Sébastien L. Chauzu : « La littérature est un excellent moyen pour approcher des personnages qu’on n’aurait pas envie de côtoyer »

Sébastien L. Chauzu

©Karine Fléjo photographie

Sébastien L. Chauzu est professeur dans un lycée du New Brunswick au Canada. « Modifié » est son premier roman, tout beau tout chaud, sorti chez Grasset début mars 2020. Rencontre avec l’auteur.

Comment vous est venue l’idée de ce roman ?

Je ne me suis pas réveillé un jour en me disant : « Ah oui, j’ai envie d’écrire sur un gamin qui est différent ». Ce sont plutôt des fils qui se sont mis en place. Mon personnage, qui s’appelle « Modifié », est un gamin différent des autres. Ce n’est pas un gamin en particulier, mais plusieurs gamins que j’ai pu observer en tant qu’enseignant. Les écoles au Canada sont des écoles inclusives, c’est-à-dire qu’on y accueille tous les élèves, y compris les élèves avec un handicap physique ou mental, les élèves autistes.

Ici la femme, nommée Martha, ne se montre pas très maternelle avec l’enfant, ni chaleureuse avec sa belle-fille

Non, j’ai volontairement choisi une femme qui ne rentre pas dans le cliché de la femme naturellement aimante et attentionnée envers l’enfant. Je trouve qu’il est important de jouer avec les clichés, de ne pas en avoir peur.

Modifié, éditions Grasset

©Karine Fléjo photographie

Quand vous avez commencé à écrire ce roman, est-ce que toute la trame de l’histoire était en place ?

Je suis admiratif des auteurs qui disent « J’ai pensé à tout mon roman, et en un jet, je l’ai écrit ». Je suis admiratif de cette méthode de travail et dans le même temps, je me dis que cette méthode empêche d’avoir des surprises. Or dans ma façon de travailler,  je suis surpris parfois, car je pars de plusieurs fils et découvre au fur et à mesure des tissages, des liens entre ces fils que je n’avais pas envisagés. C’est ce que je trouve intéressant.

Chaque lecteur s’approprie le roman

Pour certains, il s’agit d’un livre sur l’autisme, pour d’autres c’est un livre humoristique et pour d’autres enfin il s’agit d’une enquête policière. L’enquête policière n’est pas ce que j’ai voulu mettre en avant. L’enquête est juste un miroir pour faire comprendre des choses sur Martha, sur ce qu’elle aime, ce qui lui fait peur dans la vie. Quant au personnage de Modifié, au Canada, on peut voir les gamins comme cela évoluer librement. Ils commencent à travailler à partir 14 ans, à conduire à 16 ans. Ils ont plus de liberté, de marge de manœuvre qu’ici en France.

Sébastien L. Chauzu

©Karine Fléjo photographie

C’est un roman plein d’humour, qui flirte avec l’absurde, le burlesque

J’ai fait ma thèse sur L’absurde. Donc l’absurde, l’humour, c’est très important pour moi. C’est vraiment l’objectif que je cherche à atteindre : pas seulement regarder les choses mais avoir un léger décalage qui permet de rire des choses, de rire de soi. J’adore faire cela, je trouve que c’est un exercice délicat extrêmement intéressant.

Quels sont les auteurs qui vous ont inspiré dans ce côté burlesque ?

John Cheever par exemple, auteur américain qui a écrit des nouvelles dont  « The Swimmer ».  On l’appelait le Tchekhov des banlieues car il a cette capacité à observer le trivial et à prendre de la distance pour décrire ces situations avec une certaine tendresse et une certaine ironie. L’absurde, le rire, permettent de se rapprocher des gens.

Tout comme on se rapproche de vos personnages…

Mes personnages c’est pareil, oui : on n’a pas forcément envie de les connaitre,  de les côtoyer. Un gamin comme Modifié, si on le rencontre demain dans la rue, ce ne sera pas simple de parler avec lui. Un livre, ça permet d’installer un regard, une atmosphère, qui permet de se rapprocher  de personnages comme celui-là. Et la fois d’après, quand on va le rencontrer, on va repenser à toutes ces choses lues et cela va aider à briser la glace, à entrer dans son univers. Tous les personnages que je décris sont comme cela. Des personnages que je n’ai pas forcément envie de rencontrer, ou alors pour lesquels je sais qu’il me faudra beaucoup de temps pour les comprendre et commencer à les apprécier. Il y a des personnes que l’on rencontre de suite, on a les mêmes codes, immédiatement on partage tout. Il y a d’autres personnes avec lesquelles c’est plus difficile, cela demande plus d’effort. Et la littérature, je trouve, est un excellent moyen pour approcher des personnages qu’on n’aurait pas envie de côtoyer.

Martha et Allison sont en fait le même personnage, à deux stades différents de la vie?

Oui, Allison ne veut pas devenir comme Martha et Martha envie la liberté d’Allison de s’assumer telle qu’elle est. Etre capable de grandir, c’est accepter ce que l’on a été. Personnellement je ne me suis jamais senti aussi bien dans ma vie que quand j’ai accepté les échecs que j’ai pu avoir dans ma vie, quand j’ai admis que je ne peux plus revenir en arrière. Et le personnage d’Alison représente exactement ce que Martha n’a pas su être à une étape de sa vie. Et quand Martha se réconcilie avec Alison, elle se réconcilie avec elle-même, avec son passé. Je n’ai pas voulu de conflits de générations entre les personnages, mais un conflit de génération à l’intérieur de soi-même.