Le huitième soir, Arnaud de la Grange (Gallimard)

Le huitième soir de Arnaud de la Grange chez Gallimard

©Karine Fléjo photographie

Un roman intense, bouleversant, celui d’un homme qui se met à nu, alors que ses heures sont comptées pendant la bataille de Dien Bien Phu. 

L’histoire de l’homme face à l’épreuve

Nous avons tous entendu parler de la bataille de Dien Bien Phu, la plus longue et la plus terrible des batailles de l’après-guerre, dans le nord du Vietnam. Une bataille qui sonne une terrible défaite pour la France face aux Vietminhs, avec plus de 2000 morts du côté français et 11 000 combattants de l’armée française faits prisonniers.

C’est au crépuscule de cette bataille que nous transporte Arnaud de la Grange avec son roman Le huitième soir. Il nous emmène dans les tranchées, aux côtés d’un jeune engagé de l’armée française. Face aux débâcles successives de son armée, il sait ses jours comptés. Ses heures peut-être même. Alors il fait le bilan de sa vie, avec une sincérité touchante, pris par l’impérieuse nécessité de se confier par écrit dans des petits carnets.

« Là où je suis, je n’ai ni le cœur, ni le temps à travestir. (…) J’ai soif de vrai. Ce n’est pas une question de morale, juste une nécessité. Jouer un rôle fatigue et je suis exténué. Au bout de moi, bien trop en avance à l’âge que j’ai. »

Il tombe donc le masque et évoque ce qui a motivé son engagement dans l’armée, pourquoi un homme choisit de faire la guerre, de donner sa vie à son pays. Acte d’héroïsme ? Besoin de dépassement ? Envie de quitter les sentiers battus ? Orgueil ? revanche sur la vie?

Au fil des pages se dessine le portrait indiciblement émouvant de ce jeune homme assoiffé de vie. Rescapé d’un terrible accident de moto, il lui faut des mois de douloureuse rééducation avant de pouvoir remarcher. Avoir frôlé la mort lui a donné envie de vivre encore plus intensément qu’avant. Il faut désormais que ce soit dur, que ce soit fort. Il se fait la promesse de ne plus accepter aucune limite, aucune contrainte. De vivre pleinement.

« Il peut sembler absurde d’aller prendre des coups quand on a tant souffert. L’épreuve devrait dégoûter de l’épreuve, faire aspirer à la tranquillité et au confort du corps. Le risque me semblait un défi à cette vie qui m’avait malmené. (…) En fait je crois que je voulais conjurer la mort. »

Alors, désireux de ne pas vivre à la surface des choses, il s’engage. Mais cette raison n’est pas la seule. La vérité est plus complexe. On découvre notamment un fils meurtri par une guerre ô combien terrible, celle perdue par sa mère contre son cancer. Une femme qui lui a montré et appris le courage, la persévérance et la dignité à toute épreuve. Une guerre perdue qui a laissé en lui une blessure jamais cicatrisée.

Un hymne à la vie

Du premier au huitième et ultime soir, le narrateur égrène ses souvenirs, évoque sa résilience, son combat pour vivre toujours plus fort. Ses interrogations aussi : quel sens a la guerre, quand les politiciens, bien au chaud dans leur fauteuil, envoient des hommes au devant d’une mort certaine, sans plus d’état d’âme que s’il s’agissait de simples objets? Mais si les obus pleuvent, si les blessés et les morts se multiplient, plus que tout, ce roman est un hymne à la vie. Car Arnaud de la Grange réussit le tour de force de mettre de la poésie dans ce chaos, de faire pousser des fleurs sur le bitume. De son écriture ciselée, il pointe ce qui donne toute sa richesse à la vie, tout son sens. Les combats qu’il faut mener pour la conserver, l’importance de la vivre passionnément et dans la fraternité, les valeurs à défendre coûte que coûte, ces mots d’amour à ne pas garder prisonniers en soi.

Si ce roman parle d’un homme en particulier, cette histoire a un caractère universel : ou quand l’épreuve (maladie, guerre, accident, deuil…) fait ressortir la vérité d’un être, le recentre sur l’essentiel.