à faire sourire les personnes autour d’elle, même si elle était triste.
Non, elle n’était pas belle pour quelque chose de si éphémère que son apparence.
Elle était belle au plus profond de son âme.
Elle est belle.

Francis Scott Fitzgerald

Rentrée littéraire : A crier dans les ruines, Alexandra Koszelyk

A crier dans les ruines Alexandra Koszelyk

©Karine Fléjo photographie

Alexandra Koszelyk nous offre un premier roman absolument envoûtant, celui d’un amour puissant entre deux adolescents que le drame de Tchernobyl va séparer. L’amour survit-il au temps, à la distance et aux mensonges ? Une histoire d’amour forte et belle, mais aussi l’histoire d’un exil. Et de la folie des hommes. Un coup de cœur de cette rentrée littéraire.

Le drame de Tchernobyl et ses victimes collatérales

Léna et Ivan vivent à Pripiat, en Ukraine, à 3 kilomètres de Tchernobyl. Les parents de Léna sont d’éminents scientifiques qui travaillent au bon fonctionnement de la centrale. Rien à voir avec la famille de Ivan, entièrement vouée au travail de la terre et à l’élevage des animaux. D’un côté la technologie et de l’autre, la nature. Deux sphères sociales distinctes, reliées par l’amitié puissante qui relie deux de leurs enfants, Léna et Ivan. Une relation forte, exclusive, au point qu’ils sont vite surnommés « les inséparables ».

Inséparables jusqu’à ce que l’incendie d’avril 1986 dans la centrale de Tchernobyl en décide autrement.

Conscient de l’extrême danger que représentent les radiations pour sa famille, le père de Léna prend la fuite pour la France avec sa femme, sa fille et sa belle-mère Zenka. Faute d’informations claires sur le drame qui vient de se dérouler, la population ne prend pas conscience du péril qui la menace. Il faudra que les autorités interviennent, plusieurs jours après, et déplace les populations vers des camps provisoires, pour que Ivan et sa famille quittent leur ferme. Mais Ivan conserve en lui l’espoir que Léna reviendra. Au fil des mois et des années, il s’arc-boute à cet espoir comme à une bouée.

En France, Léna nourrit-elle cette même envie ? A-t-elle trouvé dans ce pays une terre suffisamment accueillante pour s’y fondre, gommer ses racines, ses souvenirs, ses traditions, comme son père l’y invite ? Tandis que le mur de Berlin tombe, trois ans plus tard, c’est un mur d’incompréhension qui s’érige entre Léna et ses parents : comment son père peut-il lui interdire de parler de son pays, de ses origines ? Comment sa mère peut-elle adopter le style de ses nouvelles amies françaises et oublier aussi facilement tout ce qui a forgé son identité jusqu’ici, sa culture, ses traditions, sa langue ? Heureusement, Léna peut compter sur sa douce Zenka pour faire vivre dans les histoires qu’elle lui raconte, cette chère Ukraine laissée derrière eux, pour la comprendre et l’apaiser.

L’amour entre Léna et Ivan aura-t-il péri lui aussi sous les radiations, l’usure du temps et la distance ? Ou l’appel du cœur et des racines sera-t-il plus fort que tous, plus fort que tout ?

Une histoire d’amour vibrante, mais aussi une histoire d’exil

Alexandra Koszelyk nous offre non seulement une belle histoire d’amour, mais aussi un voyage. Un voyage non choisi mais subi celui-là, celui de l’exil. Avec beaucoup de finesse et de sensibilité, elle souligne les écueils rencontrés par les nouveaux arrivants sur leur terre d’accueil. Barrage de la langue, barrage de la culture, auxquels s’ajoute la méfiance, la peur que ces ukrainiens ne véhiculent des maladies graves suite aux radiations. Peut-on renier ses racines ? Ou garde-t-on en soi par-delà le temps et la distance ce sentiment d’appartenance au pays natal ? L’exil est-il irréversible ?

Un roman qui est aussi une très belle ode à la nature, cette nature que l’homme tente de dompter, ce qui aboutit parfois à des drames. Mais une nature plus forte que tout, qui tôt ou tard, forte et fière, reprend toujours ses droits. Comme Léna reprend les rênes de sa vie.

Un roman matinée de mythologie, qui se lit en apnée.

