L’autobiographie de Patrick Edlinger, par Patrick Edlinger et Jean-Michel Asselin
Editions Guérin, février 2013
L’opéra vertical
C’est à Palud-sur-Verdon, la Mecque de l’escalade, LE spot des grimpeurs, que Patrick Edlinger s’était installé. Discret, fuyant les mondanités, à 52 ans, il continuait le rituel quotidien de l’entrainement, signait le rocher avant chaque escalade. Jusqu’en novembre 2012. Quelques jours avant de perdre la vie dans un accident domestique, il avait mis le dernier mot à cette autobiographie, laquelle prend une tournure testamentaire.
Dans cet ouvrage absolument magnifique, émaillé de sublimes photographies, le funambule des parois, le félin des falaises revient sur sa vie, sur cet appel précoce de la montagne, sur ces défis en solo lancés au vide. A tous les vides. On glisse nos pas dans les siens, pris de vertige, encordés à ses mots. On comprend alors combien l’escalade à mains nues n’est pas pour lui un sport, une passion, mais un mode de vie à part entière. « Le solo est une démarche personnelle car il y a toujours une prise de conscience du risque de mourir et là, je vous prie de me croire qu’on n’a pas envie de perdre notre vie pour la gloire. Je tiens à profiter pleinement de cette vie qui est la mienne. Le solo, c’est simplement pour aller plus loin dans la zone de la peur, pour mieux se connaitre. » P.66
Suite au fabuleux documentaire que lui consacre Jean-Paul Janssen, » La vie au bout des doigts », en 1982, Edlinger passe de l’anonymat aux feux des projecteurs. Le mythe est né. Et Edlinger d’incarner le héros moderne. Un héros au physique d’ange, au génie incomparable de la grimpe, à la vie simple et saine. Le risk symbol. Souvent imité. Jamais égalé.
Celui qui a défié les sommets les plus prestigieux à travers le monde, nous offre aussi dans ce livre sa bataille la plus difficile entamée en 2009, bataille qui aura duré trois ans : celle de l’escalade de la dépression, maladie vertigineuse, abîme sans fin, sommet de souffrances. Fuite dans l’alcool, la cigarette, les médicaments, les heures à se vider la tête le long des parois, tout est bon pour tenter de faire dévisser l’ennemi intérieur.
P. 31 : » Patrick sait qu’il ne pourra plus donner le change très longtemps. Un matin, la douleur n’est plus seulement existentielle, non, elle s’inscrit dans le corps, les gestes, la respiration, les battements de coeur, au creux du ventre, dans les mains qui se mettent à trembler. (…) ». L’ange blond de « La vie au bout des doigts », celui qu’on adulait du temps de l’argent et du succès, voit peu à peu le vide se faire autour de lui. Au bout des doigts d’une seule main restent les vrais amis…
Pour sa fille tant aimée, Nastia, il renoncera à l’appel du vide du haut des falaises, solution tentante et radicale pour en finir. Pour elle, il n’abandonnera pas. Pour elle, il est prêt à réussir l’ascension la plus difficile de sa vie, à atteindre les cimes de la guérison. Et si la bataille est âpre, si les écorchures à l’âme sont nombreuses, si la douleur adhère à lui comme de la magnésie, s’il se met vert, il relèvera le challenge. Avec l’amour comme baudrier. Lui, Patrick Edlinger, l’homme des ascensions, évoque sa descente aux enfers. Et surtout, il plante au sommet de la guérison trois ans plus tard le fanion de l’espoir: » C’est une maladie terrible car elle atteint ton corps et ton cerveau, mais curieusement, c’est aussi une chance. Si l’on s’en sort, on est encore plus fort. »
Une autobiographie captivante, véritable hymne à la vie, à la liberté, au dépassement de soi. Pour tous les amoureux de l’escalade, mais pas seulement : pour tous les amoureux de la vie.
Un livre somptueux à lire, à relire, à offrir!