 

 

Les oiseaux de passage, Emily Barnett

les oiseaux de passage Julie Barnett

©Karine Fléjo photographie

Le fameux 13 novembre 2015, soir des attentats, Juliette a rendez-vous avec un ami. Mais les événements en décident autrement et c’est sur Paul qu’elle tombe, un copain du lycée, rescapé de la fusillade au Carillon. L’occasion pour eux de revenir sur leur passé commun et sur un autre drame : la disparition de Diane, une des leurs.

Attentats du 13 novembre 2015

Juliette a rendez-vous avec Jean-Marc à 21h30. Mais au moment de partir, elle égare une de ses lentilles de contact et perd de précieuses minutes à la chercher. Précieuses, car si Juliette avait enfourché son vélo à l’heure prévue, elle se serait vraisemblablement trouvée au cœur de la fusillade. Précieuses, car elles vont lui sauver la vie.

Tandis qu’elle dévale la rue du Faubourg du Temple à vélo, elle réalise que quelque chose cloche. L’atmosphère est étrange, inhabituelle. Puis ce sont les sirènes d’ambulance, de pompiers, les personnes hagardes qui errent dans les rues. Du sang partout. Il lui faut plusieurs minutes pour comprendre que l’incroyable s’est produit. Que quelques minutes plus tôt, là où elle se trouve, des balles étaient tirées en rafale.

Parmi les blessés, elle reconnaît Paul, un ami du temps du lycée, membre de leur groupe  baptisé le clan des oiseaux. Voilà vingt ans qu’elle ne l’a pas vu. Et ne souhaite pas vraiment le revoir… Elle ne peut pas pour autant abandonner Paul, blessé à la cheville, à son triste sort. Et de l’aider à se relever tant bien que mal. Et de se retrouver confrontée à ce passé qu’elle a fui.

Tandis qu’ils déambulent dans les rues de la capitale, avalent les kilomètres, les souvenirs de la bande qu’ils formaient avec Diane, la leader du groupe, affleurent. Depuis le drame qui a frappé Diane, jamais le sujet n’a été évoqué. Le groupe composé de Juliette, Paul, mais aussi de Gabriel, Thomas, Sven, Alex, Clara et Amandine, s’est complètement disloqué, alors qu’à l’époque ils étaient inséparables, faisaient tout ensemble. Tout le temps.

« Chacun est maître de ses souvenirs. Notre bien-être et parfois notre survie en dépendent. »

Pourquoi ce silence autour de la disparition de Diane ? Que s’est-il passé vingt ans plus tôt ?

De l’incompatibilité entre amitié et amour

Emily Barnett évoque les liens forts qui unissaient un groupe d’amis, dans les années 90. Un groupe dans lequel Diane s’était imposée naturellement comme la leader. Charismatique, magnétique, elle avait le pouvoir d’entraîner le groupe à sa suite. Mais un groupe peut-il garder sa cohésion quand des sentiments plus forts surgissent entre certains d’entre eux ? Ou quand l’amitié réclame l’exclusivité.

Cette lecture, certes agréable, ne m’a pas complètement embarquée. Je n’ai pas été touchée par le sort des personnages, pas plus que je n’ai vécu au diapason de leurs joies et de leurs blessures. Il me manquait un je-ne-sais-quoi pour être concernée par leurs déboires, emportée par l’histoire. Autre point qui m’a gênée : tout au long du livre, Juliette et Paul déambulent dans les rues de Paris, parcourant ainsi des kilomètres…alors que Paul est blessé et a la cheville très douloureuse qui a doublé de volume. Difficile d’y croire… Donc un sentiment mitigé pour ma part à la lecture de ce roman…

 

 

 

Rentrée littéraire : Les guerres intérieures, Valérie Tong Cuong

Les guerres intérieures de Valérie Tong Cuong

©Karine Fléjo photographie

Valérie Tong Cuong nous offre un roman fascinant et une analyse d’une grande justesse sur ces guerres intérieures que nous menons contre notre culpabilité, notre mauvaise conscience, nos regrets et remords.

Comment vivre avec la culpabilité ?

Pax a toujours rêvé de percer dans le cinéma. Mais jusqu’ici il a dû se contenter de seconds rôles, ce à quoi il s’est résigné comme à une fatalité, rejetant la faute de cette carrière médiocre sur les autres, à commencer par son agent et le système. Jusqu’à ce jour où on lui propose LA chance de sa vie : tourner avec l’immense Peter Sveberg. Il n’a pas le droit à l’erreur. Ce sera LE tournant tant rêvé de sa carrière s’il transforme l’essai. Tandis qu’il se prépare pour rejoindre le tournage, il entend dans l’appartement du dessus des bruits étranges, des grognements étouffés, comme des corps qui chutent. Mais priorité à sa carrière, il n’a pas de temps à perdre avec le vacarme des voisins. Pour se donner bonne conscience, il se convainc qu’il ne peut pas aller voir ce qui se passe, ou il ratera son rendez-vous. LE rendez-vous.

Mais c’est bel et bien un drame qui se déroule à l’étage supérieur. Alexis, le jeune homme du dessus, va rester handicapé et traumatisé à la suite de l’altercation entre un inconnu et lui. Faute d’intervention rapide des secours, faute de l’aide de Pax surtout, témoin auditif, il va perdre son œil, lui qui se projetait depuis toujours comme pilote d’avion. Et ses rêves d’exploser en plein vol.

Pax va- t-il pouvoir vivre avec cette mauvaise conscience ? Car au fond de lui il SAIT, qu’il a mal agi. Va-t-il pouvoir éternellement fuir cette culpabilité qui le ronge, la museler, l’étouffer, ou va-t-il perdre cette guerre intérieure et devoir assumer ses actes, sa lâcheté ?

Dans le cadre de son travail, il est amené à croiser la route d’Emi, une femme d’origine nippone, entièrement dévouée à son fils souffrant. Une femme forte et fragile à la fois, dont il tombe éperdument amoureux. Une femme qui elle aussi cherche la paix intérieure, depuis qu’un de ses employés a trouvé la mort. Mais si Pax espère qu’Emi fera partie de son avenir, il est loin d’imaginer qu’elle appartient aussi à son passé, à ce passé qu‘il s’efforce de fuir…

 

Des lâchetés ordinaires aux conséquences lourdes

Dans ce roman aux personnages si viscéralement humains, et donc par essence faillibles, Valérie Tong Cuong met l’accent sur ces petites lâchetés ordinaires, ce à quoi nous renonçons généralement pour de mauvaises raisons, et qui peuvent avoir des conséquences terribles. Manque de temps, peur, flemme, facilité, lâcheté, manque d’attention ou d’envie, combien de fois nous est-il arrivé de faillir à notre devoir ? Or ces manquements peuvent avoir des conséquences fâcheuses et pour autrui et pour nous-mêmes qui en porterons la culpabilité le reste de notre existence. Une culpabilité qui peut nous ronger aussi efficacement qu’une armée de termites, nous mener une guerre intérieure acharnée, quand bien même nous nous efforçons de ne rien laisser paraître en surface. Ces petits arrangements avec soi-même ne durent qu’un temps. Une personne en détresse qui faute d’écoute attentive passe à l’acte, une altercation qui faute d’intervention extérieure tourne mal, les cas sont multiples.

Pour autant, l’auteure ne s’érige ici pas en juge, ne condamne pas irrévocablement ni ne désigne Pax comme un monstre. Car de même qu’elle met l’accent sur cette face sombre des êtres, elle nous montre aussi leur face lumineuse, leur capacité à vouloir se racheter, à expier leur faute, à aider, fut-ce tardivement, celui ou celle à qui il n’ont pas prêté assistance précédemment. La culpabilité ne se résume en effet pas à n’être qu’une émotion négative : elle peut être un levier, un moteur pour changer, agir. Ainsi, on ne peut pas diviser l’humanité de façon manichéenne, avec d’un côté les gentils, de l’autre les méchants. Chacun a une part lumineuse et une face plus obscure. Ce que Valérie Tong Cuong nous montre ici, c’est qu’il est important de lutter contre ces petites lâchetés ordinaires, pour rendre la vie de chacun plus belle, y compris la nôtre. Car il n’est jamais trop tard pour bien agir, pour permettre à la lumière de gagner sur les ténèbres.

Un coup de coeur pour la plume vibrante, lumineuse et belle de Valérie!